Le défi suisse Alinghi Red Bull Racing a dévoilé cette semaine la composition de son design team, dirigé par Marcelo Botin, et de son équipe navigante, menée par Arnaud Psarofaghis et au sein de laquelle on trouve un Français, Nicolas Charbonnier, 40 ans. L’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec l’ancien spécialiste de 470, médaillé de bronze aux Jeux de Pékin.
► Tu fais partie de l’équipage suisse pour la 37e Coupe de l’America, était-ce pour toi comme une évidence, compte tenu de ton parcours au sein du team ?
Je ne sais pas, il faudrait demander à Pierre-Yves Jorand, le responsable du sportif, mais c’est sûr qu’on a dans l’équipe le noyau dur d’Alinghi depuis quelques années, entre Arnaud (Psarofaghis), Bryan (Mettraux), Yves (Detrey). Ça fait tellement longtemps qu’on navigue ensemble, on se fait tous confiance et c’est un noyau dur qui est performant sur la durée, donc je pense que ça s’est imposé comme ça.
► Peux-tu nous raconter ta rencontre avec Alinghi ?
La première rencontre date de la préparation de la Coupe de l’America à Valence, où j’étais à l’époque avec le Défi Areva, c’est à ce moment que j’ai croisé pour la première fois Alinghi. Ensuite, on s’est retrouvés quand j’ai commencé à naviguer en D35, en 2009, d’abord avec Loïck Peyron, puis l’année suivante avec Banque Populaire. A l’époque, Tanguy Cariou, avec lequel je m’entendais très bien, était chez Alinghi, il leur avait parlé de moi, si bien que quand il est parti, ils ont cherché à le remplacer et ils ont pensé à moi, c’était il y a pile dix ans ! Ils m’avaient proposé de venir deux week-ends, en D35 et en Extreme 40, mais comme ça avait bien marché sur le D35, ils m’ont gardé sur ce support. Les Extreme Sailing Series, c’est venu plus tard, quand le circuit est passé en GC32. Je suis alors passé à plein temps avec Alinghi, si bien qu’aujourd’hui, je me sens plus marin suisse que français ! [résident suisse depuis plus de deux ans, il est éligible au regard de la règle de nationalité, NDLR]
► Tu t’imaginais, il y a dix ans, réaliser un tel parcours ?
Non, moi ce que je voulais, c’était gagner la médaille d’or aux Jeux ! A Pékin, je n’étais pas content de faire troisième, donc je souhaitais remettre ça pour Londres. Olivier (Bausset, son partenaire) m’avait prévenu qu’il arrêterait après Pékin, j’avais alors demandé à mon entraîneur de l’époque, Baptiste Meyer, s’il voulait partir avec moi. On a fait deux super années, mais Baptiste s’est fait une hernie discale, on a dû arrêter J’ai alors fait six mois avec Jérémie Mion pour essayer de nous qualifier pour Londres, mais ça n’a pas fonctionné, on n’a pas eu le temps de se caler ensemble, c’était trop court.
► Éprouves-tu des regrets ?
Le rêve olympique est passé, mais non, je n’ai ni regrets, ni amertume. C’était un peu difficile de décrocher, mais j’ai très vite eu l’opportunité fabuleuse d’intégrer l’équipe de mes rêves, la première à avoir gagné la Coupe du premier coup et qui l’a ensuite défendue victorieusement. Si j’avais galéré, ça aurait été différent, mais là, ça fait dix ans que je vis mon rêve, c’est une super histoire !
“La Coupe aujourd’hui,
c’est un autre monde”
► La Coupe de l’America était-elle également un rêve ?
Oui, ça m’intéressait vachement, c’est d’ailleurs la première chose vers laquelle je m’étais tourné après les Jeux d’Athènes, puisque j’avais rejoint le Défi Areva pour l’édition 2007 à Valence, avant qu’Olivier ne me convainque de repartir sur une campagne olympique. Maintenant, l’expérience vécue à l’époque est tellement différente de ce qui se passe aujourd’hui… Ce ne sont plus du tout les mêmes bateaux, ce n’est plus du tout le même sport, c’est un autre monde.
► Qu’est-ce qui est le plus dur à gagner, selon toi : un titre olympique ou la Coupe ?
Je pense que c’est la Coupe, parce qu’il y a beaucoup plus de paramètres qui entrent en jeu. Tu peux avoir les meilleurs designers, mais si tu n’as pas le budget ou les bons timings, ça ne marche pas. Ou à l’inverse, tu peux avoir du budget mais pas les bons designers… Il y a beaucoup plus d’incertitudes, ça ne repose pas que sur le sportif. Et une équipe de Coupe, c’est entre 80 et 120 personnes, là où ton projet olympique, c’est 5 au maximum, c’est très différent.
► A quel moment as-tu senti qu’Ernesto Bertarelli allait revenir dans la Coupe ?
On sentait depuis longtemps qu’il avait cette envie, il a toujours eu la passion. Ça aurait sans doute pu se faire plus tôt, mais là, toutes les planètes se sont alignées : les règles de jauge n’ont pas changé, Red Bull est devenu copropriétaire de l’équipe… En revanche, ce qui est sûr c’est que quand j’ai rejoint Alinghi, je ne me suis pas dit que j’intégrais une équipe de Coupe.
“On a forcément un énorme
déficit d’expérience”
► Sais-tu quel rôle tu auras dans l’équipe navigante ?
Non, aujourd’hui, à part savoir qu’Arnaud barrera, on n’a pas de rôles définis, parce qu’on est dans une phase de construction. On a certes des rôles clés sur les circuits TF35 et GC32, on sait que ça marche, mais l’objectif est que ce soient les meilleurs qui montent sur l’AC75, donc on est tous sur un pied d’égalité, sans aucune garantie. Il faudra savoir mettre les ego de côté pour tirer le groupe vers le haut.
► Quel est l’objectif d’Alinghi Red Bull Racing ? Gagner du premier coup pour son retour, comme en 2003 ?
Je ne sais pas s’il y a un objectif aussi clair, mais clairement, tout est fait pour mettre en place une équipe compétitive, il y a des moyens humains et financiers, on n’y va pas pour faire de la figuration. Après, on a forcément un énorme déficit d’expérience par rapport aux équipes qui ont déjà navigué en AC75, aucun parmi nous n’a mis le pied sur le bateau jusqu’ici, mais on va arriver sans a priori, avec un œil neuf et l’esprit ouvert – ce qui peut aussi être une force. Et on va avoir la chance de pouvoir se faire un peu la main sur l’AC75, ce n’est pas comme si on découvrait notre bateau quatre mois avant la Coupe, comme les autres ont pu le faire sur la dernière édition.
► Justement, quand allez-vous naviguer en AC75 ?
L’équipe a acheté le premier bateau néo-zélandais qui va arriver à Barcelone, il y aura ensuite pas mal de boulot pour le mettre en route. On a droit à 20 jours de navigation de début juillet jusqu’à fin septembre, c’est peu, donc il va falloir les optimiser pour qu’on soit efficaces.
Photo : Samo Vidic