Women's America's Cup

Women’s America’s Cup : “Un tournant pour les femmes dans la voile”

Du 5 au 13 octobre à Barcelone, sur le même format que pour la Youth, six équipages issus des défis en lice sur la 37e America’s Cup ainsi que six équipages invités s’affronteront en AC40 sur la Puig Women’s America’s CupUne grande première pour les femmes, sur laquelle Tip & Shaft s’est penché.

Il aura fallu 173 ans et 37 éditions pour voir la Coupe réellement s’ouvrir aux femmes ! Ma première réaction, c’est : enfin ! Ma deuxième, c’est : j’ai hâte d’y être”, résume Manon Audinet, skippeuse et régleuse tribord de l’équipage français Orient Express L’Oréal Racing Team. Depuis près d’un an et demi, la vice-championne d’Europe de Nacra 17 a passé toutes les sélections pour intégrer l’équipe féminine du défi, tout en reconnaissant que la Coupe, c’est à la fois le projet ultime et celui que je n’aurais jamais osé imaginer. C’est un tournant dans une carrière et pour les femmes dans la voile”.

Et pour cause : l’existence d’une compétition 100 % féminine sur le plus vieux trophée du monde est une première historique, annoncée voilà plus d’un an par le defender néo-zélandais. “On a la chance de faire partie de cette génération de navigantes qui défrichent, on espère créer les bases pour l’avenir, et que ce ne soit que le début du processus”, se réjouit la Rochelaise de 32 ans.

Dans les faits, il n’existe évidemment aucune restriction formelle empêchant les femmes de prendre part à l’America’s Cup. Certaines ont d’ailleurs ponctuellement participé à l’événement dès le XIXe siècle, et un équipage américain 100% féminin, Mighty Mary, emmené par Dawn Riley, a même participé aux Defenders Series en 1995. Mais ces exceptions n’ont permis que de confirmer la réalité d’une écrasante domination masculine sur l’événement, longtemps organisé sur des bateaux requérant notamment des efforts d’une extrême intensité.

 

“A bord, ce n’est plus
le muscle qui compte”

 

“On a dépassé ce seul paramètre avec les derniers progrès technologiques”, se réjouit Aloïse Retornaz, régleuse bâbord de l’équipage français. Les AC40, ces monocoques volants de 11,30 mètres capables d’atteindre plus de 45 nœuds de vitesse, sont “d’une complexité folle et nous ont toutes obligées à sortir de notre zone de confort”. Mais ils remettent aussi tout le monde à égalité : “A bord, ce n’est plus le muscle qui compte. On tient le bateau du bout des doigts, tout est une question de précision, il n’y a pas de fatigue physique, par contre une immense fatigue mentale avec la concentration. La seule chose qui permet de progresser, c’est les heures de vol et l’expérience accumulée”, poursuit la médaillée de bronze aux JO de Tokyo en 470, qui a beaucoup travaillé en simulateur avec ses coéquipières avant de récupérer l’AC40 français, lorsque les hommes ont pu naviguer sur l’AC75.

“Ce n’est pas l’idéal, mais on ne pouvait pas se permettre d’avoir deux AC40. En revanche, on a fait le choix, nous, d’avoir tout le monde sur la même base, ce qui a permis aux femmes d’être complètement intégrées, de suivre les débriefings, et de mutualiser au maximum les retours d’expérience de l’équipe masculine”, souligne le codirecteur du défi Orient Express Racing Team, Bruno Dubois, qui se réjouit de cette nouvelle opportunité. “Choisir de faire un événement à part plutôt que d’imposer des quotas à bord, ça permet d’augmenter la masse critique de femmes qui vont pouvoir se former sur ces bateaux, et c’est ça qui compte. Sur les 60 qui vont s’affronter à Barcelone, il y en a peut-être 5 ou 10 qui vont sortir du lot et pouvoir continuer à naviguer à ce niveau derrière.”

Comme chez les jeunes, la phase de qualification verra s’opposer en flotte dans un premier groupe les équipes engagées sur la 37e Coupe de l’America, dans un second six autres invitées. Les trois premiers des deux groupes s’affronteront en demi-finale, les deux équipes de tête disputeront un duel final, le 13 octobre, en match racing. Ce qui est intéressant, c’est qu’on ne connaît pas le niveau des autres. On en connaît beaucoup individuellement, notamment celles qui viennent de l’olympisme, mais il y a des profils très variés et surtout en équipage et sur ces bateaux, on ne sait pas ce que ça donne”, analyse Aloïse Retornaz, qui pense que la capacité d’adaptation va beaucoup jouer, surtout après un mois sans naviguer. La question c’est : qui va retrouver ses sensations le plus vite ?”

 

“Ce palier du 100 % féminin
est inévitable”

 

Au-delà du résultat pur, l’événement constituera quoi qu’il arrive un premier pas important pour combler l’énorme déficit d’expérience dans les régates de l’America’s Cup, se réjouit Victoria Low, la directrice du World Sailing Trust et pilier du Projet Magenta, qui œuvre pour la féminisation de la voile, dont 21 bénéficiaires participeront à cette compétition, dans dix des douze équipages engagés.

S’il n’a pas été épargné par la polémique – notamment au sujet des salaires dans l’équipe suisse, les femmes y étant nettement moins rémunérées que les hommes -, l’événement permet “d’aller dans le bon sens, même s’il reste des inégalités choquantes et que, à l’image de la société en général, on n’est pas au vent de la bouée”, constate Corinne Migraine, vice-présidente de la Fédération française de voile.

“Je crois qu’on est tous d’accord aujourd’hui pour dire que ce qui est souhaitable pour notre sport, c’est la mixité, poursuit-elle. Mais ce palier du 100% féminin est inévitable pour garantir à terme l’égalité des chances. Cela oblige les hommes à partager leur expérience, et les femmes peuvent accéder à des projets coûteux et complexes qui étaient jusque-là inaccessibles. On repousse le plafond de verre pour les filles de demain, qui auront le choix de construire leur parcours sportif librement et prouver qu’elles y ont leur place autant que les hommes.”

Et Manon Audinet de conclure : “Pour l’instant, c’est une régate en parallèle des hommes, mais c’est à nous de pousser pour montrer qu’on en a au moins autant envie qu’eux. On a les cartes en mains”.

Photo : America’s Cup

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