Orient Express Racing Team

Coupe de l’América : quelles différences entre les AC75 ?

Le sixième et dernier AC75 construit pour la 37e Coupe de l’America, celui du défi Orient Express Racing Teama été baptisé mercredi à Barcelone. En attendant la première confrontation officielle lors de la régate préliminaire de Barcelone (22-25 août), Tip & Shaft a cherché à en savoir plus sur le design de cette troisième génération, en compagnie de quatre architectes et ingénieurs français intégrés aux teams : Philibert Chenais (Ineos Britannia), Dimitri Despierres (American Magic), Sam Manuard (Alinghi Red Bull Racing) et Benjamin Muyl (Orient Express Racing Team).

Qu’elle soit disputée en monocoque ou multicoque, sur des bateaux lestés ou volants, la Coupe de l’America reste un grand concours d’architecture navale. Depuis les premières images dévoilées, celles de l’AC75 d’Alinghi Red Bull Racing début avril, les baptêmes et mises à l’eau se sont succédé – le dernier en date étant celui d’Orient Express Racing, baptisé mercredi – avec à la clé leur lot de photos et vidéos, scrutées à la loupe par toutes les équipes pour essayer de comprendre les partis pris de chacun.

Les six bateaux, qui s’affronteront du 29 août au 27 octobre prochain à Barcelone, sont la troisième génération d’AC75 pour une deuxième génération de règles de jauge (deux bateaux étaient permis pour la 36e édition). Les règles ont assez peu changé, aux dires des architectes et ingénieurs, et sont très strictes, notamment en termes de déplacement ou de position du centre de gravité, sans parler des parties monotypes (mât, haut de foils et vérins).

Pas étonnant dans ces conditions de constater, selon Dimitri Despierres, une nette convergence” sur certains aspects architecturaux ou liés au pilotage. “On ne peut pas analyser les profils, les flaps et toute la complexité des appendices sur les photos, mais je remarque que tous les foils sont désormais en T, avec des surfaces très proches et relativement réduites. C’est la leçon du design néo-zélandais de la dernière Coupe et aussi le résultat de l’allègement des bateaux”, note celui qui entame sa huitième campagne depuis sa première comme équipier sur 6ème Sens en 1999 !

 

Les choix radicaux d’Ineos Britannia

 

Côté coques en revanche, les oppositions de styles sont frappantes entre Ineos Britannia, aux formes très marquées, et American Magic ou Prada (Luna Rossa Prada Pirelli) qui ont énormément misé sur l’aéro, ou encore l’arrière d’Alinghi, dont le cockpit se termine en aile avec un bord de fuite vertical, quand les autres plongent vers l’arrière”, décrypte Benjamin Muyl, qui s’est chargé pour le défi français de comprendre et interpréter les plans néo-zélandais, achetés au Defender, en même temps qu’il assurait “le design learning” des navigants sur le simulateur.

De l’avis de tous, le bateau anglais semble le plus radical de la flotte avec sa coque assez haute, le renflement de son pont et les entrées d’eau très fines et profondes de son fond de coque (le fameux bustle), qui se termine d’ailleurs très en avant du safran, contrairement à la concurrence. “Le bustle profond est destiné à fermer le gap entre la coque et l’eau, pour éviter le passage de l’air sous le vent qui perturbe le plan de voilure”, explique Philibert Chenais, “platform leader” du défi anglais.

Et celui qui rempile pour la troisième fois pour le défi britannique, aux côtés du chief designer Martin Fischer, passé de Luna Rossa à Ineos Britannia, d’ajouter : “D’autres aspects de notre bateau peuvent paraître contre-intuitifs, comme le niveau du pont qu’on a monté. C’est pourtant ce qui produit les meilleurs résultats sur les études CFD que nous avons menées, en collaboration avec Mercedes qui nous a offert sa force de frappe dans ce domaine.”

“Coque et pont sont intimement liés et il faut bien comprendre qu’en mode volant, le plus fréquent, cet ensemble devient juste une plateforme d’efficience du gréement, explique de son côté Sam Manuard, recruté par le défi suisse Alinghi Red Bull Racing fin 2021. Beaucoup de compromis différents sont possibles, et après avoir testé des configurations très radicales, nos choix nous ont portés vers plus de polyvalence, à l’image de ce qu’ont fait les Italiens et les Néo-Zélandais.” Une façon de dire que le bateau britannique pourrait être à la peine dans les phases de décollage ou lors des fameux « touch down », fréquents lorsque le vent et la mer ne s’accordent pas, ce qui est une caractéristique fréquente du plan d’eau très ouvert de Barcelone ?

 

Vélo couché sur Patriot

 

Les AC 75 étant des machines énergivores, les watts doivent couler à flots pendant les quelques dizaines de minutes que dure une régate. Si les vérins hydrauliques de foils sont commandés par un parc de batteries monotype, le réglage des voiles utilise exclusivement l’énergie humaine provenant des pédaliers des grinders assis sur leurs vélos. Dans ce domaine, American Magic a particulièrement innové : les cyclistes sont couchés, ce qui a permis d’abaisser de 30 cm la ligne de pont de Patriot, le bateau du New York Yacht Club.

Une configuration gagnante sur le plan aéro et de l’abaissement du centre de gravité de l’équipage, mais “moins performante en termes de puissance développée”, selon Benjamin Muyl. Toujours concernant les hommes à bord, si tous les teams ont symétrisé les équipages (comme en AC 40, plus personne ne traverse aux changements d’amure), barreur et régleur sont côte à côte sur le bateau américain alors qu’ils sont en ligne chez les concurrents. “Tu perds en aéro, mais tu avances le centre de gravité de l’équipage, ce qui permet de charger plus le foil et moins le safran”, justifie Dimitri Despierres.

 

Boucles de contrôle

 

Côté gréement, si la répartition entre GV et voiles d’avant (J1, J2 et J3) semble assez proche, les systèmes de contrôle, quasi impossibles à décrypter sur photos, recèlent, d’après nos interlocuteurs, des approches différentes. Emirates Team New Zealand a par exemple deux écoutes séparées sur deux vérins qui permettent de gérer différemment la pression sur les deux bords de la voile. “Ils ont fait un système un peu différent, avec une bôme équipée de rails de bordure, contrairement aux autres bateaux où les rails sont accrochés à la voile, confirme Sam Manuard. Toute cette mécanique est capitale pour la performance. La capacité d’ajuster à haute fréquence, de façon très rapide et très fine, est une des clés.”

Philibert Chenais abonde, estimant que les vraies différences ne se feront pas sur la plateforme, mais “sur les foils, les voiles et leurs systèmes. Qui a les boutons, qu’est-ce qu’ils commandent, quelles sont les stratégies de couplage ?” Car sur l’architecture même des bateaux, il y a peu de chances que les teams puissent faire beaucoup évoluer leur AC75 entre les navigations d’entraînement, qui ont commencé au printemps, et la régate préliminaire de Barcelone (22-25 août), juste avant le coup d’envoi de la Coupe Louis Vuitton (éliminatoires entre les cinq challengers, 29 août-7 octobre).

“La règle est stricte sur les pourcentages de modifications possibles et chacun a investi depuis trois ans dans une voie. Le gros gain se fera sur l’apprentissage des marins. Sur l’archi, tu gagnes des centièmes alors qu’une manœuvre réussie, ce sont plusieurs nœuds d’écart”, confirme Benjamin Muyl. Un avis partagé par Dimitri Despierres, qui estime que cette 37e Coupe de l’America remettra à l’honneur la performance des hommes, notamment autour de ce qu’on appelle la mécatronique, qui permet d’associer plusieurs actions simultanées de façon automatique et calibrée. ”Dans l’ancienne règle, ces boucles de contrôle étaient possibles, mais désormais, on travaille sur des boucles fermées, c’est-à-dire qu’on peut programmer des valeurs cibles à atteindre. On a ouvert la boîte de Pandore, c’est un jeu illimité.” Dont on verra donc le résultat à partir de fin août.

 

Photo : Pau Venteo / Orient Express Racing Team

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