Class 40 en bois

Bateaux de course en bois : une alternative crédible ?

A l’heure où le bilan carbone des bateaux en composite interroge, le Greenscow 40, porté par l’architecte Gildas Plessis, se pose en alternative. Ce concept de Class40 construit en contreplaqué de bouleau, décliné sur un avant-projet d’Imoca, entend réduire considérablement l’impact environnemental des bateaux, pour des performances proches ? Tip & Shaft vous en dit plus.

La dernière victoire au scratch d’un bateau en bois dans une grande course au large remonte à… 1980. C’était le trimaran Moxie, mené par l’Américain Phil Weld, sur la sixième édition de la Transat anglaise. Malgré quelques performances isolées depuis, la maîtrise croissante du composite a envoyé aux oubliettes ce matériau, tout comme l’aluminium, son meilleur concurrent de l’époque. Mais la prise de conscience environnementale questionne aujourd’hui la course au large, jusqu’à reconsidérer des pratiques.

Certaines classes, comme les Mini 650 ou les Ocean Fifty, ont par exemple pris des mesures pour limiter le nombre de bateaux produits, mais aucune démarche marquante sur le plan technique n’a été engagée, déplore l’architecte naval Gildas Plessis. Et ce dernier d’ajouter : “Très déçus de la réponse de l’industrie nautique et de la course au large à l’Accord de Paris de 2015, nous avons engagé une réflexion avec le constructeur Flavien Gaulard (fondateur du chantier Kaori Concept, situé au sud de Nantes) avec l’idée de produire un bateau moderne, mais le plus bas carbone possible.” Cette réflexion a donné naissance en 2018 au Kaori 5.50, petit scow construit en mélèze, dont la construction “n’émet pas plus de CO2 que son propre poids (450 kilos), soit dix fois moins qu’une unité de série en polyester”, souligne l’architecte.

Le chantier a ensuite poursuivi cette démarche en imaginant le Greenscow 40, Class40 dont la construction du premier exemplaire, pour un propriétaire souhaitant allier course et croisière rapide, devrait débuter sous peu chez Kaori Concept. Gildas Plessis affirme être par ailleurs en discussion avec trois coureurs pour une version 100% course, sans vouloir les citer. “Nous avons utilisé la base de données de l’ADEME qui, pour chaque kilo de matériau utilisé, donne un équivalent carbone, intégrant de nombreux critères. L’énergie émise bien sûr, mais aussi les circuits d’approvisionnement ou l’entropie. Nous avons fait un gros travail d’acquisition et de sourcing pour trouver les bons fournisseurs et la meilleure formule”, explique-t-il.

 

Du bouleau et de la fibre de basalte

 

La meilleure formule serait ainsi… le contreplaqué. L’architecte a jeté son dévolu sur le bouleau, 30% plus lourd que l’okoumé africain – majoritairement utilisé aujourd’hui pour des constructions de bateaux en bois – mais présent massivement dans les forêts scandinaves, d’où un coût moindre, y compris écologiquement.

La résine époxy reste en revanche incontournable, tandis que si l’usage des fibres végétales (le lin par exemple) est possible pour la stratification et les liaisons, l’architecte, jugeant leurs caractéristiques mécaniques modestes, leur préfère le basalte, roche volcanique présente notamment dans le Massif Central et dont la fibre tissée est un peu plus performante que le verre E. Problème, elle est interdite par la Class40 qui la juge trop chère, “deux fois plus que le verre”, selon François Angoulvant, chef mesureur de la classe et docteur en matériaux composites. Pourrait-il y avoir dérogation pour son usage associé à du contreplaqué afin d’encourager la décarbonation ? “La porte n’est pas complètement fermée”, répond ce dernier.

Reste que le premier gain écologique est l’absence de moules, synonyme de réduction considérable de l’empreinte carbone, comme le montre l’analyse du cycle de vie menée par l’équipe américaine 11th Hour Racing sur le plan Verdier vainqueur de The Ocean Race (aujourd’hui Groupe Dubreuil, avec Sébastien Simon à la barre) : 28,5% des 538 tonnes de CO2 émis à la construction sont issus de la fabrication des moules, eux-mêmes en carbone. Sur ces bases, Gildas Plessis, reprenant un dessin qu’il avait entamé pour le figariste Ronan Guérin en 2012, a d’ailleurs travaillé sur un avant-projet d’Imoca Greenscow, également en contreplaqué de bouleau et avec des lisses en mélèze.

Son bilan carbone ? Pas plus de 200 tonnes de CO2, le tout pour un surcroît de masse que l’architecte estime à seulement 500 kg (9 tonnes en tout). Il a récemment présenté cet avant-projet, qu’il qualifie de “démonstrateur”, à la classe Imoca. Si son président Antoine Mermod souligne “le sérieux et l’approche novatrice”, la commission sustainability, n’a pas souhaité se prononcer, “n’ayant pas eu le temps de l’étudier en profondeur”.

 

Entre scepticisme et volontarisme

 

Après en avoir pris connaissance, Nicolas Andrieu, ingénieur naval chez BeYou Racing et récent vainqueur de la Transat Jacques Vabre en Class40, nous a quant à lui répondu : “Je ne conteste pas l’intérêt environnemental de la démarche, mais j’y vois au moins deux biais : le premier, c’est que le démonstrateur en bois est un bateau à dérives et il est comparé à un foiler de génération 2020Les derniers Imoca à dérives, tels que Macif (2012), sont sortis à 7,5 tonnes. La génération actuelle de foilers est bien à 8,5 tonnes, mais avec 600 kilos de foils, le reste étant investi dans la structure. Il faut comparer ce qui est comparable. Quant à la norme CE sur laquelle reposent les calculs, je pense qu’il faut multiplier au moins par deux ses cas de chargements pour tenir compte des efforts réels subis par le bordé d’un Imoca.”

Interrogé quant à lui sur le Greenscow 40, François Angoulvant estime que les carènes de scow ne se prêtent pas très bien à l’exercice : “Au lancement de la Class40, certains bateaux étaient en bois, j’en ai eu d’ailleurs un. Ils étaient 400 à 500 kilos plus lourds que ceux en composite qui étaient gueusés de 300 à 400 kilos pour atteindre le poids de jauge. Aujourd’hui, les scows ont tellement besoin d’être structurés qu’ils arrivent naturellement à ce poids minimum. Je ne vois pas comment un bateau en contreplaqué pourrait être compétitif, il n’y a pas de baguette magique.”

De son côté, Manfred Ramspacher, organisateur de la CIC Normandy Channel Race et de la Globe40, à laquelle pourrait participer le premier Greenscow 40, se montre plutôt enthousiaste : “A un moment ou à un autre, il va falloir bouger. Le bateau de Gildas Plessis sera très observé à sa sortie. C’est une démarche naissante, les coureurs demandent à voir, mais je pense que les grandes marques intéressées par les mouvements de la société seront réceptives à l’idée d’investir dans un projet de ce type.”

Le mot de la fin au porteur du projet : “Notre démarche n’est pas de dire qu’il faut faire CE bateau-là, mais c’est une voie. Il faut juste continuer à travailler pour voir si c’est possible. Et les coureurs qui nous contactent aujourd’hui se fichent de gagner. Ils veulent simplement être les premiers à raconter cette histoire.”

Photo : Gildas Plessis

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