Moins d’un mois après le lancement par Sirius Events, la société de Manfred Ramspacher, de la Globe 40, tour du monde en double en huit étapes à horizon 2021-2022, la Class40 se retrouve avec un deuxième projet de tour du monde, toujours en double, en 2023 et sur un parcours « classique » de quatre étapes, The Race Around, dévoilé par le Britannique Sam Holliday et le Néo-Zélandais Hugh Piggin. Comment en est-on arrivé là ? Comment les skippers de la classe accueillent-ils ces annonces ? Tip & Shaft fait le point.
Cela fait désormais quelques saisons que la Class40 réfléchit à l’organisation d’un événement majeur et planétaire, à même de prendre le relais de la Route du Rhum, sommet jusqu’ici du calendrier de la classe. “Il manque à la Class40 son épreuve-reine, on y travaille, j’aimerais qu’avant la Route du Rhum, un projet puisse être annoncé”, confiait ainsi à Tip & Shaft son président Halvard Mabire en février 2018. Si ce dernier n’a pas été exaucé en termes de timing, il a eu le droit en l’espace d’un mois à deux annonces. Coup sur coup, Manfred Rampsacher, le 11 juin, et le duo Sam Holliday/Hugh Pighin (organisateur notamment de l’Atlantic Cup) mardi dernier, ont en effet dévoilé leurs projets de tour du monde en double : le premier en 2021, en huit étapes sur un parcours original (notamment l’île Maurice, la Polynésie française et Ushuaia) baptisé Globe40, le second, The Race Around, sur un parcours plus classique par les trois caps, en quatre étapes, à horizon 2023.
“Pour avoir travaillé pendant des années avec la Class40, spécialement avec Halvard Mabire et Miranda Merron, je connaissais leur désir d’avoir un événement majeur. Un parcours classique, passant par les trois caps, me semble avoir du sens, nous croyons fermement que la Class40 a besoin d’une course comme ça“, explique à Tip & Shaft Sam Holliday pour justifier le lancement de The Race Around. Reste que la concomitance des deux annonces a de quoi surprendre, d’autant qu’au départ, le projet The Race Around n’était pas forcément prévu pour 2023. “Nous savions que des gens réfléchissaient depuis longtemps, c’est vrai que ça se débloque en même temps, mais ce ne sont que des bonnes nouvelles. Et à partir du moment où Manfred avait annoncé son projet avant, il avait la primeur de la date”, explique Halvard Mabire, tandis que Manfred Ramspacher précise : “A l’origine, je devais annoncer la Globe 40 plus tôt, différentes circonstances ont fait je ne l’ai fait qu’en juin.”
La Class40, qui n’avait plus de tour du monde depuis la Global Ocean Race lancée par Josh Hall (deux éditions en 2008-09 et 2011-12), se retrouve par conséquent avec deux en deux ans, ce qui fait dire à Louis Duc, l’un des piliers de la classe : “Ce qui me gêne un peu dans l’histoire, c’est que ces deux projets se lancent quasiment en même temps. Ce serait déjà bien qu’il y ait un tour du monde viable avec une quinzaine de bateaux, là, on se retrouve avec deux épreuves un peu en concurrence, c’est un peu dommage.” Halvard Mabire estime au contraire que les deux sont “complémentaires“ : “Il y a quelques années, ça aurait été néfaste d’avoir deux tours du monde, mais en faisant des sondages auprès des adhérents de la classe, on s’est rendu compte que leurs aspirations lorsqu’on leur parlait de tour du monde étaient très différentes, ces deux projets répondent finalement à cette différence de point de vue, la philosophie n’est pas la même, même si certains feront peut-être les deux, comme à l’époque ceux qui couraient à la fois le Boc et le Vendée Globe.”
Catherine Pourre, qui navigue depuis longtemps en Class40 et fait partie du bureau de la classe, est sur la même longueur d’ondes : “Je pense que ce sont deux offres différentes qui ne s’adressent pas tout à fait la même clientèle, la Globe 40 vise plus un public pro-am de propriétaires.” Ce que confirme Louis Duc : “Le projet de Manfred correspond plus à des amateurs avec un peu de moyens qui accompliraient le rêve de leur vie. Pour eux, ce format est génial, tu passes dans des endroits de fou. Ça me paraît plus compliqué pour des skippers professionnels, parce que c’est très long, quasiment un an avec la préparation.”
Des professionnels qui pourraient être davantage tentés par The Race Around, comme l’explique Halvard Mabire : “L’approche des Américains est plus classique, sur un parcours plus engagé, donc plus fait pour des professionnels qui veulent d’abord faire la Route du Rhum, je les vois mal s’engager sur un tour du monde avant. La problématique que l’on rencontre souvent après le sommet qu’est le Rhum, c’est de garder des partenaires sur des challenges aussi motivants, un tour du monde 2023 peut répondre à cette problématique.” Sam Holliday abonde : “The Race Around permet aux coureurs de poursuivre leurs partenariats après la Route du Rhum, tout en restant dans la classe”.
Nouveau venu cette année en Class40 avec son compatriote Simon Koster, leur tout nouveau Mach 40.4 signé Sam Manuard sortant du chantier JPS fin août, le Suisse Valentin Gautier est justement sensible à cet aspect : “Comme nous avons vendu deux Jacques Vabre à nos partenaires, le premier tour du monde nous intéresse assez peu, d’autant qu’on trouve que huit étapes, ça risque de faire des coûts assez délirants. Pour le deuxième, qui arrive après le cycle menant à la Route du Rhum, c’est plus ouvert car ça peut être une solution pour continuer le projet et motiver des partenaires en les emmenant un cran plus loin sur un tour du monde.”
L’enjeu financier est un aspect sur lequel Louis Duc insiste lui aussi : “Quel que soit le schéma, quatre ou huit étapes ça coûte cher”. Même si, pour Catherine Pourre, qui finance ses projets sur ses fonds propres (elle est dirigeante d’entreprise) et s’avoue “assez intéressée par le parcours classique”, le delta entre une saison normale et une année comprenant un tour du monde type The Race Around ne sera pas forcément si important : “Aujourd’hui, une saison de Class40 me coûte de 150 000 à 200 000 euros, avec la maintenance du bateau et sans amortissement parce que j’en suis propriétaire. Je pense qu’il faudrait mettre 100 000 euros de plus, ce qui n’est pas démentiel. Il n’est en outre pas exclu qu’il y ait un peu de sponsoring du côté de l’organisateur afin qu’il prenne en charge des frais de logistique.”
Les deux organisateurs misent sur des budgets assez similaires : 1,5 à 2 millions d’euros pour la Globe 40, confiait il y a un mois Manfred Ramspacher qui mise surtout sur la ville de départ/arrivée et les ports d’escales ; proche des 2 millions avec un important prize-money, selon nos informations, pour The Race Around, assurés par des fonds privés. Interrogés sur une éventuelle concurrence entre eux, ils la jouent plus ou moins fair-play, mettant surtout en avant leur modèle : “On est dans des pays de libre entreprise, chacun peut monter ses projets, mais sur le fond, je pense qu’il n’y a pas aujourd’hui une clientèle suffisante pour un tour du monde avec une approche très professionnelle, un peu en mode Vendée Globe. Il y a sans doute des professionnels qui seront intéressés, mais de là à créer un événement d’envergure, je n’y crois pas, c’est cette conviction qui m’a amené à proposer le concept de Globe 40″ , estime Manfred Ramspacher qui vise “20 à 30 duos“ en 2021, dont une forte proportion d’étrangers.
De son côté, Sam Holliday, qui table pour l’instant sur “15 à 20 bateaux“, explique : “Je souhaite le meilleur à Manfred pour la Globe 40. L’idée est bonne, même si j’ai quelques réserves au niveau du planning et de la logistique. 2021, ce n’est pas loin et la Globe 40 est suivie de la Route du Rhum. Personnellement, je ne ferais pas un tour du monde en amont de cet événement majeur, maintenant, les deux sont très différents.” Ils pourraient l’être davantage car The Race Around est susceptible de s’ouvrir au format solitaire. “Pour l’instant, nous avons annoncé que la course serait en double, mais la classe nous a demandé de réfléchir à l’option solitaire, il faut que nous en discutions, confirme Sam Holliday. Le fait de démarrer tôt nous permet d’avoir le temps de penser à toutes les options et de prendre les meilleures décisions.”
Photo : Cristophe Breschi / Les Sables-Horta 2019