Double championne olympique de voile, Shirley Robertson s’est associée pour la saison avec Dee Caffari, six tours du monde au compteur, pour s’aligner sur le circuit des courses en double du Rorc, notamment la Round Britain and Ireland Race l’été prochain, à bord d’un Jeanneau SunFast 3300. Tip & Shaft s’est entretenue avec la Britannique, par ailleurs journaliste de voile.
► Qu’est-ce qui vous a poussée à vous associer avec Dee Caffari ?
C’est Nigel Colley [patron de SeaVentures, agent Jeanneau en Grande-Bretagne qui fournit le bateau, NDLR] et Henry Bomby [ancien figariste, qui naviguait l’an dernier en double avec elle, NDLR] qui nous ont réunies après deux saisons réussies chacune de notre côté [Dee Caffari était associée à James Harayda, NDLR]. Comme Henry allait avoir un autre enfant, il ne pouvait pas trop s’engager en 2022 ; quant à Dee, elle n’avait pas de programme, donc Henry et Nigel ont fait en sorte que ça marche entre nous, nous sommes très excitées par cette perspective. Le double a ravivé ma passion pour la voile, c’était tellement nouveau pour moi. J’ai adoré le Fastnet l’année dernière [deuxième place en IRC double derrière Alexis Loison et Guillaume Pirouelle, NDLR] : chaque jour, j’étais de plus en plus fatiguée, mais j’aimais encore plus ça, le fait de prendre des décisions quand tu es fatiguée, de se gérer soi-même… A deux, c’est une dynamique intéressante, il faut arriver à bien s’associer, à faire attention à l’autre, c’est le challenge qui nous attend avec Dee.
► Aviez-vous déjà navigué ensemble ?
Non, jusque-là, nous ne nous étions jamais retrouvées toutes les deux sur un bateau, pas même sur un semi-rigide ! Mais je pense que ça va marcher. Dee fait généralement sur le bateau les choses que, moi, je ne fais pas très bien.
► Au départ, l’objectif était de participer aux Jeux de Paris 2024 en course au large double mixte, comment avez-vous accueilli le rejet de l’épreuve par le CIO ? Est-il synonyme de fin de votre rêve de troisième médaille olympique ?
J’étais tellement déçue. Une médaille dans l’épreuve de course au large des Jeux de Paris aurait vraiment représenté quelque chose quand on connaît la passion du public français pour cette discipline. Si vous n’avez jamais vu ou vécu la descente et la remontée du chenal des Sables d’Olonne pour le Vendée Globe, vous ne pouvez pas comprendre ça, c’est extraordinaire que ça fasse partie de notre sport. Ça aurait en plus attiré de grands noms que nous n’aurions pas vus autrement dans l’arène olympique, les Français auraient adoré ça. Donc je suis vraiment déçue, pas tant d’un point de vue personnel que pour notre sport, surtout à Paris, c’était vraiment le scénario idéal.
“Je n’ai jamais assisté à un départ
de Vendée Globe sans pleurer”
► Cette épreuve aura-t-elle une seconde chance ?
Je pense qu’une telle opportunité ne se représentera plus. L’épreuve était vraiment adaptée aux Jeux de Paris, moins au modèle olympique, c’était peut-être assez cher, en tout cas, ils ont dit que ce serait compliqué et cher à filmer, mais je n’y crois pas vraiment. Ça aurait été formidable d’avoir des images en direct pendant trois jours et trois nuits. Donc selon moi, l’opportunité est passée, mais la course au large en double va devenir de plus en plus forte, vous pouvez voir comment elle prend aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Australie sur la Sydney-Hobart, elle va continuer à se développer. C’est génial, parce que sur ce format, vous n’avez pas juste à vous mettre au rappel ou faire votre quart, vous n’avez pas le choix, vous devez être totalement impliqué, le niveau d’intensité et d’apprentissage est addictif. Ça donne aussi l’occasion de naviguer avec de grands marins, j’ai appris des tonnes de choses avec Henry. Ça n’arriverait jamais sur un TP52 où tu es juste là pour faire ton boulot.
► Votre projet avec Dee est-il sur le long terme ?
Je ne sais pas. C’est une super opportunité offerte par Nigel et SeaVentures, ce n’est pas tous les jours qu’on vous met à disposition un bateau de course entièrement équipé avec un jeu de voiles complet pour l’année. J’adorerais en tout cas continuer. Je suis en train de suivre la Rorc Transatlantic Race, ce serait génial de faire ça.
► Y a-t-il une possibilité que ce projet débouche sur une Transat Jacques Vabre, en Imoca par exemple ?
Pas vraiment. Pour faire ce genre de navigation, il faut s’être investi plus tôt, ce n’est pas quelque chose que l’on acquiert à mon âge (53 ans). Et encore moins en solitaire, je ne suis pas fan du solo, même si j’en ai fait un peu pour apprendre à me débrouiller et à prendre des décisions seule. C’est un bon entraînement, mais j’aime la notion d’équipe, le fait de partager une aventure.
► Comment voyez-vous la course au large d’une façon générale, et la scène française en particulier ?
Les autres nations n’ont jamais réussi à vraiment pénétrer ce milieu de la course au large française, mais c’est un théâtre fabuleux. Les marins français sont de grands sportifs et de fantastiques conteurs d’histoires. Je dis toujours aux gens qui n’ont pas assisté à un départ du Vendée Globe ou de la Route du Rhum : “Allez-y, c’est immanquable !” Je n’ai jamais assisté à un départ de Vendée Globe sans pleurer…
“La prochaine Coupe
s’annonce incroyable”
► Parlons de la Coupe de l’America, que vous avez commentée lors de la dernière édition, comment voyez-vous la prochaine ?
Elle s’annonce incroyable. Nous avons vu les AC75 pour la première fois l’année dernière, c’était nouveau et excitant, je pense que tout cela va encore passer à une vitesse supérieure. Et je trouve fantastique de voir tous les grands acteurs dans le jeu, le seul qui manque est Larry Ellison et Oracle. Quel que soit le lieu, ce sera fascinant, je suis déjà enthousiaste et le fait de voir arriver des équipes de Formule 1 [Red Bull avec Alinghi, Mercedes avec Ineos, NDLR] ajoute de l’intrigue et du professionnalisme. Il y a tous les ingrédients pour donner un spectacle à couper le souffle. Et la Coupe de l’America féminine va changer la donne pour les femmes, ça va constituer une véritable voie d’accès à ce monde de la Coupe.
► Quelle serait votre préférence pour le site de cette 37e édition ?
Pour moi, Auckland est un des meilleurs endroits au monde pour accueillir un événement comme la Coupe. La Nouvelle-Zélande voue une vraie passion pour la Coupe qui provoque le même engouement que le Vendée Globe en France. Les gens connaissent les acteurs clés, ils comprennent l’histoire, l’héritage, cela apporte une dimension en plus. Maintenant, le fait d’organiser deux Coupes consécutives pose des problèmes financiers là-bas. Si ce n’est pas en Nouvelle-Zélande, je trouverai triste que la Coupe ne se dispute pas en Europe. Il y a trois équipes européennes [Luna Rossa, Ineos Britannia et Alinghi, NDLR], l’intérêt serait vraiment fort et les fuseaux horaires sont adaptés pour les retransmissions TV partout dans le monde.
Photo : Tim Butt / Vertigo Films