La 53e Solitaire du Figaro a livré son verdict : grand favori au départ de Nantes, Tom Laperche s’est imposé au terme des trois étapes, remportant la dernière à Saint-Nazaire. Guillaume Pirouelle, premier bizuth, et Achille Nebout complètent le podium. Tip & Shaft refait le match en compagnie du lauréat de la 52e édition, Pierre Quiroga, de Jeanne Grégoire, directrice du pôle Finistère course au large de Port-la-Forêt, du routeur météo Dominic Vittet et de l’entraîneur lorientais Tanguy Leglatin.
Vainqueur de toutes les courses en solitaire d’avant-saison (Solo Maître CoQ, Le Havre All Mer Cup et Solo Guy Cotten), troisième des deux dernières éditions de la Solitaire, Tom Laperche cochait toutes les cases du grand favori avant le départ à Nantes, il l’emporte pour sa quatrième participation, à seulement 25 ans. Une victoire saluée par tous nos experts : “C’était le meilleur, on savait que c’était lui qui maîtrisait le mieux son sujet, il n’a pas été vraiment récompensé sur les deux premières étapes, mais il a tout le temps été présent aux avant-postes”, résume Tanguy Leglatin.
11e de la première étape, 3e de la seconde à l’issue duquel il était 2e au général, le skipper de Région Bretagne-CMB Performance a su forcer son destin en remportant la troisième. “En début d’année, il m’avait dit qu’il avait envie de naviguer plus libéré, plus décalé de la flotte, mais sur les deux premières étapes, on le sentait contenu, il répétait ses gammes, pas forcément pour gagner,note Pierre Quiroga. Il a fallu attendre la troisième pour voir un Tom plus joueur, il m’a vraiment surpris en se décalant le plus à l’ouest de la flotte, ce qui présentait un gros risque stratégique, mais s’est avéré ultra-payant parce qu’il a franchi en tête la marque de Los Farallones.”
Dominic Vittet confirme : “A la fin du louvoyage, c’est parti un peu dans tous les sens, Tom a été au bout de son option alors que ses concurrents au général sont restés plus au sud. Il a montré sa force de caractère en assumant son choix, il a ensuite été performant dans la brise, en faisant zéro erreur. Après deux premières manches pas faciles pour lui, il a réussi à garder son calme et a attendu son heure.” Pour Jeanne Grégoire, qui connaît bien le skipper puisqu’il s’entraîne depuis ses débuts en Figaro à Port-la-Forêt, “c’est une victoire de bosseur et de ténacité. Même s’il a douté parce que les deux premières étapes l’ont mis en difficulté au niveau météo, on sentait avant le départ de la troisième qu’il savait ce qu’il allait faire, il avait confiance.”
Guillaume Pirouelle
n’est pas passé loin
Au général, Tom Laperche, dont c’est la dernière saison sous les couleurs de Bretagne-CMB, devance d’un peu plus d’une heure Guillaume Pïrouelle, bizuth sur cette édition, qui égale le résultat d’un certain Armel Le Cléac’h, deuxième en 2000 pour sa première – seul Laurent Bourgnon a fait mieux, remportant sa seule Solitaire, en 1988. Peut-on pour autant parler de surprise pour un skipper qui avait déjà couru sur le circuit Figaro en 2021 aux côtés d’Alexis Loison ? “J’appelle ça les bizuths nouvelle génération, sourit Pierre Quiroga, qui débarquent sur la Solitaire avec déjà un vécu en Figaro. Moi, quand je suis arrivé, je n’avais pas de codes, j’ai tout défriché, lui a eu la chance d’avoir un des meilleurs mentors qui puissent exister sur la planète Figaro. En plus Guillaume a un cerveau bien fait et un budget compétitif, c’était le projet idéal pour performer dès la première année.”
Reste que si le skipper de Région Normandie avait été performant en avant-saison (2e de la Solo Maître CoQ, 3e de la Le Havre All Mer Cup, 4e de la Solo Guy Cotten), il découvrait le format et la longueur de la Solitaire. “Tu peux être très bon sur les courses de 24 heures de début de saison, mais sur des étapes trois-quatre jours qui s’enchaînent, il faut aller chercher très loin, on voit que Guillaume a appris très vite“, note Dominic Vittet qui conseillait le Normand sur cette Solitaire.
Et estime même qu’il aurait pu gagner : “Avant le départ de la dernière étape, je lui ai demandé : « Tu fais quoi ? Ton job, c’est quand même de marquer. » Il m’a répondu : « Pas forcément. » Je n’ai pas insisté, c’est lui qui fait ses choix, mais alors qu’il avait passé la course collé à Tom, dans la fin du louvoyage vers l’Espagne, il le lâche en partant à gauche et il perd la Solitaire. Vu ce qu’il avait montré qu’en vitesse – c’était le seul concurrent capable à certains moments d’aller plus vite que Tom -, peut-être que s’il était resté avec lui, il aurait pu gagner. J’ai eu un petit échange avec lui après l’arrivée, il m’a dit qu’il n’était pas très lucide à ce moment-là.”
Girl power
Complétant le podium, Achille Nebout, que Jeanne Grégoire considérait avant le départ comme “le plus grand client hors pôle” – il s’entraîne à Lorient -, signe une belle troisième place pour sa quatrième participation, lui qui se lancera la saison prochaine en Class40. “Il visait un top 5 et rêvait d’un podium, je suis très content qu’il ait atteint son objectif, c’est une juste récompense, estime Pierre Quiroga qui a collaboré avec le skipper d’Amarris-Primeo Energiecette saison. Il a navigué de façon très stable tout au long des trois étapes, sans être « ultra devant », mais jamais derrière.”
Au pied du podium, Erwan Le Draoulec (Skipper Macif 2020) et Gaston Morvan (Région Bretagne-CMB Espoir) ne sont séparés que de 50 secondes, avec notamment une belle fin de dernière étape dans la brise au portant, “le genre de bord que les jeunes aiment”, commente Jeanne Grégoire. Qu’ils soient filles ou garçons d’ailleurs, comme l’illustre la 3e place à Saint-Nazaire (et 8e au général) d’Elodie Bonafous, deuxième femme à terminer sur le podium d’une étape, 47 ans après la Britannique Clare Francis. “J’en avais les larmes aux yeux sur la ligne, ajoute la directrice du pôle de Port-la-Forêt. Elodie avait été un peu dans le dur sur pas mal de sujets en avant-saison, là, on l’a retrouvée telle qu’on la connaissait, bondissante, qui s’exprime très bien sur les « bords de poney ». On dit qu’elle est un petit gabarit, mais ça ne se voit pas quand on la regarde naviguer, le spi monte aussi vite qu’avec les garçons.”
“J’avais conseillé aux skippers avec lesquels je travaille de profiter du bord vers les Farallones pour dormir, car au retour, ils allaient être coincés pendant 30 heures à la barre dans la brise sous spi, des conditions extrêmement fatigantes, ajoute Dominic Vittet. A ce petit jeu, Elodie est restée accrochée aux basques de Tom et de Gaston, elle n’a pas craqué, bravo ! Ça fait plaisir de voir une femme jouer devant.” Elles sont même deux dans le top 10, puisque Violette Dorange termine 10e: “C’était son objectif avoué, elle a été extrêmement régulière et pugnace, toujours dans le paquet de tête, elle n’a pas fait de grosses erreurs”, ajoute le spécialiste du routage.
Corentin Horeau
rate le coche
Parmi les autres bonnes surprises de cette Solitaire, nos experts citent Nils Palmieri (6e au général), Arthur Hubert (9e), Basile Bourgnon (14e et 2e bizuth), Tanguy Leglatin a quant à lui apprécié une Solitaire au cours de laquelle “tout le monde a eu son moment positif, avec un classement très brassé, ce qui prouve qu’avec ce bateau, il faut être prêt à faire sa route et ne pas trop regarder le reste de la flotte.”
Du côté des déceptions, nos experts sont d’accord pour dire que Loïs Berrehar, 11e au général, et surtout Corentin Horeau, 13e, n’ont pas été au rendez-vous des attentes. “Loïs avait pourtant fait un très bon début de saison, alors que, historiquement, les débutants dans le programme Skipper Macif ont toujours du mal, peut-être que la pression de l’étiquette Macif l’a un peu rattrapé. Maintenant, il a encore deux années pour faire ses preuves”, analyse Pierre Quiroga, lui-même ancien Skipper Macif.
Pour ce qui est de Corentin Horeau, Jeanne Grégoire reconnaît que “c’est clair qu’on ne l’attendait pas là. Cette année, s’il a lâché deux manches d’entraînement à ses concurrents, c’est le max, j’exagère à peine.” Dominic Vittet ajoute : “La première étape lui fait très mal mentalement alors qu’il avait pourtant bien débuté. Ensuite, quand on est un attaquant comme lui, on sait que pour gagner, il faut rester au contact de la tête de flotte et uniquement attaquer aux bons moments. A l’inverse, quand on est un peu décroché, on se met à attaquer plus qu’il ne faudrait, on se reprend une claque, et ça ne fait qu’empirer, ça a été le cas pour lui.”
Photo : Arnaud Pilpré