Contrainte à l’abandon sur les 1000 Milles des Sables suite à une commotion, Amélie Grassi, 28 ans, prend le départ dimanche à Caen, aux côtés d’Anne-Claire Le Berre, de la CIC Normandy Channel Race, à laquelle participent 30 duos en Class40. L’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec la skipper du plan Raison La Boulangère Bio.
► Tu es “une enfant de la balle”, la voile s’est-elle logiquement imposée pour toi ?
C’est clair que j’ai toujours baigné dedans, parce que mes parents bossaient tous les deux dans le nautisme, mon papa (Olivier Grassi) a fait la Route du Rhum en Class40 en 2010, ma maman (Sandrine Bertho) la Mini Transat en 2009, avant de rejoindre le team Actual [dont elle est la team manager, NDLR]. Après, à la base, je suis juriste/chercheur en droit du travail, j’étais vraiment passionnée par ça. Je regardais avec admiration et intérêt ce qui se passait en course au large, mais avant mes 20 ans, je n’avais jamais pensé à en faire moi-même.
► Quel a été le déclic ?
J’ai commencé à filer des coups de main à des potes qui faisaient du mini, et en les voyant partir sur la Mini Transat 2015, je me suis dit que je ferai ça un jour, mais pas pour en faire un job, juste pour vivre l’aventure une fois. Je suis d’abord allée au bout de mon cursus universitaire, j’étais ensuite censée débuter une thèse à Paris sur les relations collectives de travail, j’ai alors décidé de faire la Mini en 2019 avant de revenir à ma thèse, finalement, je ne l’ai pas reprise ! Maintenant, rien n’est écrit ni arrêté dans la vie, je retournerai peut-être au droit un jour.
► Cette Mini 2019 a été une révélation ?
Oui, une Mini Transat est un voyage intérieur assez profond, au cours duquel tu vis les émotions de façon très forte du fait de la déconnexion avec la terre. Malgré le fait que je sois repartie après tout le monde sur la deuxième étape à cause d’une avarie, je me suis sentie complètement dans mon élément, je me suis régalée au large et au jeu de la régate, je me suis dit que je ne pouvais pas m’arrêter là.
“Le niveau est devenu
hyper élevé en Class40″
► Tu as terminé 8e (en série), pourquoi n’as-tu pas continué pour une deuxième Mini Transat ?
J’aurais trop aimé, mais comme je voulais vivre ma première Mini à fond, je m’y étais mise à plein temps, si bien que j’étais proche de la banqueroute en rentrant, j’avais siphonné toutes mes économies ! Si je voulais continuer la voile, il fallait que ça devienne un job. Comme c’est difficile de trouver des partenaires en mini 6.50, je me suis mise à en chercher avant ma Mini Transat, en vain, pour faire l”AG2R avec Ambrogio Beccaria. Et là, à l’arrivée, je reçois un coup de fil de Marine Derrien, alors chez OC Sport, qui me propose de faire la transat avec un partenaire qu’ils avaient trouvé, Mutuelle Bleue, et le co-skipper de mon choix, royal ! Malheureusement, le Covid est passé par là, et un mois après avoir commencé à l’entraînement, on a dû tout arrêter.
► Comment as-tu rebondi ?
A l’arrivée de la même Mini Transat, la responsable communication de La Boulangère était venue me parler d’un projet au large avec une femme. On avait gardé le contact, si bien qu’on s’est remises à travailler sur ce projet. C’était assez ouvert entre Figaro et Class40, on a finalement opté pour le Class40 qui permet d’accéder à des courses offrant une belle visibilité côté sponsoring, comme la Jacques Vabre ou la Route du Rhum. Et moi, j’avais eu un tel coup de cœur pour le large sur la Mini que ça me convenait parfaitement.
► N’as-tu pas éprouvé le besoin de passer par la classe Figaro pour faire tes gammes ?
J’ai adoré le peu d’entraînements qu’on a faits en Figaro, il y a beaucoup à apprendre, je m’étais d’ailleurs inscrite pour candidater à la filière Bretagne CMB. Après, je ne pouvais pas laisser passer le projet avec La Boulangère. Et aujourd’hui, on bénéficie en Class40 d’un plateau qui ressemble de plus en plus à celui du Figaro, on va faire une Route du Rhum avec Corentin Douguet, Yoann Richomme, Axel Tréhin, Ian Lipinski, Xavier Macaire… Le niveau est devenu hyper élevé.
“J’irai sur la Route du Rhum
avec l’envie d’être devant”
► Tu as disputé la Jacques Vabre avec Marie Riou, tu as choisi Anne-Claire Le Berre pour t’accompagner sur la CIC Normandy Channel Race, es-tu obligée de composer un duo 100% féminin ?
Il n’y a rien de contractuel, mais l’ambition du projet est de passer le message, qui me tient à cœur, que les femmes peuvent performer dans ce sport mixte, c’est donc cohérent de faire un duo féminin. Pour la Normandy, j’ai forcément pensé à Marie, mais on s’est dit qu’on referait d’autres courses ensemble plus tard, elle savait aussi que j’avais envie de naviguer avec Anne-Claire qui m’avait invitée l’année dernière en mini pour l’Arcipelago et le GP d’Italie. On avait été en phase, on avait beaucoup rigolé, ça avait été une révélation. Ça a été un peu compliqué de trouver de la dispo parce qu’elle est maman et directrice technique d’Initatives Cœur avec un bateau neuf qui arrive, mais elle a réussi.
► Qu’attends-tu de cette course ?
C’est un format que je n’ai jamais pratiqué, j’ai un peu l’impression que c’est une grande étape de Figaro, j’ai hâte de découvrir l’intensité de ce parcours. L’idée, c’est d’éviter de se mettre la pression en regardant le plateau de dingue qui nous entoure, il vaut mieux se concentrer sur notre vitesse, on a bien travaillé en amont, on a moyen de jouer aux avant-postes. Avec Anne-Claire, on est deux compétitrices assez énervées, je pense qu’il faudra mettre du rythme dès le début de la course, ce qu’on a bien l’intention de faire. Je suis sûre qu’on va passer un bon moment, j’adore le jeu la régate, là, avec du courant dans tous les sens, plein de cailloux, des vents de sable, c’est trop drôle !
► Le grand rendez-vous de la saison sera la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, un monument de la course au large, comment l’appréhendes-tu ?
Oui, c’est un monument, mais ça ne m’oppresse pas. Je trouve en revanche épique d’avoir fini mes études de droit il y a quatre ans et de me retrouver au départ de la Route du Rhum, ça fait bien marrer tous mes potes à Paris, c’est quand même une sacrée case à cocher dans ta vie. On affinera les objectifs précis après la Drheam-Cup, mais j’irai avec l’envie d’être devant. Je suis lucide sur le fait que j’ai moins d’expérience et que sur le papier, je ne serai pas favorite, mais je sais faire de belles trajectoires et aller vite le bateau, j’ai un super mental sur les longues courses en solo, je pense que je serai à l’aise.
► Et la suite ?
Je n’ai pas trop de plan de carrière dans la mesure où je n’arrive pas à me rendre compte si dans cinq ans je ferai de la course au large ou du droit ! J’ai plutôt tendance à prendre la vie comme elle se présente et à suivre mes envies et les opportunités. Pour l’instant, j’aimerais bien continuer au moins deux ans en Class40 pour avoir le sentiment du travail achevé avant de passer à autre chose.
Photo : polaRYSE