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Jean-Yves Bernot : “La Solitaire n’est pas jouée”

La première étape de la Solitaire Urgo Le Figaro entre Pornichet et Kinsale s’est achevée jeudi soir sur la victoire de Yoann Richomme (Hellowork-Groupe Télégramme) devant Tom Laperche (Bretagne CMB Espoir) et Pierre Leboucher (Guyot Environnement). Cette étape riche en rebondissements, fatale à certains favoris, déjà relégués à plusieurs heures, est analysée pour Tip & Shaft par le spécialiste de la météo, Jean-Yves Bernot, qui collabore sur cette Solitaire avec le Pôle Finistère Course au large.

Cette première étape a été assez incroyable, avec de multiples rebondissements, qu’en as-tu pensé ?
Elle se profilait comme ça depuis le début : on voyait bien que les deux premiers jours seraient un peu difficiles avec une grosse dorsale dans le golfe qui a failli leur jouer des tours et une fin dans le petit temps avec des mistoufles en approchant des côtes irlandaises. Ce scénario dans sa globalité était attendu, nous au Pôle, on en avait donné les grands traits aux coureurs, mais après, sur le terrain, c’était à eux de jouer leur partition, parce que finalement, ce sont les détails qui ont fait le classement. Il fallait arriver à ne pas se perdre entre les consignes à long terme et le travail de court terme sur l’eau, en tenant compte des variations et des camarades. C’est ce qui est le plus dur.

Dans le détail, quelle analyse fais-tu du début de course, du départ à la remontée de la Bretagne, et qu’as-tu pensé de l’option extrême à l’ouest de Thomas Ruyant et de celle d’Henri Leménicier, qui a pris un moment les commandes à l’est ?
Ce qu’on voyait bien, c’est qu’après la descente à Bourgenay, la solution la plus sûre était quand même de monter vers Noirmoutier pour s’extraire de la dorsale qui arrivait par l’ouest, puis de réfléchir après. Quant à l’option de Thomas, c’est rigolo, parce qu’on la voyait sortir avec le modèle Arpège qui faisait faire exactement ça, mais je la trouvais risquée : si tu prenais une option nord, par rapport à cette route extrême à l’ouest, tu ne perdais quasiment rien, alors que si cette option ouest, qui, a priori, gagnait peu, tournait mal, tu pouvais te prendre six heures dans le museau. Finalement, il a dû être sacrément vigilant, parce qu’il s’en est très bien sorti. Ensuite, une fois à Noirmoutier, ça se dispersait, il fallait passer Belle-Ile à droite ou à gauche, et continuer à monter en visant le Raz-de-Sein et voir à ce moment-là. C’est là qu’Henri Leménicier s’est vachement bien débrouillé, il a été très opportuniste, mais j’ai eu l’impression qu’après, à l’approche de Sein, il ne savait plus quoi faire. Mais c’est normal, c’est un jeune gars qui débute sur le circuit, et il a fait une superbe moitié d’étape.

Comment s’est ensuite négocié le fameux passage du DST d’Ouessant qui s’est avéré décisif ?
Au niveau prévisions, ce n’était pas très clair de négocier le DST qui arrivait au milieu du chemin, c’était pas mal une question de feeling. Moi, j’avoue que j’étais assez chaud pour monter vers le nord – je le dis après-coup, je fais le malin, mais sur l’eau j’aurais peut-être fait le contraire ! -, même si c’était quand même un peu le casinoLe nord me paraissait moins risqué par rapport au sud, où n’arrivaient que des emmerdes potentielles : la dorsale, une petite dépression dans le Golfe de Gascogne qui créait une transition compliquée en Manche. Comme les timings étaient délicats, quand tu t’engageais vers l’ouest, tu t’exposais à prendre de bonnes raclées. En fait, c’était une route qui, si elle gagnait, gagnait peu, et si elle échouait, pouvait faire perdre beaucoup. Mais j’avoue que les prévisions n’étaient pas très précises et que dans ces conditions, c’est très difficile de faire des choix. Je pense aussi que pour certains ténors, il y a eu une problématique de marquage : quand un s’en va d’un côté, même si tu es tenté d’aller de l’autre, tu le suis parce que tu ne veux pas le laisser faire. Finalement, comme par hasard, ceux qui ont fini devant étaient ceux qui avaient moins de pression : Yoann, qui avait zéro pression et navigue toujours très simple en stratégie, Tom Laperche, un futur grand qui a une qualité incroyable, c’est d’être un calme et de ne jamais prendre feu, les vieux renards…

La plupart de ceux qui sont passés à l’ouest du DST d’Ouessant ont semblé surpris que leur option ne paie pas, l’issue n’était pas prévisible ?
Je pense qu’ils ont surtout été surpris de la taille de l’écart. Quand ils ont vu que ce n’était pas le bon choix, ils pensaient prendre une demi-heure, pas plus de trois heures, comme ça a été le cas. Ça a mal tourné pour eux, mais je pense que la prise de risques était de leur côté : aller vers l’ouest, ça pouvait faire mal, ça a fait mal, mais dans le mauvais sens. Dans des situations variables comme ça, il faut se poser la question de ce que tu mets en haut de la liste au moment de la prise de décision. Là, certains ont été tentés de jouer avec les copains, d’autres ont joué vers le nord qui paraissait quand même un peu moins risqué. Les choix ont aussi été un peu subis, dans la mesure où le passage du DST, il fallait l’anticiper bien avant Sein, et quand tu faisais le choix, tu n’avais pas vraiment d’indice de la situation future. Il fallait avoir soit du blair, soit de la chance, soit les deux.

Dans le groupe de l’ouest, Yann Eliès a quand même réussi à creuser un gros écart avec les autres, comment l’expliques-tu ?
Je pense qu’il est plus expérimenté en navigation en solitaire, il tient le coup, il ne lâche pas l’affaire, sait bien se reposer. En solo, la vitesse du bateau, c’est toi qui la maintient. En plus, il faut beaucoup barrer ces bateaux pour les faire bien avancer, son expérience fait qu’il sait bien quand il faut barrer et se reposer, après plus de 48 heures de course, le métier parle.

Qu’as-tu pensé de la trajectoire très est d’Armel le Cléac’h ?
Armel a été joueur, je pense que quand il est parti faire un tour le long de la Bretagne, il a été chercher des brises, j’ai été un peu surpris qu’il aille aussi loin à terre. Il a poussé fort l’option, mais parfois, tu te fais emmener par un nuage, une rafale, et une fois que tu y es, c’est plus difficile de revenir en arrière. Mais finalement, il a bien tenu sa route nord et ne s’en est pas trop mal sorti.

Es-tu étonné par la performance de ceux que tu as appelés les “vieux renards”, Loïck Peyron (6e), Michel Desjoyeaux (8e) et Alain Gautier (13e) ?
Je suis plus admiratif qu’étonné. Admiratif, parce qu’ils reviennent jouer avec les têtes d’affiche et les petits jeunes à leurs risques et périls, et parce que le bateau est quand même physique. Je me disais qu’ils allaient en baver, ça a sans doute été le cas, mais ils tiennent la marée, bravo à eux.

Penses-tu que le nouveau Figaro 3 a beaucoup influé sur le scénario de cette étape ou aurait-il pu être identique avec son prédécesseur ?
Je pense qu’il a joué de plusieurs manières : d’abord, c’est un bateau qui a plus d’options. Au portant, comme c’est un bateau asymétrique, il fait de grands angles, ça fait beaucoup de stratégie, alors qu’avec l’autre, tu n’avais qu’à aller tout droit. Je pense aussi que comme ils ne connaissent pas encore très bien le bateau, les cadors ont tendance à ne pas se lâcher la grappe et à ne pas prendre de risques. Je pense que ça a joué pour ce groupe de favoris parti à l’ouest, avec Yann, Xavier Macaire et les autres, on voyait bien qu’ils se marquaient à la culotte et se comparaient en vitesse.

Penses-tu que ce scénario, avec des écarts assez énormes à l’arrivée, peut se reproduire sur les autres étapes ?
Oui, surtout sur l’étape 3 Roscoff-Roscoff où tu fais le tour des bistrots en Bretagne et en Manche, il y a des passages à niveau un peu partout qui peuvent faire très très mal si le vent est un peu faible. Je pense que la Solitaire n’est pas jouée, même pour les retardataires. Pour ceux qui ont pris six heures, ça me paraît beaucoup, trois heures, pour les bons, ils peuvent rattraper ça en deux-trois étapes. Peut-être qu’ils vont du coup être un peu plus libérés et jouer davantage, là, tu en as senti certains contraints. Et la fatigue va s’accumuler.

Comment s’annonce la deuxième étape ?
Pas très fort, il ne va pas y avoir beaucoup de vent, au moins au début. Je ne suis pas sûr que ça monte à l’île de Man. Tous les ans, je prépare mon cours sur l’île de Man, et ils n’y vont jamais !

Photo : Alexis Courcoux / La Solitaire Urgo Le Figaro

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