De l’Arkéa Ultim Challenge au Trophée Banque Populaire Grand Ouest en passant par la Transat CIC et la CIC Normandy Channel Race – sans oublier les Figaro, Class40, Imoca et Ultim aux couleurs du Crédit Mutuel, d’Arkea et de ses concurrents -, la bataille du sponsoring fait rage entre acteurs du secteur bancaire. Tip & Shaft a enquêté pour comprendre pourquoi.
La voile a toujours attiré les banques, avec des marques pionnières comme Crédit Agricole – sponsor de Philippe Jeantot de 1983 à 1991 – et, surtout, Banque Populaire, qui a débuté dans la discipline en 1989 auprès de Francis Joyon. “En 2000, quand nous sommes engagés auprès de la FF Voile, nous avons décidé de devenir la banque de la voile, comme il y a une banque du tennis (BNP Paribas) et une banque du rugby (la Société Générale)“, rappelle Thierry Bouvard, directeur du sponsoring et du mécénat chez BPCE. Sponsor d’Armel Le Cléac’h en Ultim et de Clarisse Cremer en Imoca, Banque Populaire est également présent dans les territoires via ses filiales régionales, particulièrement dans l’Ouest, où la Banque Populaire Grand Ouest (BPGO) soutient athlètes et évènements.
Mais le sponsor historique de la voile voit son leadership de plus en plus attaqué. Si BPGO était ainsi partenaire principal de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe en 2018, elle a été remplacée par le CIC pour 2022. “Immédiatement après la dernière édition, on a échangé avec Banque Populaire Grand Ouest pour discuter de la poursuite du partenariat, explique Joseph Bizard, directeur général d’OC Sport Pen Duick. On a fait une proposition qui n’a manifestement pas trouvé d’écho positif puisqu’ils n’ont pas donné suite ; nécessité faisant loi et le temps pressant, on a sollicité en priorité le CIC, avec qui on avait construit la Transat CIC [qui n’a pas eu lieu en 2020, NDLR].”
Une version qui n’est pas celle de Maurice Bourrigaud, directeur général de Banque Populaire Grand Ouest : “Nous étions entrés en négociation pour reconduire le partenariat, et au tiers de la durée prévue de cette négociation, OC Sport nous a prévenus qu’ils avaient choisi le CIC. Ce n’est absolument pas un choix de BPGO, nous aurions au contraire voulu à nouveau être partenaire principal, nous n’avons pas été mis en situation de concurrence.” Et ce dernier d’ajouter : “Maintenant, je respecte la décision d’OC Sport et le fait que le CIC prenne la place, c’est la loi du marché. Je leur ai expliqué ma façon de penser, nous sommes des alliés de long terme, nous retravaillerons forcément encore ensemble.”
Arkéa monte
en puissance
L’épisode est symptomatique de la concurrence à laquelle se livrent ces dernières années Banque Populaire, le groupe Crédit Mutuel (propriétaire du CIC) et Crédit Mutuel Arkéa (en conflit avec le groupe Crédit Mutuel), concurrence qui a pris une nouvelle ampleur ces derniers mois.
Présent depuis plusieurs années sur le circuit Figaro Beneteau – notamment via la filière Bretagne-CMB -, partenaire avec Paprec, en Imoca, de Sébastien Simon sur le dernier Vendée Globe, de Yoann Richomme sur le prochain, Crédit Mutuel Arkéa est également devenu en avril dernier partenaire titre de l’Arkéa Ultim Challenge, course autour du monde en Ultim au départ de Brest, pour les deux premières éditions (2023 et 2027).
“Quand OC Sport nous a contactés, on a été assez prompts à se décider, parce qu’une conjonction d’éléments rendait ce partenariat assez évident et naturel, explique Cédric Malengreau, directeur du secrétariat général et de la communication institutionnelle chez Crédit Mutuel Arkéa. D’abord, notre siège social est fortement ancré dans le bassin brestois, ensuite parce que la course associe différentes institutions avec lesquelles on a des relations nourries et régulières.”
CIC et Banque Populaire
accélèrent
Derniers arrivés dans la bataille, le Crédit Mutuel et sa filiale CIC, ont fait une entrée fracassante sur le marché. D’abord en se lançant pour le premier sur le circuit Class40 auprès de Ian Lipinski en 2018, en devenant ensuite partenaire titre de The Transat CIC en 2019, partenaire majeur de la Route du Rhum en 2020 et partenaire titre de la CIC Normandy Channel Race en 2021 ! “L’engagement du CIC correspond à notre volonté de positionner notre réseau auprès du tissu économique local et la course attire de ce point de vue un nombre conséquent d’entreprises et d’acteurs économiques, notamment sur les régions du Grand Ouest”, justifie Daniel Baal, directeur général de Crédit Mutuel Alliance fédérale et du CIC.
La réplique de Banque Populaire n’a pas tardé : la BRED, filiale du groupe bien implantée en Normandie et Outre-mer, est devenue partenaire principal de la Transat Jacques Vabre 2021, avant que BPGO ne décroche en 2021 le naming du Spi Ouest-France et du nouveau Trophée BPGO-Sur la route des îles du Ponant. Enfin, tout récemment, elle est devenue partenaire officiel du Vendée Globe !
Histoire, là encore, de ne pas laisser le terrain aux autres ? “On ne fait pas notre stratégie marketing en regardant sur les côtés, mais en fonction de ce qu’on a besoin de raconter et de partager avec notre public, nos clients, nos sociétaires et nos collaborateurs, répond Thierry Bouvard. Nous, on raconte une histoire qui est établie depuis très longtemps, d’autres ont plutôt une logique d’exposition à un moment donné. Notre but n’est pas de nous lancer dans la surenchère avec qui que ce soit.”
“L’éviction de Banque Populaire Grand Ouest de la Route du Rhum a été un accélérateur de particules assez fort dans leur décision de venir sur le Vendée, sachant que d’autres étaient intéressés pour prendre la place, analyse cependant un acteur du marché. Côté Arkéa, les tensions avec le groupe Crédit Mutuel jouent aussi probablement dans cette concurrence. Et je pense que ce n’est pas terminé.” Visiblement, le Crédit Mutuel ne compte en effet pas s’arrêter là : “Nous sommes toujours attentifs aux évènements ou aux actions portant nos valeurs et résonnant sur l’ensemble des territoires, il n’est donc pas exclu de voir d’autres initiatives prises à l’avenir“, confirme Daniel Baal.
Le problème du marquage
Cette concurrence profite en tout cas aux organisateurs… qui peuvent être tentés d’en jouer. Mathieu Sarrot, cofondateur d’Ultim Sailing, qui a organisé le Trophée BPGO et s’occupe de la nouvelle Finistère Atlantique Challenge Action Enfance – pour laquelle il a sollicité, en vain, BPGO – refuse de rentrer dans ce jeu-là : “C’est clair qu’on voit que le marché se tend sur le secteur bancaire dans le Grand Ouest. Maintenant, je suis plutôt un bon éleveur qu’un bon chasseur, je préfère fidéliser un partenaire, même s’il nous dit qu’il ne nous accompagne pas sur ce coup, plutôt que d’aller chercher le concurrent frontal, ce qui risque de l’agacer.”
Reste un dossier qui s’annonce comme tout sauf un détail : celui du marquage des voiles aux couleurs du partenaire de la course. Lors du trophée BPGO, le sponsor titre a accepté de ne pas sticker les voiles des Figaro Beneteau pour éviter notamment que son logo n’apparaisse sur celles des bateaux Bretagne-Crédit Mutuel de Bretagne. “C’est la région Bretagne qui nous a dit que ça pouvait être gênant pour son co-partenaire, on en a parlé et on a trouvé une solution“, confirme Mathieu Sarrot. Le sujet est assez sensible, comme le reconnaît Thierry Bouvard, qui va y être confronté lorsque sur The Transat CIC et l’Arkéa Ultim Challenge. “Il ne faut pas créer de confusion entre nos marques, donc nous ne souhaitons pas porter la marque CIC ou Arkéa dans les voiles de Banque Populaire. Il faut qu’on en discute en bonne intelligence.”
“C’est une problématique, effectivement, ajoute Cédric Malengreau. Maintenant, on peut réussir une belle communication, même en ayant le logo d’un concurrent sur la voile, surtout dans la voile, où l’on met en œuvre des plans de com de longue haleine.” Qu’en pense l’organisateur de The Transat CIC et de l’Arkéa Ultim Challenge ? “On a déjà été confrontés à ça dans le passé, on a su le gérer, assure Joseph Bizard. Donc il n’y a pas de raisons qu’on ne sache pas de nouveau le gérer.”
Photo : Yvan Zedda