Andrew McIrvine est la cheville ouvrière du succès ces dernières années de l’International Maxi Association, il a contribué à soutenir les événements majeurs et à encourager un plus grand nombre de propriétaires et de bateaux à rejoindre la classe. Par ailleurs chirurgien vasculaire de renom, consultant pour trois grands hôpitaux, président de la section de chirurgie de la Royal Society of Medicine et membre du conseil de la British Medical Association, le secrétaire général de la classe, confiné chez lui à Londres, a forcément un œil avisé sur le développement de la pandémie de Covid-19 qui, selon lui, va modifier l’horizon des courses de grands bateaux.
Comment se passe la période actuelle avec les marins et les propriétaires de la classe IMA, on imagine que ce n’est pas évident ?
Au départ, il y avait un certain enthousiasme et des promesses, les gens appelaient pour demander ce qu’il se passait. Ensuite, il y a eu les appels des boat captains et des tacticiens qui demandaient « S’il vous plaît, essayez d’organiser des courses », qui ont laissé la place à un silence graduel au fur et à mesure des annulations des courses. Aujourd’hui, je parle à certains yacht clubs qui nous demandent « Allez-vous prendre une décision bientôt parce que nous devons dire aux gens d’annuler leurs vols et leurs réservations d’hôtel ? ». Le vrai problème, c’est tout ce qui a trait aux considérations transfrontalières. Si tu essaies d’organiser une course internationale, tu ne peux pas faire venir les équipages. J’ai passé une partie disproportionnée de mon temps à examiner toutes les statistiques et l’évolution à travers le monde, le problème, c’est que certains pays, en fonction des données fournies par la Chine, qui, à mon avis ne sont pas crédibles, ont pensé que le virus suivrait la même trajectoire, avec un pic puis une décélération rapide. Ce n’est pas le cas, regardez les chiffres en Italie, Espagne et France, il y a eu un pic, mais on constate que ça ne retombe pas très vite. Nous attendons soit un vaccin soit des médicaments pour les personnes hospitalisées et pour moi, ce qui est troublant, c’est que même si vous avez été contaminé, vous n’êtes probablement pas immunisé.
Pensez-vous que le circuit puisse reprendre plus tard dans la saison ?
J’ai le sentiment que même si la saison s’ouvre et que tout s’améliore rapidement, beaucoup de nos propriétaires seront dans la tourmente avec la priorité d’essayer de maintenir leur entreprise en activité. La dernière fois qu’il y a eu une crise financière, beaucoup de propriétaires ont mis leur bateau de côté. Ils ne voulaient pas être perçus comme en train de s’amuser alors que dans le même temps, ils licenciaient la moitié de leur personnel. J’ai le mauvais pressentiment que nous allons revivre la même chose. Ils parlent toujours de la Cowes Week, mais il y a beaucoup de gens qui ne sont pas très réalistes, qui ne regardent pas ce qui se passe vraiment. Même si la Cowes Week devait se dérouler uniquement avec les Dayboats, avec deux ou trois personnes de la même famille à bord, courir et rentrer chez soi le soir n’est pas très amusant. Je pense que beaucoup de gens diraient qu’il n’y a pas beaucoup de plaisir si vous ne pouvez pas prendre un verre avec les autres après les régates, c’est ça qui fait aussi le sel d’un rendez-vous comme la Cowes Week.
Pensez-vous qu’on puisse tout de même « sauver » quelques événements de Maxi ?
Je pense que si quelque chose peut être organisé, ce sera sur une base nationale. Ils pourraient organiser une petite régate à Porto Cervo avec uniquement des bateaux italiens, mais pour l’instant, le transport vers la Sardaigne est interdit, même depuis d’autres régions d’Italie. De même, à Saint-Tropez, en octobre, ils pourraient probablement utiliser des bateaux français, mais il y aurait forcément des restrictions, beaucoup de gars qui naviguent sur les Maxi viennent des Etats-Unis, d’Australie et de Nouvelle-Zélande. Donc pour l’instant, je suis un peu pessimiste à ce sujet. J’aimerais qu’on me prouve que j’ai tort. Pour l’instant, la Copa del Rey reste prévue, le Yacht Club Costa Smeralda a annulé son programme pour la fin juin, mais il n’a rien dit sur les Swans et les Maxi. Je considère par ailleurs que les propos du RORC quand il dit qu’il essaiera d’organiser l’IRC Nationals en septembre sont absurdes et suscitent des espoirs sans fondement factuel. La meilleure chose à faire est de dire ce que vous annulez et d’en rester là. J’ai vraiment de la peine pour les marins professionnels en ce moment. Je ne sais pas ce qui va se passer. Certains m’ont appelé pour me dire : « S’il vous plaît, faites quelque chose pour les championnats du monde Maxi, dont nous avons besoin pour nourrir nos familles ». Très peu de propriétaires gardent des marins sous contrat. Beaucoup d’équipages n’ont même pas de contrat. Je pense que nous sommes peut-être en train de tirer un trait sur cette saison et j’espère que d’ici avril 2021, les choses se seront calmées ou que nous aurons un vaccin. L’un des hôpitaux dans lesquels je travaille, le District General Hospital, dispose généralement d’un service de réanimation de 8 lits, il a dû porter cette capacité à 30 lits, dont 20 sont encore occupés en ce moment, tous par des patients touchés par le COVID-19. C’est la même chose à Croydon, partout ici c’est pareil. C’est pourquoi j’ai été très fâché avec certains de mes amis dans la voile lorsqu’ils m’ont dit « Ça ne tue pas tant de gens que ça, ce n’est pas pire que la grippe ». C’est beaucoup plus grave. Je pense que les gens vont se rendre compte que dans ce contexte, ça ne vaut peut-être pas la peine de mettre leur bateau à l’eau pour un ou deux événements.
Que peut faire l’IMA dans ce contexte ?
Quand j’ai pris en main l’IMA, elle ne marchait qu’autour d’un événement, les championnats du monde de Maxi, nous avons peu à peu grandi pour pouvoir apporter de l’aide, des conseils et parfois un soutien financier à un certain nombre d’autres régates. Et à ma grande surprise, nous avons également été accueillis par de nombreux yacht-clubs. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec sept événements principaux, nous essayons d’encourager nos membres à assister à ces événements pour que les yachts clubs soient heureux. Nous allons nous concentrer sur l’essentiel, nous allons simplement essayer de permettre à ces événements ciblés d’organiser de belles courses. C’est tout ce que nous pouvons vraiment faire. Nous continuerons avec ces principaux yacht clubs et événements avec lesquels nous travaillons. Je viens d’écrire aux présidents de ces clubs pour leur dire que je suis terriblement désolé pour cette année, mais nous continuerons à les soutenir à l’avenir. Tout est en suspens et je n’ai pas beaucoup d’espoir que quelque chose se passe cette année
L’IMA marchait très bien, n’est-ce pas ?
Oui, c’était fantastique, nous n’avons jamais été aussi forts. Quand j’ai commencé, il y a cinq ou six ans, nous avions des adhérents âgés qui avaient rejoint l’association à l’époque où elle était plus comme un club social et avaient depuis vendu leur bateau ou étaient décédés. Le nombre de membres diminuait donc progressivement, mais nous obtenions deux ou trois nouveaux membres chaque année. L’année dernière, nous avons eu dix nouveaux membres. C’était en plein essor. Nous avons participé à toutes les régates en apportant à chaque fois une vraie valeur ajoutée. Et le nouveau président Benoît (Benoît de Froidmont) est très optimiste et enthousiaste. Nous étions en pleine expansion. Mais cela ne va pas disparaître et j’espère que nous pourrons remettre la machine en marche, c’est en tout cas ce que nous avons l’intention de faire.
Dans ce sombre tableau, y a-t-il des motifs d’espoir ?
Je pense qu’il y va y avoir une une tendance vers des bateaux plus petits, les dépenses augmentent de façon exponentielle avec la taille des bateaux, nous mettons plus d’espoir dans des bateaux pouvant être utilisés par des familles tout en l’étant pour la course. Le concept du Wally était bon pour ça, on pouvait y vivre, mais au fil du temps, ils ont rallongé les coques, fait des ponts plats, si bien que plus personne n’y vit plus. Mais on ne peut jamais empêcher les gens de dépenser beaucoup d’argent sur des bateaux pour obtenir un centième de nœud de vitesse en plus. Le monde a toujours été ainsi et cela ne disparaîtra pas.
Vous pensez que cette période aura un impact sur la voile en général, pas seulement que les courses de gros bateaux, pensez-vous ?
Oui, nous ne reviendrons pas où nous étions. Ce sera une grande, grande remise à zéro pour tout le monde. Je pense que tout le rythme de la vie va changer. Il va ralentir. Les gens réaliseront qu’ils peuvent profiter de la voile pour ce qu’elle leur apporte et qu’ils n’ont pas besoin d’aller le petit pourcentage de noeud qui leur manque pour gagner.
Ils voudront davantage naviguer en famille ?
Notre président navigue avec un équipage français très expérimenté et gagne, mais il prend aussi sa famille, et d’autres font de même. La famille et les amis sont très importants. On ne peut pas vraiment suivre la voie des Maxi72 ou des TP52, mais je pense que nous verrons davantage de propriétaires naviguer avec la famille et les amis et qui feront ainsi passer ce plaisir avant la victoire.
Photo: Studio Borlenghi / International maxi Association