America's Cup

Qui va gagner la Coupe de l’America ?

Le Match de la 37e Coupe de l’America débute samedi à Barcelone entre Ineos Britannia, vainqueur de la Coupe Louis Vuitton, et le defender Emirates Team New Zealand, qui va tenter la passe de trois. Pour évaluer les forces en présence, Tip & Shaft s’est appuyé sur Franck Cammas, directeur de la performance d’Orient Express Racing Team, Nicolas Charbonnier, barreur/régleur d’Alinghi Red Bull Racing, Dimitri Despierres, chef du département mécatronique d’American Magic, et Philippe Presti, coach au sein de Luna Rossa Prada Pirelli.

Un peu plus de deux ans et demi après une 36e édition conclue à Auckland par la victoire 7-3 d’Emirates Team New Zealand face Luna Rossa Prada Pirelli, le défi néo-zélandais défend de nouveau son titre face à son challenger of record, en l’occurrence Ineos Britannia. Pour la première fois depuis qu’elle a été créée en 1983, la Coupe Louis Vuitton, compétition éliminatoire entre challengers, est en effet tombée dans l’escarcelle d’une équipe britannique, qui entretient donc son rêve de reconquérir un trophée abandonné aux Américains lors de la première édition en… 1851.

Et pour les quatre experts interrogés par Tip & Shaft, la qualification des hommes de Ben Ainslie pour le Match de la Coupe de l’America est une surprise. “Si tu m’avais posé la question après la Preliminary Race (dont les Anglais ont pris la 4e place fin août), je ne les aurais pas imaginés gagner la Coupe Louis Vuitton, résume Franck Cammas. Il y a eu un « cut » assez prononcé entre les deux round robin, ils ont acquis une solidité qu’ils n’avaient pas auparavant et on a senti dans ses commentaires que le niveau de confiance de Ben Ainslie avait changé du tout au tout, c’est l’équipe qui a le plus progressé.”

Dans quels domaines en particulier ? Si Nicolas Charbonnier estime que les Britanniques ont su durant l’été gommer des défauts assez vite apparus sur leur AC75 – “ils n’ont pas hésité à couper un bout de la coque en dessous, car ils avaient sans doute été un peu ambitieux au niveau aéro en voulant pousser l’effet de plaque, mais avec les vagues, ça traînait souvent” -, tous estiment que c’est avant tout au niveau de la tenue du bateau qu’ils ont progressé. “Il y a quelques mois, ils étaient très instables quand ils volaient, alors que maintenant, dans les manœuvres, les transitions, c’est tout le temps propre”, poursuit le barreur/régleur du défi suisse.

 

Avantage Team New Zealand

 

“Contre les Italiens, ils sortent du lot grâce à la stabilité de leur vol, abonde Dimitri Despierres. C’est de l’ordre du pouillème, mais à ce niveau, ça fait la différence. Je pense que leur utilisation différente des cyclistes, avec quelqu’un dédié au trim, à savoir le réglage longitudinal du bateau, un autre au vol, leur a permis d’être un peu plus constants, là où Prada a fait quelques erreurs, et sur ces régates, il suffit d’une erreur pour que le match soit terminé.” Beau joueur, Philippe Presti confirme : Ils ont utilisé plus de purs marins à ces postes de fournisseurs d’énergie, avec l’avantage de faire des régulations que nous n’étions pas forcément capables de faire de notre côté. Leur progression se situe vraiment là, dans la coordination et le partage des tâches.”

Les conditions de la finale de la Coupe Louis Vuitton, disputée majoritairement dans du vent plutôt fort, ont également joué en faveur de l’AC75 britannique, plus à l’aise au-delà de 12 nœuds. La fiabilité a également été à l’avantage des hommes de Ben Ainslie, Luna Rossa ayant renoncé à prendre le départ de la troisième manche et abandonné lors de la septième. Autant d’atouts qui ne seront pas de trop au moment de défier le tenant du titre, le premier à sept victoires gagnant le droit de soulever l’aiguière d’argent tant convoitée.

Nos quatre experts estiment cependant que le defender reste en position de force pour réussir le triplé. D’abord parce que, selon la plupart d’entre eux, le bateau kiwi leur semble plus performant, en tout cas plus polyvalent que son rival. “Dans le petit temps, les Kiwis ont clairement l’avantage, note Dimitri Despierres, au point que si le Match se joue dans 6-9 nœuds, j’ai peur ça se termine sur un 7-0.” Franck Cammas abonde : Dans le petit temps, les Néo-Zélandais ont montré des choses assez extraordinaires. Malgré leurs petits foils, ils sont capables de voler très vite avec peu de toile, je les ai rarement vus mettre un J1 dans ces conditions, alors qu’il y a le risque de se poser, c’est assez étonnant et ça montre qu’ils maîtrisent très bien la partie hydrodynamique.”

Et si Ineos Britannia a brillé dans du vent soutenu, le même Franck Cammas estime que dans ces conditions également, les Néo-Zélandais ont leur mot à dire : “On a vu des sorties d’entraînement assez impressionnantes de leur part, avec de la vitesse, une capacité à manœuvrer dans des conditions difficiles, on les sent sereins, ils ne sont pas dans la retenue.” Nicolas Charbonnier estime cependant que “des conditions avec beaucoup de vagues peuvent avantager Ineos qui n’a pas les espèces de bulbe sur les foils de Team New Zealand, qui provoquent beaucoup de traînée quand ils sont immergés, l’état de la mer peut favoriser les Anglais.”

 

Ben Ainslie vs Peter Burling

 

Reste que contrairement à Ineos Britannia, engagé sur la Coupe Louis Vuitton, le defender, “après s’être servi des deux rounds robins pour valider ses performances, a eu un mois pour faire évoluer son bateau, je ne serais pas étonné de les voir encore plus rapides”, note Philippe Presti. “Depuis, ils ont fait des nouvelles voiles, des modifications sur les foils, c’est rare qu’ils se trompent dans leurs évolutions. Et on peut s’attendre à ce qu’ils soient très solides dans les manœuvres, un point sur lequel ils insistent beaucoup”, ajoute Franck Cammas.

Cela signifie-t-il que le match est plié d’avance ? Aucun de nos experts ne le pense, d’abord, parce que, comme l’explique Philippe Presti, si des différences existent entre les bateaux, elles sont bien moindres que lors de la 36e édition : “Sur la dernière Coupe, on est à 3-3, alors qu’on devait être plus d’un nœud et demi plus lent qu’eux en VMG ; là, on parle de dixièmes de nœud.” D’où l’importance du match racing pur, domaine dans lequel, pour tous nos experts, les Britanniques partent avec un avantage dans la mesure où ils sont sur la lancée de la Coupe Louis Vuitton, là où le dernier match de Team New Zealand remonte au 9 septembre. D’où le risque pour ce dernier d’être “un peu rouillé”, selon Nicolas Charbonnier.

“Le challenger a fait une vingtaine de matchs supplémentaires à très haut niveau et de plus en plus serrés, ce qui l’a fait beaucoup progresser dans les phases de pré-départ et de vitesse pure, c’est le meilleur entraînement possible, que n’ont pas eu les Néo-Zélandais”, confirme Franck Cammas. Or, selon Philippe Presti, “ça va vraiment se jouer sur la phase de départ et la façon dont le bateau de devant va contrôler la situation. Il faut être devant au premier croisement et ne plus faire d’erreurs, car ensuite, c’est très difficile de doubler.”

Au jeu de la régate, Ben Ainslie et Dylan Fletcher, l’autre barreur de l’AC75 d’Ineos, peuvent-ils damer le pion au duo Peter Burling-Nathan Outteridge ? “Les Kiwis se sont clairement renforcés avec Nathan Outteridgec’est un groupe hyper solide. Maintenant, Ben est le plus grand régatier de l’histoire de la voile, quatre fois champion olympique, une fois vice-champion, il a déjà gagné la Coupe (en 2013 avec Oracle), il navigue depuis plusieurs saisons sur SailGP, quand il a son projet bien en tête, il délivre pas mal”, sourit Nicolas Charbonnier.

Ben Ainslie est quelqu’un qui fait peur. Quand il est dans la bonne concentration, c’est un adversaire très coriace, il peut y avoir chez ses rivaux une certaine réticence à aller trop se frotter à lui sur les phases de contact”, ajoute Franck Cammas. Dimitri Despierres se montre plus nuancé : “En face, il y a aussi des champions olympiques, qui ont navigué sur des Moth ou des 49er, des bateaux plus proches du vol qu’un Finn.” L’ingénieur d’American Magic a le mot de la fin : Quoi qu’il arrive, on va vivre un moment d’histoire : d’un côté, ce serait extraordinaire que la Grande-Bretagne remporte la Coupe après l’avoir perdue en 1851, de l’autre, aucune équipe n’a gagné trois fois d’affilée dans les temps modernes.”

Photo : Ian Roman / America’s Cup

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