America's Cup

Thierry Fouchier : “Les français ont une super carte à jouer”

À 58 ans, Thierry Fouchier est l’un des marins français les plus expérimentés en matière de Coupe de l’America, avec six participations à son actif, dont une victoire en 2010 avec les Américains de BMW Oracle. De nouveau consultant pour le groupe Canal + qui retransmet la 37e édition, le Marseillais évoque pour Tip & Shaft les forces en présence au moment où vient de débuter la Coupe Louis Vuitton, l’épreuve éliminatoire entre les cinq challengers.

▶ D’un point de vue contexte général, comment se présente cette 37e édition de la Coupe de l’America ?
On est sur une édition classique, il n’y a rien d’extraordinaire, en dehors des bateaux qui le sont toujours autant. Le village ressemble un peu à ce qu’on avait vu San Diego (en 1995), avec des bases assez éloignées les unes des autres, ce qui fait que tout le monde est un peu dans son coin. On est assez loin, par exemple, de l’édition à Valence, où toutes les équipes étaient dans le même bassin, ce qui donnait vraiment une énergie incroyable. Après, c’est un peu comme ce qu’on a vu sur les Jeux à Marseille, il faut que les conditions météo soient au rendez-vous pour que le spectacle soit beau, or pour l’instant, elles s’annoncent assez légères, en tout cas pour les prochains jours.

▶ Il n’y a que six défis inscrits, la Coupe reste-t-elle difficile d’accès ?
Oui, complètement, c’est une compétition dans laquelle il faut emmagasiner de l’histoire, de l’expérience, on n’y entre pas du jour au lendemain. Ça reste une épreuve qui peut faire peur à certains candidats parce qu’elle est complexe en termes de moyens humains, financiers et technologiques. On voit que ça demande beaucoup d’investissement pour tenter de rattraper le retard par rapport aux top teams que sont aujourd’hui Team New Zealand, Luna Rossa ou American Magic, et en plus, il faut que ces investissements arrivent tôt. En cela, je trouve que le défi français a réussi un super coup en négociant le design package avec les Néo-Zélandais. Quelque part, ça leur a fait gagner du temps sur leur retard, le fait d’avoir pu accéder à cette technologie et à ce design leur a permis de combler un peu le handicap lié au fait qu’ils se soient lancés plus tard que les autres.

▶ Les vois-tu s’inscrire dans le temps et verra-t-on, selon toi, plus d’équipes lors de la prochaine édition ?
On peut à mon sens faire confiance à Stéphane Kandler et Bruno Dubois (les deux fondateurs et directeurs du défi français) pour faire en sorte que tout ne s’arrête pas une fois que l’équipe aura achevé son aventure sur cette édition. Leur idée en filigrane est de bâtir une continuité, d’arriver à fidéliser les partenaires pour que, au lendemain de leur élimination, ou de leur victoire, ce que je leur souhaite, ils puissent tirer profit de cette expérience pour continuer leur histoire, en gardant les équipes et en attirant d’autres personnes pour continuer à grandir. Je pense en outre que cette édition, en Europe, à Barcelone, peut donner des idées à d’autres challengers. C’était plus compliqué en 2021, car c’était en Nouvelle-Zélande et que s’était greffé le Covid, ça avait forcément refroidi les investisseurs des équipes potentielles, là, c’est différent.

 

“Les Français ont la meilleure
machine de la flotte”

 

▶ 13 et 12 équipes (dont les 6 en lice sur la Coupe de l’America) sont engagées respectivement sur la Youth et Women’s America’s Cup, ces deux compétitions peuvent-elle être un bon marche pied vers la prochaine Coupe ?
Tout à fait, c’est vraiment intéressant de voir arriver de nouvelles équipes sur la Youth et la Women’s America’s Cup, avec également quelques acteurs historiques qui reviennent, comme les Suédois d’Artemis. Ça me fait dire que si la Coupe reste en Europe pour le prochain cycle, ça peut attirer d’autres challengers. On voit arriver une nouvelle génération de navigants qui sont plein de talents et apprennent à se servir des AC40 qui sont une version réduite des AC75. Peut-être que le fait de goûter à la Youth ou à la Women’s America’s Cup peut permettre à des équipes et à des investisseurs de se fédérer autour de cette nouvelle génération et de lui donner la chance de disputer un jour la Coupe de l’America. On se rappelle de Peter Burling et de Jason Saunders qui avaient remporté la Youth (en 2013), on voit où ils sont aujourd’hui. Je pense que c’est un signe super positif pour le futur de la Coupe.

▶ Parlons des forces en présence, quels enseignements as-tu tirés de la régate préliminaire remportée la semaine dernière par Emirates Team New Zealand ?
On a vu un defender au-dessus du lot, des Italiens très forts, les Américains un peu en-deçà, mais selon moi, ils seront présents, je pense qu’ils ont un bateau super performant et à la philosophie un peu différente des autres, intéressant en termes d’ergonomie et de forme de coque. C’est un peu tôt pour le dire, mais il a en revanche l’air plus typé pour le medium, donc de souffrir un peu dans le petit temps. J’ai trouvé les Anglais un peu à la peine, mais pas très loin derrière, ils ont eux aussi un bateau un peu extrême en termes de volume et de forme, tandis que les Suisses, d’après ce que j’ai vu jusqu’ici, manquent un peu de vitesse de fond. Ils maîtrisent bien leur bateau, mais j’ai l’impression qu’il leur manque un peu de chevaux.

▶ Et les Français ? A quoi peuvent-ils prétendre sur cette Coupe Louis Vuitton ?
Les demi-finales de la Coupe Louis Vuitton sont accessibles, parce qu’ils progressent tous les jours, ils ont la bonne méthode, je les vois tous les matins sur la base et je sens une super énergie dans cette équipe. Ce qui est important, c’est qu’ils ont confiance en leur bateau, ils savent qu’ils ont une bonne machine entre les mains, pour moi, c’est la meilleure de la flotte de la Coupe Louis Vuitton, la référence, à eux d’en trouver les clés pour aller plus vite que les autres challengers. Chaque jour qu’ils passent sur l’eau, ils trouvent de nouvelles choses, ils mettent en place des stratégies payantes, comme on a pu le voir sur le départ face aux Suisses jeudi (victoire, suivie d’une défaite face à Luna Rossa). Je pense qu’ils ont une super carte à jouer, comme jamais un défi français ne l’a eue jusqu’à maintenant.

▶ Quelles différences notes-tu entre les bateaux ?
A part les Américains, on voit que tout le monde met les navigants et les cyclistes en ligne avec des « pods » plus ou moins volumineux et hauts, le plus extrême étant le bateau suisse qui a un « pod » très agressif. Sinon, je trouve que trois bateaux se ressemblent un peu, ceux des Français, de Team New Zealand et des Italiens avec une forme de coque assez fine. Celui des Anglais est très volumineux à l’avant, avec ensuite un bateau assez droit, moins rond que les trois que je viens de citer. Quant aux Américains, ils ont choisi un volume de coque minimal, avec un centre de gravité de l’équipage très avancé qui, à mon sens, est un plus en termes de performance, et un choix de position des cyclistes assez unique : ils essaient de les mettre le plus bas possible pour descendre le centre de gravité et les côtés du bateau. Globalement, on sent que chaque équipe a un énorme potentiel, mais que tout le monde ne l’a pas encore trouvé, je pense que tout au long de la compétition, comme ça avait été le cas lors de l’édition précédente, on va voir les bateaux considérablement progresser.

 

“Ça va beaucoup se jouer sur
les départs et les manœuvres”

 

▶ Comme souvent sur la Coupe, peut-on penser que le défi qui aura le bateau le plus rapide va l’emporter ?
C’est possible, mais je pense que par rapport à l’édition 2021, les écarts se sont vraiment réduits et que ça va beaucoup se jouer sur les départs et les manœuvres, plus que sur la vitesse intrinsèque du bateau, même si elle reste importante. La phase de départ, notamment, va être vraiment critique. En 2021, on a vu que les Néo-Zélandais pouvaient se permettre de prendre un mauvais départ et de gagner la Coupe. Là, à mon sens, on n’a plus le droit de prendre un mauvais départ. On l’a vu jeudi sur le match entre les Français et les Italiens, ils partent pratiquement à égalité, mais les Italiens arrivent à pousser les Français jusqu’à la « boundary » et ensuite, le match est pratiquement terminé. Ça va donc beaucoup se jouer sur le départ, mais aussi sur les manœuvres, particulièrement dans les conditions légères qu’on rencontre en ce début de Round Robin : chaque manœuvre ratée va se payer très cher.

▶ Luna Rossa est-il le grand favori de la Coupe Louis Vuitton ?
Aujourd’hui, au regard de la régate préliminaire et du début de Round Robin, oui, ils sont un cran au-dessus. De par l’expérience de la dernière Coupe, de la mise au point de leur bateau, des talents à bord, ils me semblent difficiles à battre, ils ont beaucoup navigué et ont une équipe vraiment solide. Je suis toujours aussi impressionné par la relation entre Francesco Bruni et Jimmy Spithill qui est vraiment limpide. On l’a encore vu jeudi, Francesco Bruni est vraiment le métronome de cette équipe sur l’eau, il remet tout le monde dans le bon sens, il fait les bons choix.

▶ Et le defender néo-zélandais reste-t-il le favori pour conserver l’Aiguière d’argent ?
Oui, parce que dès qu’ils sont devant, ils ont un petit plus en vitesse, on l’a vu sur la régate préliminaire. La paire Peter Burling/Nathan Outerridge a l’air de fonctionner à merveille, ils s’entendent super bien, ils sont à mon sens un peu plus complémentaires que ne l’étaient Peter Burling et Glenn Ashby lors de la dernière Coupe. En les entendant sur l’eau, ça ressemble un peu à la communication très fluide qu’il y a sur Luna Rossa. Et on peut penser que les Néo-Zélandais n’ont pas tout montré lors de la régate préliminaire, ils ont encore beaucoup de temps de développement jusqu’au match de la Coupe, donc ils restent aujourd’hui les favoris, même si je pense que l’écart entre eux et les top challengers s’est réduit.


Coupe Louis Vuitton mode d’emploi. La Coupe Louis Vuitton a débuté jeudi, elle se déroule sous la forme d’un double Round Robin entre les cinq challengers (29 août-11 septembre) – chaque équipe s’affronte deux fois, Team New Zealand participe, mais les matchs contre le defender ne comptent pas -, au terme duquel les quatre premiers seront qualifiés pour les demi-finales – une seule équipe sera éliminée. Suivront les demi-finales (14-23 septembre, le premier à 5 victoires est qualifié), puis la finale (26 septembre-7 octobre), le vainqueur de la Coupe Louis Vuitton (le premier à remporter 7 victoires) sera ensuite opposé à Emirates Team New Zealand lors du Match de la Coupe de l’America (12-27 octobre, le premier à 7 victoires s’impose). Tous les résultats sont là.

Photo : Ricardo Pinto / America’s Cup

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