Après avoir terminé quatrième des deux premières épreuves de la saison de Diam 24 – Sailing Arabia The Tour à Oman et le Grand Prix de La Grande Motte – Seaflotech, l’équipe lancée par Lionel Péan, ne s’est pas alignée, faute de budget, au départ du Grand Prix Atlantique, deuxième étape des Tour Voile Series, qui s’est achevé dimanche à Pornichet par la victoire de Beijaflore. Une frustration pour son skipper, Sofian Bouvet, revenu sur le circuit après une année de suspension pour trois “no shows” lors de contrôles antidopage, qui espère cependant bien être au départ du prochain Tour Voile.
Revenons, pour commencer, sur ton année 2018, au cours de laquelle tu n’as pu naviguer en compétition à cause de ta suspension, comment l’as-tu vécue ?
J’ai trouvé que la sanction était un peu dure, mais j’ai aussi relativisé en me disant que j’avais la chance de pratiquer un sport qu’on peut pratiquer jusqu’à 50 ans et plus, une carrière de voileux peut durer longtemps. Après, j’ai aussi dû subir une opération des ligaments croisés du genou, ça a vraiment été une année blanche pour moi en termes de navigations, mais j’ai aussi appris des choses en tant qu’entraîneur puisque j’ai compensé en coachant l’équipe de Lorina-Golfe du Morbihan, les jeunes et ceux qui ont gagné le Tour, ça m’a permis de rester au contact du Diam 24.
Tu as fait ton retour en compétition en début d’année à Oman à la barre du Diam 24 aux couleurs de Seaflotech, avais-tu de l’appréhension ?
Oui, surtout vis-à-vis de moi-même, de mes capacités, dans la mesure où j’avais forcément un peu perdu les repères de la régate. Ma qualité en général, c’est de vite ressentir le bateau, ce qui me permet de sortir la tête et de donner une aide supplémentaire pour la tactique. J’ai eu du mal au début, j’étais la tête dans le guidon à essayer de retrouver mes repères et une bonne vitesse, mais à La Grande Motte, j’ai eu l’impression d’avoir retrouvé le niveau qui était le mien à l’époque de SFS.
Un projet qui s’est brutalement interrompu fin 2017, comment as-tu vécu cet arrêt ?
Je dois admettre que depuis ma sortie des Jeux Olympiques de Rio, j’ai eu un parcours en dents de scie. Ça a bien débuté avec Lionel Péan qui me contacte à la sortie des Jeux et me propose ce super projet de Tour de France avec SFS. On avait réussi avec seulement six mois d’entraînement à atteindre un super niveau car même si on avait fini au pied du podium du Tour 2017, on avait gagné six étapes. Après, tout a dégringolé alors que le projet devait déboucher sur une Volvo Ocean Race et que Lionel voulait me mettre barreur du bateau. J’étais parti sur un projet à long terme, et son arrêt, plus la sanction et l’opération, m’ont freiné.
Te revoilà tout de même en Diam sur le projet Seaflotech, comment s’est-il monté ?
De septembre à décembre, j’avais repris le 470 avec Valentin Sipan, qui navigue aussi en Diam sur Beijaflore. On s’est finalement rendu compte qu’on avait des fonctionnements très différents avec nos équipiers respectifs d’avant – lui avec Guillaume Pirouelle, moi avec Jérémie Mion, et que, pour bien marcher, il aurait fallu tout casser pour créer une nouvelle manière de fonctionner. Ça faisait trop court pour avoir quelque chose de viable en vue de la sélection olympique qui va se faire cette année sur les championnats du monde au Japon. Du coup, quand Lionel m’a recontacté fin 2018 pour connaître mes envies et me proposer ce projet, j’ai accepté : ça tombait bien, c’était l’occasion pour moi de prendre une belle revanche après cette année difficile. J’ai alors appelé Corentin Horeau et Bruno Mourniac, qui faisaient partie de l’équipage que je coachais l’année dernière qui avait gagné le Tour avec Quentin Delapierre et Kevin Peponnet, pour leur proposer de me rejoindre, ils ont tout de suite dit oui, ça m’a fait plaisir car c’était la preuve qu’ils avaient confiance en moi. François Morvan nous a ensuite rejoints sur le Grand Prix de La Grande Motte.
Quel bilan fais-tu de vos deux quatrièmes places sur Sailing Arabia The Tour et ce Grand Prix de La Grande Motte ?
Le potentiel est là, mais nous n’arrivons pas à finir sur le podium, surtout pour des raisons matérielles : à Oman, nous avions un bateau de location, ce qui nous a quand même coûté pas mal de points en route, et à La Grande Motte, on a récupéré notre bateau, sauf qu’il a deux ans et que forcément, on a des pièces qui cassent. Sur ce Grand Prix, le constrictor de gennaker a cassé avant les quatre dernières manches, on n’a pas pu réparer, si bien qu’on a navigué avec une drisse de gennak qui ne se coinçait plus dans le taquet, ça nous a forcément handicapés.
Où en est le projet Seaflotech au niveau budgétaire ?
Nous sommes dans une période d’incertitude, je pense que nous serons au Spi Ouest-France, mais nous n’avons toujours pas la garantie de courir le Tour : Lionel continue à démarcher auprès de partenaires potentiels, mais rien n’est signé. C’est pour ça que nous ne sommes pas à Pornichet ce week-end [interview réalisée avant le Grand Prix de Pornichet remporté par Beijaflore, NDLR].
Combien vous manque-t-il ?
Il nous manque 180 000 euros HT pour boucler la saison jusqu’au Tour compris, sachant que depuis que nous avons repris la navigation sur le Diam, nous avons dépensé 70 000 euros HT, c’est surtout Lionel qui a mis des sous de sa poche depuis le début. Après, il n’y a pas d’effet de surprise, il m’avait prévenu qu’il était à la recherche de partenaires pour s’aligner sur le Tour.
On imagine que c’est frustrant…
Ce qui est frustrant, c’est de moins naviguer que les équipages professionnels qui s’entraînent pour gagner le Tour. J’ai bon espoir qu’on y soit quand même, on a une super équipe capable de faire de très bonnes choses, mais si on ne trouve pas très vite le budget, on n’aura a priori pas les armes pour viser la victoire car on va manquer de navigations, on ne vendra plus un Tour gagnant. Le Tour, tu peux le gagner si tu navigues en avant-saison. Après, mes équipiers et moi, nous avons la chance d’avoir d’autres projets en plus du Diam 24.
Quels sont-ils pour toi ?
Depuis peu de temps, je navigue en Flying Phantom avec Théo Constance à Brest au sein de l’équipe Aloha Attitude. C’est une découverte pour moi, c’est important de naviguer sur cette série, car ça me permet de me former sur les bateaux volants. La voile évoluant sans cesse, il faut être polyvalent. Je devrais faire mes premières régates en juin.
As-tu d’autres plans B ou d’autres projets en tête ?
Si le projet Seaflotech ne marche pas cette saison sur le Tour, j’ai éventuellement l’opportunité d’intégrer des équipes en tant que coach ou navigant. A côté de ça, le Figaro 3 m’intéresse bien. Quand on avait réfléchi avec Lionel à la Volvo, on avait pensé au circuit Figaro pour que je puisse faire mes armes en course au large. Je n’ai pas pour ambition aujourd’hui de courir le Vendée Globe, mais je serais tenté par l’idée d’intégrer un équipage sur l’ex Volvo, donc j’aurais besoin de montrer ce dont je suis capable tout seul au large. Le solitaire sur le long terme ne me fait pas forcément rêver, mais courir sur des étapes de deux-trois semaines comme il en existe sur The Ocean Race, je m’en sens capable. Si une opportunité se présente, je saisirai en tout cas, j’aimerais bien faire le Tour de Bretagne cette année, par exemple. Je suis de très près la Sardinha Cup en ce moment, il y a un très gros niveau, très homogène, ça donne envie de se tirer la bourre.
Les exemples à suivre pour toi, ce sont Peter Burling et Blair Tuke, capables de briller aussi bien en série olympique qu’au large ?
Oui, mais eux, ce sont un peu des extraterrestres : ils sont plus jeunes que moi et ont un palmarès monstrueux, c’est difficile de me comparer à eux, je n’ai pas à rougir de mon palmarès, mais je ne suis pas encore à leur hauteur. Après, on n’a pas eu le même parcours, pas les mêmes opportunités d’intégrer de grosses équipes, c’est pour ça que je me dis qu’il faut que je saisisse des opportunités.
Le 470, c’est terminé ?
C’est fini pour Tokyo. Pour plus tard, pourquoi pas ? Je ne serai pas encore trop vieux pour les Jeux de Paris 2024, on verra déjà quels bateaux seront choisis. Le 470 pourrait passer en mixte, il y a aussi la course au large mixte, ces deux disciplines pourraient m’intéresser et c’est aussi pour cette raison que j’aimerais bien faire du Figaro, ça me permettrait d’avoir une petite expérience du large avant de me lancer éventuellement sur une préparation olympique.
Gardes-tu un goût d’inachevé de ton parcours en 470 ?
C’est vrai que je reste un peu sur ma faim, c’est aussi pour ça que j’ai tenté de repartir l’année dernière avec Valentin. Mon rêve d’enfant était de participer aux Jeux olympiques, quand on y a gouté, on a envie d’y retourner, surtout pour aller décrocher une médaille. Maintenant, il faut que j’arrive à le faire dans de bonnes conditions avec la bonne partenaire, il faut que je réfléchisse bien à ce projet à tête reposée, parce que l’olympisme implique beaucoup de sacrifices, on ne peut pas faire grand-chose d’autre si on s’y investit à fond. Il y a aussi l’aspect financier à prendre en compte, je vieillis, il faut que je gagne ma vie, et dans la voile olympique, c’est difficile. Si je trouve un partenaire pour m’accompagner, ça changera la donne.
Paris 2024, ça donne forcément envie, non ? Surtout à Marseille, un plan d’eau que tu connais bien pour y avoir vécu.
Oui, c’est à la maison. C’est justement un aspect qui peut me redonner envie, d’autant que les Jeux en France, c’est forcément moins de voyages en amont parce que tu t’entraînes sur place, c’est moins lourd à gérer.
Ton ancien coéquipier, Jérémie Mion, a remporté le titre mondial l’an dernier avec Kevin Peponnet, que penses-tu de son parcours ?
Un grand bravo à lui ! Nous avions réussi tous les deux à être deux fois champions d’Europe mais jamais champions du monde, c’est énorme, d’autant qu’il n’y avait plus eu de titre pour la France en 470 depuis 1999. Je suis très content qu’il ait réussi à bien rebondir après Rio, en se donnant les moyens de bien faire, et je suis convaincu qu’avec Kevin, ils sont capables de rééditer cet exploit aux Jeux. On sait que ça se joue dans un mouchoir de poche aux Jeux, mais le fait d’avoir été champions du monde va leur apporter beaucoup au niveau de la confiance. Maintenant, il faut déjà être retenus, parce qu’il y a aussi l’équipage de Sidoine (Dantès) et Hippolyte (Machetti) qui a obtenu de très bons résultats l’an dernier.
Crédit photo : J.M. Liot/ASO