La Coupe Louis Vuitton s’est achevée lundi dernier pour Orient Express Racing Team par une ultime défaite face à Ineos Britannia qui l’a privé d’une qualification pour les demi-finales. Une déception pour le défi français, mais une forme de logique au regard de son départ tardif dans cette campagne de Coupe de l’America, dont Tip & Shaft dresse un premier bilan, avec des cadres du challenger et quelques experts extérieurs.
Le couperet est tombé lundi dernier : en s’inclinant face à Ineos Britannia, Orient Express Racing Team a perdu sa dernière chance de se hisser en demi-finales de la Coupe Louis Vuitton (*), d’autant que dans la foulée, Alinghi Racing Team, son rival pour la quatrième place qualificative, a dominé Luna Rossa Prada Pirelli. Avec une victoire en huit matchs, le bilan français est maigre, mais guère étonnant au regard du retard pris à l’allumage par Orient Express Racing Team, officiellement lancé en février 2023, longtemps après ses concurrents.
Pour autant, Christian Karcher, spécialiste de la Coupe de l’America (six participations, trois victoires), n’accable pas les Français, estimant même que “c’était mieux que prévu, je pensais qu’ils ne gagneraient aucune manche, leur victoire sur leur première régate face à Alinghi m’a fait dire qu’ils avaient vraiment bossé en interne pour arriver à ce niveau”. Malheureusement pour le challenger tricolore, il n’a pas réussi par la suite à décrocher un second succès qui aurait pu lui permettre de terminer quatrième, soit par manque de fiabilité, soit à cause d’erreurs, notamment lors de la phase de départ, cruciale sur ces AC75.
“Il y a eu des erreurs, ils le reconnaissent assez librement, commente Thierry Fouchier, autre grand spécialiste tricolore de l’épreuve, qu’il a remportée en 2010 avec BMW Oracle. Le premier match contre les Anglais a notamment été très frustrant, parce qu’ils étaient très proches, mais il y a eu quelques moments où ils n’ont pas forcément pris les bonnes décisions.” Entraîneur du défi français, Thierry Douillard ne dit pas autre chose : “La demi-finale, on la perd sans doute sur le match du premier round robin contre Ineos : on fait jeu égal, on leur met une pénalité, mais il nous manque un peu de lucidité pour conclure, ce qui nous aurait mis en bonne position pour la suite.”
Un manque de fiabilité, mais pas que…
Au moment d’expliquer ces défaillances, tous, qu’ils soient au sein du défi ou en dehors, mettent évidemment en avant un temps très court pour comprendre, fiabiliser, développer puis maîtriser en course l’AC75 français, construit à partir du design package acheté à Emirates Team New Zealand. “Il nous a clairement manqué du temps pour rendre le bateau plus fiable, on perd trois manches parce qu’on n’a pas pu l’exploiter, dont la dernière sur laquelle on a un problème technique. Et dès que c’est le cas sur ces AC75, la performance est très sensiblement affectée”, confirme Franck Cammas, directeur de la performance.
Et ce dernier d’ajouter au moment d’expliquer ce manque de fiabilité : “C’est évident que plus tu navigues, plus tu stabilises les choses et moins tu prends de risques lors des derniers jours avant les régates. Nous, comme on était un peu dans l’obligation de faire évoluer le bateau jusqu’au dernier moment, il y avait une part de risque dans la stabilisation des systèmes, mais c’était un choix nécessaire si on voulait avoir une chance de passer.”
Marqué par cette élimination précoce, Quentin Delapierre (voir son interview complète sur notre site), s’il partage les analyses sur ce retard difficile à combler, estime “qu’on a probablement manqué d’efficacité et d’intelligence dans ce qu’on avait à faire, mais on est une jeune équipe, arrivée un peu sur le tard, donc tu fais des erreurs que les autres ne font pas”. Ce qui veut dire concrètement ? “On n’a peut-être pas assez fait confiance au design package néo-zélandais. On a fait un peu trop d’analyses en ligne droite, d’entraînements focalisés sur comment aller plus vite, alors qu’en réalité, en ayant un bon « recon » (retour) de Team New Zealand, on aurait pu avoir des réponses rapides à certaines questions. Pour moi, on s’est un peu dispersés, parce qu’on avait encore des doutes sur le fait que les Néo-Zélandais étaient à 100% ou non, certains autour de la table disaient qu’il ne fallait pas être des moutons, mais au final, même si je caricature, on aurait dû l’être. Car le temps qu’on a mis à essayer de régler le bateau en ligne droite, on ne l’a pas passé à s’entraîner sur un parcours et dans une starting-box, on a mis beaucoup trop de temps à le faire.”
Quentin Delapierre assume ses erreurs
D’où certaines erreurs que le skipper assume : “Sur les départs, je n’ai pas réussi à amener ma plus-value, à être dominant, comme j’arrive à le faire sur SailGP. En tant que leader dans le projet, je n’ai aussi pas suffisamment été clair pour convaincre l’équipe autour de ma vision de copier simplement ce que faisaient les Kiwis, ou trop tard, je m’en veux. Parce que finalement, on gagne quatre départs, dont deux vraiment proprement ; le premier, on gagne le match, le deuxième, on est en tête une partie de la manche. Ça veut bien dire que même si on n’était sans doute pas les plus rapides, en faisant de bonnes manœuvres et de bons départs, on était capables de gagner.”
Pour Christian Karcher, ces erreurs sont “clairement le reflet d’un manque d’heures de vol”, l’intéressé ajoutant : “Sur nos Class America qui allaient à 10 nœuds au près, on avait 10 à 15 secondes pour réagir, eux vont tellement vite qu’ils ont à peine une ou deux secondes, donc il faut une confiance incroyable entre les deux pilotes. Et ça, ça vient avec le temps.”
Tous s’accordent cependant à dire, que, comme le souligne ce dernier, “le coup n’est pas passé loin“, Thierry Douillard expliquant : “Quand je vois la courbe de progression en termes de tenue du bateau, de performance et de régate, c’est très frustrant de s’arrêter là. Clairement, Alinghi était à notre hauteur, alors qu’ils sont partis deux ans avant nous, qu’ils ont fait 100 jours sur leur Boat Zero (AC75 d’occasion, avant la mise à l’eau cette année du nouveau) et je ne sais pas combien d’entraînements en AC40 à Djeddah. On était capables de créer la surprise.”
Deux mois capitaux
Cela n’a donc pas été le cas pour Orient Express Racing Team, dont la priorité désormais est de préparer la suite. “On n’attend qu’une chose, c’est qu’on ait des partenaires prêts à repartir avec nous, parce que ce serait tellement dommage de mettre de côté tout ce qu’on a appris en un an et demi, c’est un capital qu’il faut faire fructifier. Et si on veut avoir de l’ambition, il faut aller recruter des sachants autour de nous”, confirme Franck Cammas, qui n’avait pas réussi après la 35e Coupe à la tête de Groupama Team France en 2017 à pérenniser le projet. “C’est maintenant que tout se joue, ajoute Christian Karcher. Il faut non seulement que tout le monde reste, mais aussi faire son marché, car tous les bons sont encore là, alors que dans deux mois, ils seront éparpillés dans tous les défis.”
Interrogé sur la suite de l’aventure, Stephan Kandler, co-directeur du défi avec Bruno Dubois, se veut à la fois optimiste et prudent : “On discute bien sûr de la suite avec nos partenaires, maintenant, on attend de savoir quand et où aura lieu la prochaine édition. On sait déjà qu’on aura les mêmes bateaux, ce qui est très important car ça définit une bonne partie du budget.” Pour Thierry Fouchier, “c’est compliqué de vendre aujourd’hui un projet avec autant d’inconnues, mais les autres syndicats n’ont pas cette problématique parce qu’ils s’appuient sur des mécènes qui leur donnent les moyens quoi qu’il arrive de patienter en attendant le protocole et de mieux repartir.”
Reste que Stephan Kandler annonce qu’il y aura une suite immédiate : “Il y a des projets dans les tuyaux qu’on va annoncer prochainement et vont nous permettre de continuer à pérenniser l’ensemble. Aujourd’hui, nous avons une infrastructure, des outils, des actifs avec nos trois bateaux, un port d’attache (Lorient, voir notre article), des ressources humaines, on est bien mieux armés pour se lancer dans une nouvelle campagne, ça coûtera même moins cher !” Les Français seront-ils notamment encore présents sur SailGP lors de la saison 5 ? Si Stephan Kandler réserve sa réponse pour plus tard, le président de la Fédération française de voile, Jean-Luc Denéchau estime cette poursuite capitale : “Le gros avantage de ce projet Coupe est qu’il est couplé avec SailGP, ce qui permet d’éviter ce qui nous a toujours été fatal ces dernières années, à savoir un « stop and go » et de voir nos talents finir par renforcer les équipes étrangères.”
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Photo : Alexander Champy McLean / Orient Express Racing Team