Les arcanes de World Sailing – la fédération internationale de voile, ex Isaf – ne sont pas toujours faciles à comprendre et rarement passionnantes pour le béotien. Elles valent cependant parfois le coup de s’y intéresser. En fin de semaine dernière les 40 membres du “council” de World Sailing (l’équivalent d’un conseil d’administration) se sont prononcés par vote électronique sur un certain nombre de “submissions” (des propositions), amenées par les fédérations nationales de voile, les classes et les nombreux comités de World Sailing.
Parmi celles-ci, “l’Oceanic & offshore comitee“, présidé par le navigateur Stan Honey, a proposé qu’une épreuve de course au large soit en démonstration aux prochains jeux olympiques de Tokyo en 2020 : un “showcase event“, où aucune médaille n’est attribuée. Format retenu par l’Oceanic & offshore comitee : une course de 4 jours et 3 nuits, en double mixte, à bord de monotypes de 8 à 12 mètres de long, équipés de micros et de caméras, avec arbitrage électronique. “One clear winner. i.e. the first boat to finish wins the Gold“, peut-on lire dans le texte de la proposition.
L’idée d’introduire la course au large dans les épreuves des JO n’est pas nouvelle. Mais elle a longtemps été un voeu pieux devant la frilosité du comité international olympique. “Le CIO a désormais changé d’avis, résume Jean-Pierre Champion, le président de la FF Voile. Il juge aujourd’hui que les risques ne sont pas plus élevés que dans les autres épreuves.” Surtout, il met sous pression nombre de disciplines olympiques pour qu’elles se renouvellent et se modernisent – et la voile n’y échappe pas.
L’ancien président de World Sailing, l’italien Carlo Croce, proche de Jean-Pierre Champion, avait remis le dossier sur le haut de la pile. Et l’après JO de Rio a été l’occasion de débattre publiquement du sujet sous la houlette du CIO qui réclamait des nouveautés. Puis, la victoire du danois Kim Andersen lors des élections de cet automne a laissé penser à nombre d’observateurs que le projet n’avancerait plus. Mais, sous l’impulsion du nouveau CEO de World Sailing, Andy Hunt, et le discret lobbying des Français – forcément moteurs en matière de course au large et qui, du coup, ne souhaitent pas trop apparaître – la proposition a été soumise au vote du council de World Sailing via l’Oceanic & offshore comitee.
Résultat des courses, dévoilé le 3 février dernier : 29 voix pour, 8 contre et 3 abstentions. Pour la première fois, une épreuve de course au large va donc être proposée au CIO. Mais la route est encore longue : le board de World Sailing va désormais présenter officiellement son projet au comité international olympique le 28 février ; puis la commission du programme olympique du CIO fera ses recommandations à la commission exécutive en juin, qui prendra ensuite sa décision dans le courant de l’été. “Il va clairement y avoir un gros travail de lobbying à mener auprès du CIO“, confie un cadre de la FF Voile.
Car il reste beaucoup d’obstacles avant de voir des marins en course au large des côtes japonaises en 2020. D’abord parce que World Sailing va proposer en même temps un deuxième “showcase event” particulièrement populaire : le kiteboard – pas sûr que le CIO prennent le risque d’accepter deux nouvelles disciplines nautiques en démonstration. Ensuite parce que l’organisation d’une telle épreuve peut rebuter le pays hôte qui va être consulté par le CIO. “Nous avons l’habitude de ce type d’évènement en France, explique Marc Bouvet, responsable du département habitable à la FF Voile. Mais ailleurs, l’offshore peut faire peur en terme de coût” – le représentant japonais au council de World Sailing a d’ailleurs voté contre la proposition. “Très sincèrement, je n’ai aucune idée des chances que le projet aboutisse, reconnaît Jean-Pierre Champion. Mais, dans tous les cas, l’idée de la course au large aux JO va faire son chemin. Et il y aura forcément une revue des formats d’épreuves d’ici 2024.”
En attendant, le staff de World Sailing travaille son dossier et cherche notamment le support pour cette épreuve. Après des consultations tous azimuts, en particulier du côté des organisateurs de course comme la Volvo Ocean Race ou la Route du Rhum, leur choix s’est arrêté sur le seul chantier aux reins solides, capable de proposer un monotype de course au large entre 8 et 12 mètres : Bénéteau, qui met justement la dernière main à son Figaro 3, qui doit tirer ses premiers bords cet été ! L’entreprise vendéenne nous a confirmé ce vendredi qu’elle avait bien été approchée par World Sailing et qu’elle était seule en lice pour négocier un accord de fourniture de 20 Figaro 3 dans le cadre d’une éventuelle épreuve de course au large en double pour les prochains JO – même si Melges, J Boats et un constructeur chinois ont été consultés, selon nos informations.
De son côté, la Classe Figaro Bénéteau se prépare discrètement à ce qui reste pour l’instant une éventualité mais pourrait avoir un énorme impact. “Ce serait une très bonne chose, juge Yannig Livory, le président. Ce serait une reconnaissance incroyable et la récompense de 25 ans de travail.” La récente transformation du championnat de France Elite de course au large en solitaire qui intègre désormais les courses en double est à lire à l’aune de ces projets olympiques. “L’idée, c’est de pouvoir proposer rapidement un circuit aux coureurs étrangers qui souhaiteront préparer les JO“, explique Marc Bouvet.
Même s’ils restent très prudents, l’ensemble des acteurs de la filière voient là l’occasion unique d’internationaliser – enfin – la pratique de la course au large en équipage réduit. “Si ça marche, c’est énorme, résume Hervé Favre, le président d’OC Sport Pen Duick, qui organise, entre autre, La Solitaire Urgo Le Figaro, la Transat AG2R-La Mondiale et la Route du Rhum. Cela peut entraîner une réaction en chaîne : des médailles à partir de 2024, les fédérations étrangères qui achètent des bateaux, la concurrence étrangère qui arrive sur nos courses, le niveau qui monte…” Et, qui sait, un jour, une Marseillaise pour la plus haute marche du podium ?