À 55 ans, Philippe Presti, passé par la voile olympique (Soling, Finn, Star), est l’un des meilleurs spécialistes français de la Coupe de l’America. À une semaine du coup d’envoi de la Prada Cup (15 janvier-24 février, voir le programme), l’Arcachonnais, aujourd’hui coach au sein de Luna Rossa Prada Pirelli, évoque cette 36e édition disputée sur les nouveaux AC75.
Quels sont les principaux enseignements que vous avez tirés, au sein du défi italien, des America’s Cup World Series d’Auckland ?
La vérité des World Series est à mon avis complètement différente de celle d’aujourd’hui, donc tous les enseignements qu’on a pu en tirer sont caducs aujourd’hui. D’autant que les AC75 sont des bateaux super compliqués, tout le temps en équilibre, si bien que le moindre petit déficit de stabilité peut affecter énormément les performances du bateau et masquer ses qualités. Par exemple, on a vu les Anglais en difficulté, notamment à cause de problèmes avec leur système de “cant” de foil, ce qui n’a pas permis de voir réellement ce qu’ils avaient sous le capot. Nous, on n’a pas encore montré nos derniers foils, on a trois grands-voiles qui vont arriver, plein de développements en cours… Ce qui compte, c’est la façon dont les équipes vont avancer lors des prochaines semaines jusqu’à la dernière manche, celle qu’il faudra gagner. Il faut arriver à progresser pour atteindre son pic de développement à cette occasion.
Quels axes d’amélioration avez-vous notés en vue de la Prada Cup ?
Ils sont partout ! Si l’on prend les manœuvres, on ne s’est pas sentis super à l’aise dans les situations de brise assez forte, on a donc mis à profit la période de Noël pour travailler sur ces points et on a l’impression d’avoir fait de bons progrès. Clairement, quand on voit nos performances aujourd’hui et celles d’il y a un mois, il y a un écart de 10-15%, voire plus, on imagine que les autres sont dans le même scénario.
Allez-vous continuer avec deux barreurs (James Spithill et Francesco Bruni) ?
Oui, certainement, c’est notre façon de fonctionner, on en est satisfait, ça permet d’avoir beaucoup de plasticité et de réactivité dans tout ce qui est tactique et stratégie, notamment dans les phases de contact. Ça engendre des challenges importants de communication pour faire en sorte que celui qui ne barre pas sur un bord, donc qui est chargé du foil, soit vraiment concentré sur le vol du bateau tout en ayant aussi une bonne idée de la situation une fois qu’il redevient barreur.
Je le connais depuis avant Sydney 2000, il avait fait un peu de Soling, nous, on préparait les Jeux avec Jean-Marie Dauris et Pascal Rambeau ; un matin, on s’est entraînés avec un petit junior, c’était Jimmy ! On a commencé à créer une relation, de 5 à 7 heures du matin, avant qu’il aille à l’école. On s’est retrouvés ensuite sur la Coupe en 2003, je barrais le Défi Areva et lui étais skipper de OneWorld. À l’issue de cette campagne, quand il a été embauché chez Luna Rossa, il a fait en sorte que je les rejoigne pour barrer le deuxième bateau ; j’ai joué le rôle de sparring-partner, et petit à petit, je suis devenu coach, comme un entraîneur-joueur. Quand il a rejoint Oracle en 2007, il m’a demandé de les aider à gagner la Coupe en 2010 sur le grand trimaran (USA 17), puis j’ai enchaîné avec les deux suivantes. C’était donc assez naturel que je le suive dans cette nouvelle aventure. On fonctionne bien ensemble, il y a de la confiance et de la délégation, c’est assez sympa de travailler avec lui, parce qu’on a justement vraiment l’impression de bosser AVEC lui, pas POUR lui.Quelles sont les clés d’une régate réussie en AC75 ?
Ce qui est vraiment important, c’est la capacité de changer de braquet rapidement : par exemple au près, la VMG (vitesse de rapprochement au but) peut être acquise en allant soit très vite à un angle plutôt bas, soit plus lentement mais avec un angle plus serré. Ce qui va être très important, c’est la faculté de changer d’un mode à l’autre pour aller chercher les risées, les bascules, pour couvrir l’adversaire ; avec des bateaux qui vont vite, cette faculté est amplifiée. Le fait de partir au près donne aussi plus d’importance au départ par rapport à l’édition précédente : si on part au vent avec un peu d’avance, il y a de fortes chances qu’on puisse contrôler la situation au moins jusqu’à la bouée au vent, ce qui fait déjà un quart de la régate. Autre élément : il ne faut pas casser, ce sont des bateaux complexes qui peuvent avoir des problèmes techniques qui peuvent vite impacter la performance globale. On a vu par exemple sur une régate contre American Magic que Team New Zealand avait eu un problème hydraulique qui les a clairement handicapés. Enfin, la capacité de continuer à apprendre tout au long de la compétition pour être à son optimum de développement le plus tard possible sera également clé, sachant qu’il faudra quand même franchir les premiers tours.
La Prada Cup débute le 15 janvier, sens-tu une grosse pression au sein du défi italien ?
Quand on s’engage dans la Coupe, c’est pour la gagner, donc évidemment, il y a de la pression, et si on est allergique à ça, on ne fait pas ce métier. Notre objectif est clairement de gagner cette Prada Cup. On peut éventuellement « lambiner » au début et gagner à la fin, mais ça peut impacter la phase de développement, car si on est coincés pendant dix jours à faire les repêchages, on ne peut pas en profiter pour se concentrer sur des tests et essayer de nouveaux composants pour la suite, donc ce serait préférable de bien faire tout de suite.
Sur les World Series, les Kiwis sont apparus en ligne avec leur programme, qui a débuté plus tôt, puisque ce sont eux qui ont imaginé ce type de bateau. Ils sont donc forcément un peu en avance, mais est-ce qu’ils vont pouvoir continuer à développer leur bateau comme les autres ? Ce sera la clé du succès sur cette campagne. Maintenant, ils ont une équipe talentueuse, qui s’appuie sur des gars qui ont gagné la dernière Coupe, des purs talents comme Pete (Burling), Blair (Tuke), Glenn (Ashby), des champions du monde de Finn en guise de grinders… Dans les navigants, il n’y en a pas beaucoup qu’on n’aurait pas envie de prendre si on devait faire une dream team. Mais on n’a rien à leur envier, j’espère qu’on pourra le prouver sur l’eau.Tu es devenu en 20 ans un vrai spécialiste de la Coupe, pourquoi cet attachement ?
Déjà, parce que j’adore les sports d’équipe et pour moi, la Coupe est le sport d’équipe ultime : il faut trouver un financement, faire travailler des gens pour imaginer un projet, puis pour dessiner un bateau performant, qui va ensuite être construit par une équipe de techniciens et ensuite mené par des navigants. C’est un challenge énorme de leadership et de management. À côté de ça, c’est super excitant technologiquement. J’ai une chance incroyable d’avoir fait partie de la génération qui a fait voler les bateaux. Si nous étions restés sur les Class America à pousser du plomb, je n’aurais sans doute pas le même enthousiasme. On est passés de bateaux de 25 tonnes qui vont à 9 nœuds à des avions qui volent à 50 nœuds, c’est une nouvelle façon de naviguer géniale.
La France est une terre de course au large, tu n’as jamais été tenté ?
Ma seule expérience a été le Tour de France à la voile avec des équipes d’Aquitaine, notamment avec un marin qui est en tête du Vendée Globe (Yannick Bestaven) et avec son directeur technique Jean-Marie Dauris. Sinon, après la Coupe 2010, je m’étais dit que j’allais essayer de faire du Figaro, j’avais appelé Michel Desjoyeaux pour prendre conseil, Franck Citeau m’avait prêté un bateau, j’avais navigué un mois à La Grande Motte, mais j’ai arrêté assez vite. Ce n’est pas tant parce que c’était du large, mais plus parce que c’était du solo. Mon moteur, c’est vraiment la collaboration, le partage. J’ai un peu travaillé avec Thomas (Coville) avant son Trophée Jules Verne, je me suis senti plus à l’aise dans un projet comme ça. En matière de large, c’est ce qui m’intéresserait en premier lieu.