Armel Le Cléac'h

Armel Le Cléac’h : “Il faut naviguer plus”

L’année d’Armel Le Cléac’h aura été animée, entre troisième place sur l’Arkea Ultim Challenge-Brest, relais de la flamme entre Brest et les Antilles, passage par Marseille puis Paris pour les Jeux olympiques. Avant de retrouver la barre en septembre de Banque Populaire XI pour les 24h Ultim (4e) et la Finistère Atlantique, qui s’élance samedi de Concarneau à destination d’Antibes. Tip & Shaft rembobine cette saison avec le marin de Saint-Pol-de-Léon.

▶︎ As-tu mis du temps à te remettre de l’Arkea Ultim Challenge ?
Oui, ça a été une sacrée aventure, dans laquelle on a tous puisé beaucoup d’énergie. Personnellement, j’ai mis deux-trois mois à sortir de cette fatigue physique et mentale, c’était un challenge relevé d’enchaîner Transat Jacques Vabre et tour du monde. Si on veut comparer avec un Vendée Globe, je dirais que c’est plus fatigant, car même si c’est moins long, c’est plus intense. Sur ces bateaux, le moindre petit grain de sable – problème technique, erreur de manœuvre – devient vite très compliqué à gérer en solitaire. Ça prend du temps et de l’énergie, ça ne se résout pas d’un simple claquement de doigts, j’avais le souvenir que c’était plus simple en Imoca. Maintenant, je suis ravi d’avoir participé à cette grande première pour moi de faire un tour du monde en multicoque, ça faisait presque huit ans que je n’avais pas été dans ces contrées lointaines, c’était une bonne leçon, je me dis que si je dois revenir dans quatre ans, j’aurai ça comme atout.

▶︎ Quelle leçon en as-tu retenue ?
D’abord, que le bateau a été capable d’encaisser un tour du monde, ce qui était quand même une inconnue au départ. Ensuite, le fait d’avoir réussi à le mener en solitaire en 56 jours dans tous les types de conditions – j’ai eu jusqu’à 56 nœuds au portant et beaucoup de mer pendant plusieurs jours – me permet aujourd’hui d’aborder beaucoup plus sereinement les courses à venir. Finalement, hormis sur la Route du Rhum, on navigue peu en solitaire sur ces bateaux, j’ai désormais beaucoup plus confiance en mes capacités, je n’ai pas du tout la même appréhension que quand je suis parti en janvier de Brest.

▶︎ Cela veut-il dire qu’il faut davantage de courses en solitaire en amont pour se mesurer à un tel challenge ?
Non, il ne faut pas en faire 15 000, car c’est compliqué de naviguer en solitaire sur ces bateaux. En revanche, il faut naviguer plus, en double ou en équipage. Aujourd’hui, le programme commence à avoir une sorte de colonne vertébrale, avec la Route du Rhum qui est un très grand rendez-vous, cet Arkea Ultim Challenge qui est appelé à en devenir un aussi, même s’il n’a pas eu l’impact médiatique auprès du grand public d’un Vendée Globe. Maintenant, c’est une première, on a commencé à écrire l’histoire, il faut continuer, donc multiplier les courses. Je pense qu’on est arrivés à maturité, il y a de moins en moins d’arrêts au stand prolongés, les bateaux sont quasiment tous aux arrivées, à nous d’avoir un calendrier cohérent à la hauteur de cette classe. C’est plus facile à faire aujourd’hui qu’il y a trois-quatre ans, où nous étions encore assez fébriles, parce qu’on ne voulait surtout pas prendre de risques pour ne pas rater l’échéance majeure de la saison. Là, on peut se permettre d’être un peu plus souple et d’avoir un programme plus complet et plus attractif, pour nous, pour les sponsors et pour le grand public, car c’est important qu’ils voient plus souvent nos bateaux naviguer.

“On veut finir l’année
sur une victoire”

▶︎ Début juin, tu as assuré le relais de la flamme olympique entre Brest et les Antilles sur Banque Populaire XI avec un équipage de personnalités, comment as-tu vécu cette expérience ?
C’était franchement une grande fierté, un beau moment de partage, beaucoup d’émotion au départ et à l’arrivée, notamment avec Marie-José Pérec pour qui c’était très important d’emmener la flamme en Guadeloupe, elle est très attachée à l’histoire de son île. C’était la première fois qu’on faisait une transat avec des gens qui, pour certains, n’avaient jamais mis les pieds sur un bateau, mais on a eu la chance d’avoir une super météo, tout au portant, en route directe entre 12 et 25 nœuds. Je n’avais jamais traversé l’Atlantique aussi vite dans ce sens, moins de six jours, si bien qu’on a attendu quasiment 24 heures au large de la Guadeloupe pour respecter le timing ! Avec Sébastien, ça nous a fait du bien, parce que ça nous a permis de changer nos habitudes ; en général, on est focus sur nos réglages, nos polaires et le classement, là, pour une fois, on a appréhendé une traversée de l’Atlantique de manière différente.

▶︎ Après un passage par Marseille et Lorient pour les 24h Ultim, te voilà donc à Concarneau pour la Finistère Atlantique, qu’en attends-tu ?
C’est un objectif important, car c’est notre dernier rendez-vous de la saison, on a vraiment envie de jouer la gagne et de finir l’année sur une victoire, comme l’an dernier avec la Jacques Vabre. On a vu sur les 24h Ultim et aux entraînements à Port-la-Forêt que les bateaux sont de plus en plus proches, ça se joue maintenant à des détails, à des dixièmes de nœuds entre nous, à part peut-être Actual qui est un petit cran en dessous dans certaines conditions. C’est hyper stimulant de disputer ce genre de course, d’autant plus en équipage, où on peut essayer des réglages qu’on ne peut pas tenter en solo.

▶︎ Le Maxi Edmond de RothschildSodebo Ultim 3 et SVR Lazartigue vont s’attaquer l’hiver prochain au Trophée Jules Verne, pas vous, pourquoi ?
On a effectivement pris cette décision avant l’été. Après le tour du monde, il a fallu mettre les bouchées doubles pour remettre le bateau en état pour le départ du relais de la flamme. Derrière, on a été à Marseille pour les Jeux, puis on est revenus à Lorient pour les courses de septembre, on s’est dit qu’il ne fallait pas faire l’événement de trop. Un gros travail a été fait ces derniers mois, aussi bien pour l’équipe qu’au niveau de la communication chez Banque Populaire, qui était partenaire du Relais de la flamme et des Jeux, tout le monde avait besoin de souffler cet hiver. Je pense que s’il avait fallu enchaîner sur un Jules Verne, on aurait pris des risques inutiles.

“Des nouveaux foils
cet hiver”

▶︎ Ce n’est que partie remise ?
Oui, on décale notre tentative d’un an, le Jules Verne sera une nouvelle page à ouvrir pour moi. On va bien sûr suivre nos petits camarades cet hiver, j’espère qu’il y en a qui iront jusqu’au bout, et s’ils battent le record, ce sera super. Nous, cet hiver, on a un bon chantier en perspective, puisqu’on a prévu de changer nos foils. L’année prochaine, ce sera la cinquième saison du bateau et on s’est dit que c’était le moment de l’upgrader. On a travaillé sur le sujet avec VPLP et notre bureau d’études ; grâce aux capteurs et à la fibre optique sur nos foils, on a enregistré énormément de données depuis trois ans, qu’on n’avait pas quand on a fabriqué la première paire. On a testé différents modèles en simulateur, on a aussi bénéficié des retours de la Coupe de l’America, ça nous a permis de bien choisir. Cette partie appendices est vraiment le nerf de la guerre, les dés sont maintenant jetés ! On les recevra en février/mars, on veut les tester rapidement, avec un objectif important en 2025 qui est de défendre notre titre, avec Sébastien, sur la Transat Jacques Vabre et donc d’enchaîner avec le Jules Verne.

▶︎ Des bruits de ponton laissent entendre que Banque Populaire aurait l’intention de revenir sur le Vendée Globe en 2028 avec un bateau neuf, peux-tu nous en dire plus ?
Aujourd’hui, le Vendée Globe reste un événement majeur que Banque Populaire suit avec attention. On n’est pas présents cette année pour les raisons qu’on connaît [séparation avec Clarisse Crémer, NDLR], mais on regarde attentivement ce qui se passe sur le circuit Imoca. On va laisser passer cette édition et Banque Populaire communiquera après sur ses intentions de faire, ou non, un retour sur l’épreuve. Pour l’instant, ce n’est pas la priorité.

▶︎ Quelles sont justement tes priorités à moyen terme ?
Gagner la Route du Rhum dans deux ans. Après, on verra, pour l’instant, j’ai des idées, des envies, mais je ne veux pas aller trop vite en besogne.



Un calendrier en construction. Les membres de la classe Ultim ont profité de la Finistère Atlantique pour notamment plancher sur le futur calendrier, mission qui incombe notamment à son nouveau délégué général, Pierre-Jean Golven, nommé en juin. Pour ce qui est de la flotte, elle va légèrement évoluer en 2025, avec l’arrivée à l’automne du nouveau Gitana 18 de Charles Caudrelier. L’actuel Maxi Edmond de Rothschild fait l’objet de négociations entre Samuel Tual, président d’Actual (et de la classe Ultim) et le Gitana Team, mais la vente est conditionnée à celle de l’actuel Actual Ultim 3, pour lequel le team dirigé par Yves Le Blevec cherche un acquéreur. Le tarif : 7 millions d’euros.

Photo : Arnaud Pilpré

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