Agé de 62 ans, l’Australien Iain Murray a été nommé fin avril directeur de course de la Coupe de la 36e Coupe de l’America, rôle qu’il a déjà tenu lors des deux éditions précédentes. L’occasion pour Tip & Shaft de s’entretenir avec celui qui occupe le même poste sur le circuit SailGP et est directeur de la performance de la fédération australienne de voile.
Quelles conséquences ont selon vous les annulations des America’s Cup World Series de Cagliari et Portsmouth ?
Les équipes font leurs premiers pas dans cette nouvelle classe de bateau et sont dans un difficile processus d’apprentissage car on peut considérer que c’est probablement le plus gros changement qu’on ait connu dans la voile, quelles que soient les épreuves. Il y a tellement de choses nouvelles dans cette Coupe de l’America, entre les bateaux, le type de course, l’équipement, que ça aurait été bon de les tester à Cagliari et à Portsmouth.
Quels sont les défis spécifiques pour vous par rapport aux précédentes éditions ?
Le poste de directeur course a changé depuis que j’ai commencé en 2010. C’était à l’époque un très gros travail, parce que je m’occupais de toute la mise en place des America’s Cup World Series, du transport, de la logistique, de l’événementiel, il y avait un gros staff avec moi. Nous avons commencé à Cascais en 2011 avec 130 conteneurs, il fallait tout inventer, et ça a continué par la suite sur les AC45 et les AC72, puis de nouveau les AC45 qui ont évolué vers les bateaux que l’on voit aujourd’hui sur SailGP. Il y a eu une évolution considérable. Maintenant, avec la 36e Coupe, nous sommes de retour à des bateaux plus grands, à des équipages plus nombreux, à des conceptions et à des facettes de la voile qui n’ont pas encore été éprouvées. C’est la première génération de bateaux et c’est vraiment intéressant de voir les différentes théories des architectes, les bateaux, les formes de coques, les tailles d’ailes, et de voir ce que chacun essaie de faire en fonction des parcours. On a le sentiment, comme c’était le cas par le passé, que, lorsque toutes les équipes vont arriver en Nouvelle-Zélande avec les bateaux, ça va être une sorte de révélation, tout le monde va se dire : « Waouh, qu’est-ce qu’on a là ! ».
C’est ce qui vous passionne avant tout en tant que marin et fan de la Coupe ?
Oui, clairement. Il y a tellement de gens très intelligents qui développent les outils et la technologie dont ils disposent. La Coupe de l’America a toujours été, plus que tout autre chose, une compétition de design. En ce sens, cette édition ne va pas décevoir.
Dans ces conditions, où les courses vont-elles se gagner ou se perdre ? Est-ce que ce sera très différent de ce qu’on a vu la dernière fois aux Bermudes ?
D’abord et avant tout, sur le fait de rester en dehors de l’eau. Comme pour tous les bateaux à foils, le temps passé à « foiler » sera un élément-clé. Le départ, l’approche du départ sur les foils et la remontée au vent à plus de 20 nœuds vont être importants. Pour celui qui se trompe, qui est poussé à la faute ou qui descend de ses foils, cela sera synonyme de grosse perte, ce sera la même chose pour une manœuvre mal exécutée. Les variations des différentes formes de coque, les effets aérodynamiques, les effets de sol, les arrêts quand le bateau retombera sur l’eau… il y a beaucoup de choses intéressantes qui pourront se produire et changeront probablement selon le style de naviguer des concurrents.
Comment évaluez-vous les équipes en ce moment, vous attendez-vous à ce que les bateaux soient proches les uns des autres ?
Aujourd’hui, personne n’a vu les bateaux de près naviguer les uns contre les autres, sauf peut-être Ben (Ainslie) et Luna Rossa un peu en Sardaigne. Je pense qu’on peut dire que les Néo-Zélandais vont être très bons, beaucoup de gens à qui j’ai parlé disent que Luna Rossa a aussi fait de belles choses, mais à côté, tout le monde se dit que le bateau de Ben est bon, le bateau américain aussi, qu’il y a de très bonnes idées sur celui des Kiwis… Mais tant que la deuxième génération de ces bateaux n’aura pas navigué, il est trop tôt pour tirer des conclusions. A Auckland sur les nouveaux AC75, nous verrons vraiment les résultats de tout ce que ces gars vraiment intelligents ont appris des bateaux de première génération. Je serais surpris que la deuxième version soit très similaire, je pense que les nouveaux bateaux seront encore plus impressionnants que les actuels.
Qu’avez-vous appris des précédentes éditions qui vous serviront sur cette 36e Coupe de l’America ?
Au début, mon rôle était vraiment de mettre en œuvre un grand événement, avec beaucoup de logistique et d’organisation, alors qu’il est maintenant de faire fonctionner la course, de mettre en place une plate-forme équitable et stable, les mécanismes de contrôle qui l’entourent, qu’il s’agisse des règles de jauge, du parcours et de la sécurité.
Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus dans ce contexte ?
Avec ces bateaux qui vont si vite et après avoir dû faire face à la mort malheureuse d’Andrew (Simpson, équipier d’Artemis) à San Francisco, c’est vraiment la sécurité qui me préoccupe beaucoup. Je pense qu’il faut s’assurer que tout le monde se tiendra aux règles et sera sur la même longueur d’ondes. Et que la victoire se fasse sur l’eau.
Comment est le plan d’eau d’Auckland ?
Auckland est un endroit formidable pour naviguer, les régates auront lieu entre Rangitoto, au large de Takapuna, et le tour de North Head. Nous avons eu toutes sortes de bateaux rapides là-bas, avec notamment les derniers Mondiaux de 49er et de Nacra, ça donne toujours lieu à de grands moments de compétition. Avec la marée et des vents principalement de nord-est ou de sud-ouest, ce sera un bon défi pour les bateaux. Quant aux habitants d’Auckland, ce sont des passionnés de voile qui vont soutenir l’événement comme nulle part ailleurs autre endroit au monde, Auckland sera un endroit formidable.
Vous avez une histoire à Auckland ?
Oui, j’y suis allé quand j’étais enfant et que nous naviguions dans les différentes classes de skiff, les voiles australienne et néo-zélandaise sont très proches culturellement. J’y ai navigué en 12 et 18 pieds et j’y ai gagné mon premier championnat de 18 pieds. J’y ai aussi fait pas mal de match-racing dans les années 80 contre des gars comme Rod Davis, Chris Dickson et même Russell Coutts, j’ai de très bons souvenirs de la Nouvelle-Zélande.
Arrivez-vous encore à naviguer malgré toutes vos occupations ?
Comme vous le savez, j’ai navigué sur des Etchells au Texas et j’ai eu du succès là-bas, c’était formidable. Et nous continuons à naviguer sur des Etchells avec une bonne flotte et de bonnes courses. C’est une bonne chose pour moi de continuer à faire de la régate. La poursuite de mon programme Wild Oats [maxi engagé notamment sur la Sydney-Hobart, NDLR] a aussi été une grande source de plaisir au cours des 15 -16 dernières années. C’est une grande équipe, une grande famille et un grand bateau. Tout cela me prend assez de temps.
Photo : Carlo Borlenghi/America’s Cup