Brest a accueilli mardi et jeudi les deux premiers de l’Arkea Ultim Challenge-Brest, Charles Caudrelier et Thomas Coville. Tip & Shaft s’est entretenu sur place avec Joseph Bizard, directeur général d’OC Sport Pen Duick pour évoquer la première édition de la course autour du monde en solitaire en Ultim.
▶︎ Même si elle n’est pas encore terminée, estimes-tu que cette première édition est une réussite ?
Oui, c’est une franche réussite, déjà parce que, comme le disait Loïck Peyron, elle remplit toutes les cases qui font qu’on aime ce sport, elle raconte l’inconfort, l’incertain, tout ce qui fait qu’un jour, le Vendée Globe, quand il avait été lancé, avait passionné. Sur le plan sportif, cette course a eu deux temps différents : celui, très fort, de la première partie, qui laissait entendre que ces bateaux étaient capables de régater au plus haut niveau pendant une durée longue, y compris dans l’Atlantique Sud, ce qu’ils n’avaient que peu fait jusqu’à présent ; la deuxième phase a été plus tournée vers l’aventure, avec un leader qui s’installe et laisse ses poursuivants suspendus à ses risques de casse et à leurs capacités à remonter. A ceux qui disent qu’il n’y avait pas de suspense à la fin, je dirais le contraire, car jusqu’au bout, on était dans l’inconnu sur beaucoup d’éléments.
▶︎ Sur la partie événementielle et populaire, quel est le bilan ?
Le peuple brestois, breton et même au-delà, a mordu au concept. Sur le départ, on a compté 150 000 personnes, je pense qu’on aurait même pu faire plus, mais le village était dimensionné pour une jauge à 100 000, car il y avait quand même une petite incertitude sur la période. Je pense qu’on a réussi à accueillir tous ces gens dignement avec des choses nouvelles, nous avons investi lourdement sur l’espace en entrée de village qui a bien marché. On a bien fait le job sur le plan événementiel, également sur les arrivées avec un plan de célébration des marins qui a bien marché, on a eu entre 5 500 et 6 000 personnes pour l’arrivée de Charles, ça fait un beau stade, et encore une fois, il sera temps de l’agrandir, on a la place de faire plus et différemment.
“Autour de 50 millions d’euros de retombées”
▶︎ Es-tu satisfait de la médiatisation de la course ?
On avait deux défis différents : le premier était de faire exister une course nouvelle, la simple idée ne suffit pas à embarquer du public. Donc pour cela, il a fallu poser sur le papier l’histoire de ce tour du monde, avec une identité de marque, des logos, des images, c’est la première fois qu’on fait cet exercice collectivement et je pense qu’on a réussi à créer un univers qui correspond bien à ce qu’on voulait faire, un mélange entre une aventure technologique et une épreuve mythique qui va s’inscrire dans l’histoire de la course au large, cet univers qu’on a posé va s’inscrire dans le temps. Ensuite, il fallait le faire connaître au plus grand monde, sachant qu’il y avait la Transat Jacques Vabre avant, et que les temps médiatiques de ce genre d’événement ont tendance à être de plus en plus courts. La fenêtre de tir était très resserrée pour faire exister la course, on avait estimé qu’il fallait lancer notre plan de communication six mois avant, entre juin et septembre, avec une montée en charge à partir de la conférence de presse du 30 novembre. On a fait le choix de mettre nos moyens sur cette période.
▶︎ Et quels sont les résultats ?
Le résultat, ce sont des chiffres considérables pour l’audience du direct départ : 1,25 million de personnes entre la télévision et nos canaux digitaux, c’est très satisfaisant. Ensuite, en termes de retombées depuis le début de l’événement, on va faire autour de 50 millions d’euros (d’équivalent publicitaire), soit l’équivalent d’une très grosse course muti-classes. Pour donner un ordre de grandeur, on était à 80 pour la Route du Rhum 2018, et plus de 200 pour l’édition 2022.
▶︎ L’intérêt médiatique a-t-il pâti d’un intérêt sportif qui s’est réduit en raison du cavalier seul après un peu plus de dix jours de Charles Caudrelier ?
Quand tu lances une course, tu ne sais pas quel va être le scénario, on s’était préparés à un scénario d’une bataille en tête à cinq bateaux comme à celui d’une course avec très peu de bateaux à l’arrivée. Là, on a eu celui d’un mano à mano dans la première partie puis des marins qui ont géré leur effort dans des conditions qu’ils n’avaient pas choisies, on a sans doute perdu en intérêt sportif ce qu’on a gagné en aventure et en belles histoires de marins. D’ailleurs, quand tu entends a posteriori ce qu’ils ont vécu, le seul regret qu’on puisse avoir, c’est de ne pas en avoir su plus pendant la course pour raconter à quel point c’était un défi de dingue au quotidien.
“L’idée est validée”
▶︎ Quelles leçons pouvez-vous en tirer dans la manière de communiquer des marins ?
On va faire le débriefing avec les teams et réfléchir à ce qu’il faut faire pour que cette course ait encore plus de succès lors de l’édition suivante. Dans les éléments qu’on va partager, cette partie va être importante. Pour des intérêts sportifs évidents, tu évites parfois de communiquer ce qui se passe en interne, ça paraît logique quand tu es dans une optique de performance, mais d’un autre côté, il faut aussi trouver un équilibre avec ce que tu vas donner à voir au public qui suit cette course au moins autant pour l’intérêt sportif et pour l’aventure qui le fait rêver.
▶︎ Te projettes-tu déjà vers la deuxième édition ?
S’il a fallu vingt ans pour que cette course ait lieu, c’est qu’il fallait l’idée, les bateaux, la fenêtre, les partenaires et l’équipe pour l’organiser. Aujourd’hui, l’idée est validée, personne ne dira le contraire, et ça en appelle nécessairement une autre. Cette première a un goût de reviens-y, avec des bateaux qui seront sans doute beaucoup plus fiables la prochaine fois. La fenêtre décembre/janvier fonctionne plutôt bien, particulièrement ici à Brest, et les partenaires, on les a, puisque Brest et Arkéa sont contractuellement engagés sur deux éditions. On est donc très enthousiastes à l’idée de remettre ça dans quatre ans, avec, on l’espère, deux ou trois bateaux de plus pour rajouter de l’intérêt à la course.
▶︎ L’Arkea Ultim Challenge-Brest pourra-t-elle un jour avoir l’aura d’un Vendée Globe ?
Je n’étais pas là au premier Vendée Globe, mais quand tu regardes le paysage aujourd’hui dans notre sport, il y a des événements très solidement installés et attendus, la Route du Rhum, le Vendée Globe, qui sont des institutions pour lesquelles les gens se passionnent notamment parce qu’il y a une histoire. L’Arkea Ultim Challenge-Brest était une pierre qui manquait à l’édifice de la course au large, elle est indispensable, donc de ce point de vue, elle a trouvé sa place.
Photo : Alexis Courcoux