L’annonce au cours des deux dernières semaines de la construction de quatre nouveaux bateaux (pour Antoine Carpentier, Axel Tréhin, Jonas Gerckens et Aurélien Ducroz) monte que la Class40, même en temps de crise, continue à attirer marins et partenaires. Et d’autres annonces devraient suivre, avec notamment un nouveau Pogo40 pour Jean Galfione. Comment ces projets se sont-ils montés ? La crise a-t-elle eu un impact ? Tip & Shaft a enquêté.
Après les deux premiers scows Crédit Mutuel (plan David Raison pour Ian Lipinski) et Banque du Léman (Mach 40.4 signé Sam Manuard pour Valentin Gautier et Simon Koster) sortis en 2019, puis la mise à l’eau, la semaine dernière, du nouveau Mach 40.4 d’Olivier Magré (photo), le début du mois de juin a été riche du côté de la Class40 avec quatre nouveaux bateaux annoncés, la plupart avec des partenaires et des budgets bouclés.
Prochain bateau attendu, fin août, un troisième Mach 40.4 pour Antoine Carpentier, construit chez JPS à La Trinité-sur-Mer, qui portera les couleurs de Redman. Un sponsor quasi nouvel entrant dans la course au large, dont le co-fondateur Matthias Navarro explique à Tip & Shaft ce choix stratégique : “Il y a d’abord le fait qu’Antoine soit un ami de 30 ans, puisque nous étions au collège ensemble. Nous l’avons ensuite suivi de manière un peu plus light sur la Route du Rhum en 2018. Ça nous a donné envie d’aller plus loin et d’investir davantage dans un sport qui, s’il est très éloigné de notre métier de la promotion immobilière, a des valeurs qui entrent en résonance avec les sujets de ville bas carbone et de ville inclusive que nous portons. »
L’accord entre les deux parties porte jusqu’à fin 2022 – Redman est armateur et assure une partie d’un budget de fonctionnement que le skipper annonce aux alentours de 300 000 euros HT (amortissement du bateau inclus) – a été scellé en février, juste avant que le Covid-19 ne débarque vraiment en France. Un événement qui n’a pas changé l’état d’esprit chez Redman, confirme Matthias Navarro : “Cette aventure au long cours n’a pas été du tout remise en cause par le Covid, c’est un sujet qui nous tient à cœur et sur lequel nous voulons vraiment avancer”.
Même cas de figure du côté de Volvo Belgique qui, en janvier, s’est engagé pour cinq ans aux côtés de Jonas Gerckens, avec un nouveau plan Raison construit, lui aussi, chez JPS. Et un programme le menant jusqu’à la deuxième édition de la Globe40 en 2025, doublé d’une campagne olympique sur la nouvelle épreuve de course au large mixte en vue des JO de Paris 2024. “Avec la crise, j’ai forcément eu des doutes, parce qu’on sait bien que dans ce genre de configuration, on est sur un siège éjectable, mais Volvo m’a très vite dit qu’il n’y avait aucune inquiétude à avoir, explique le Belge. En revanche, comme il fallait trouver des investisseurs pour le bateau, dont Volvo ne souhaitait pas être propriétaire, le dossier a été freiné. Quand j’ai appris à la sortie du confinement qu’il y avait pas mal de projets prêts à être lancés, j’ai prévenu les investisseurs que si on voulait ne pas rater une partie de la saison 2021, il fallait signer rapidement. Ils ont compris très rapidement et en une semaine, c’était réglé.” Le futur Max40, attendu en avril 2021, coûtera “entre 600 000 et 650 000 euros” selon l’ancien ministe qui table sur un budget annuel de l’ordre de 400 000 euros, amortissement du bateau compris.
De son côté, Aurélien Ducroz a annoncé mardi avec son partenaire Crosscall la construction d’un nouveau Class40 – architecte et chantier n’ont pas encore été choisis – qui sera lui aussi mis à l’eau au printemps 2021, à la grande satisfaction du champion de ski freeride (voir notre interview complète sur notre site), qui évoque un budget identique à Jonas Gerckens : “C’est la première fois que je vais avoir de la visibilité sur du long terme et que je vais pouvoir faire des saisons complètes, alors que jusqu’ici, c’était toujours course par course, à l’arrache.” Comment Crosscall, investi depuis 2016 auprès d’Aurélien Ducroz dans le ski et déjà co-partenaire sur la dernière Transat Jacques Vabre (5e place avec Louis Duc), s’est-il laissé convaincre ? “Sans cette belle aventure de la Jacques Vabre, je ne sais pas si on aurait signé ce projet, répond Benjamin Schweizer, responsable promotion de la société de téléphonie. Cela a été une super opportunité de faire un premier pas en tant que sponsor majeur d’un bateau sur un projet imbattable en termes de coûts et d’exposition [il évoque un investissement “en-dessous de 100 000 euros”, NDLR] Le fait d’avoir le naming du bateau, c’est incomparable, l’aventure a aussi été très suivie en interne. Ça nous a décidés à prolonger.”
Comme pour Volvo, Crosscall n’est pas armateur du bateau dont le skipper évalue le budget de construction “entre 700 et 750 000 euros”. Contrairement aux deux cas précédents, le projet a tout de même été impacté par la crise Covid : “Il y a eu des ajustements, parce nous devions initialement faire la saison 2020 sur un bateau loué, ce ne sera pas le cas, mais le cœur du projet reste intact”, explique l’ancien ministe. Qui retrouvera sur le circuit Class40 un autre marin issu de la classe Mini, Axel Tréhin. Ce dernier, deuxième de la dernière Mini-Transat en proto sur un bateau construit de ses mains, vient en effet de lancer un Max40 dont la maîtrise d’œuvre a été confiée à JPS, le skipper de Project Rescue Ocean assurant personnellement tout ce qui est “transportable” dans son atelier d’Auray.
Financé “autour de 650 000 euros” grâce à la vente imminente de son Mini et à un investisseur qui souhaite rester discret, le bateau est attendu fin décembre. Le marin n’a en revanche pas encore de partenaire pour assurer le budget de fonctionnement qu’il évalue à 370 000 euros par an – amortissement du bateau et prestation de communication compris. “Mais si on s’est lancés là-dedans, c’est parce qu’on y croit. On a le temps de la construction pour boucler le budget d’exploitation du bateau au moins sur 2021, idéalement jusqu’à fin 2022. Sachant que ce qui fait un peu ma différence par rapport à d’autres, c’est justement d’être hyper impliqué dans la partie construction, ça permet de raconter une histoire plus longue qui commence d’une page blanche et va jusqu’à traverser l’Atlantique en double ou en solitaire.”
Une “histoire longue“, Jean Galfione en raconte une depuis plus de deux décennies, entre sa première vie de perchiste de très haut niveau (champion olympique en 1996) et une seconde de marin. Cette dernière va au moins se prolonger jusqu’en 2022, puisque l’intéressé révèle à Tip & Shaft qu’il sera le destinataire du premier Pogo 40S4 sur plan Verdier, qui marque le retour du chantier Structures sur le support (voir notre article). Ce sera le troisième 40 pieds de Jean Galfione, fidèle à la classe depuis 2010.
“Avant même la dernière Route du Rhum, on avait ce projet de bateau neuf avec mon sponsor Marc Le Bras, qui dirige Serenis Consulting. On a attendu de voir les dernières évolutions sur la Transat Jacques Vabre et, à partir de là, on a commencé à discuter avec différents architectes et chantiers. Moi, j‘avais vraiment envie de travailler avec Structures parce qu’ils avaient dessiné mon premier bateau, mais quand je les ai contactés au tout début, ils n’étaient pas encore prêts à repartir en 40 pieds. J’ai ensuite contacté David Raison, mais les choses ne se sont pas concrétisées, puis Erwan (Tymen, responsable technique chez Structures) m’a rappelé, en me disant que je les avais titillés et qu’ils allaient se lancer.” La construction débute en septembre pour une mise à l’eau en mars et il y a de fortes chances que ce premier Pogo 40S4 ne soit pas le seul au départ de la prochaine Route du Rhum. “On a présenté le projet à pas mal de monde, deux ou trois skippers sont plutôt très intéressés“, confirme Erwan Tymen.
Du côté du cabinet Marc Lombard aussi, les choses bougent, ce que confirme l’architecte Eric Levet : “On est en cours de finalisation pour un deuxième bateau [un premier a été dessiné pour l’Australien Rupert Henry qui souhaite courir la Globe40 en 2021, NDLR] qui devrait être construit en Bretagne pour une mise à l’eau en avril 2021 [ce n’est pas le futur Crosscall, nous a confirmé Aurélien Ducroz, NDLR]. La période n’a pas remis en cause le projet, on se rend compte que la plupart des projets de Class40 qui étaient en discussion sont confirmés, c’est une bonne nouvelle.” Ce que note aussi Jonas Gerckens : “Dans la situation actuelle, entre crise sanitaire financière, c’est une bouffée d’oxygène de voir autant de nouveaux projets se lancer, de nouveaux partenaires arriver ou d’anciens renouveler leur engagement. “
Pour le président de la classe Halvard Mabire, cette résilience s’explique par l’accessibilité de la Class40 : “Dans la période actuelle, l’intérêt pour la voile et ses valeurs va probablement monter. Et quand certains vont réfléchir au bon support pour aborder la course au large, la Class40 sera bien positionnée, c’est une des classes qui va le mieux résister à la crise dans la mesure où les budgets sont raisonnables. Je suis assez content à ce titre qu’on ait résisté à la pression qu’on a eue il y a deux-trois ans quand certains voulaient qu’on autorise les foils.” Aurélien Ducroz, qui a, un temps, tenté de monter un projet de Vendée Globe, ajoute : “On est loin des millions d’euros d’investissement d’autres supports ; la Class40, avec des budgets limités ouvre l’accès à des courses magnifiques. “
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Photo : Olivier Magré