Alexia Barrier et son équipe de The Famous Project ont remis à l’eau ce vendredi au chantier Multiplast de Vannes Idec Sport, l’ancien trimaran de Francis Joyon, à bord duquel la navigatrice de 44 ans compte s’attaquer fin 2025 au Trophée Jules Verne avec un équipage 100% féminin. L’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec elle.
► Que s’est-il passé depuis que tu as officiellement présenté The Famous Project en juin 2023 ?
Nous avons beaucoup navigué, quasiment une centaine de jours, sur le MOD 70 Limosa, avec notamment deux transats, une en course, la Transatlantic Race, et une en convoyage avec un équipage 100% féminin, c’était la première fois que nous naviguions sans nos coachs. On a énormément progressé, dans le sens où ne subit plus, on arrive à avoir la tête en dehors du bateau et à penser perf et vitesse 100% du temps, alors qu’au début, on avait juste comme priorité de ne pas se retourner. Ça nous a vraiment été bénéfique de prendre nos marques grâce aux navigateurs expérimentés que sont Brian Thompson, Miles Seddon, Jack Bouttell et évidemment Jonny Malbon et Tom Dawson qui sont là tout le temps. Notre progression prouve que la méthode est bonne, on va la réitérer sur Idec Sport, avec d’abord des entraînements en mixte, puis des sorties en 100% féminin.
► As-tu déjà sélectionné l’équipage qui t’accompagnera sur le Trophée Jules Verne fin 2025 ?
On a un noyau dur de filles qui reviennent quasiment tout le temps, à commencer par ma co-skipper Dee (Caffari) qu’on a beaucoup de chance d’avoir dans l’équipe, parce qu’elle a l’expérience des grands projets, de la navigation en équipage et de l’accueil des rookies, c’est un super bras droit. Ensuite, il y a Marie Riou et Elodie-Jane Mettraux, l’Anglaise Deborah Blair, la Hollandaise Arianne van de Loosdrecht, la Néo-Zélandaise Rebecca Gmuer… Je ne sais pas encore si on sera huit ou dix sur le tour du monde, mais on va continuer la sélection jusqu’à la fin de l’année, on voudrait encore tester quelques filles, notamment après les Jeux olympiques.
“On a la moitié du budget”
► Parallèlement, tu poursuis ta recherche de partenaires, où en es-tu ?
On a la moitié du budget visé, de l’ordre de 3 millions d’euros par an. Nos partenaires principaux sont le CIC, Wipro, Idec Sport et, depuis peu, Richard Mille, on cherche un partenaire titre ou des partenaires complémentaires pour avoir plus de temps de navigation, sachant que sur The Famous Project, on paie les filles au même salaire que les garçons. La masse salariale est assez importante, les bateaux coûtent cher si on veut les rendre plus performants. Donc depuis que je suis rentrée de la transat retour, j’ai renfilé ma casquette de VRP, j’ai bon espoir qu’on arrive à boucler ce budget dans les six mois à venir.
► Est-ce un projet qui parle aux partenaires que tu rencontres ?
Oui, parce qu’on est un projet différenciant, avec des valeurs autour de la mixité et de l’inclusion, mais aussi un volet environnemental avec mon association de protection de l’océan. Les sociétés avec lesquelles on échange ont bien conscience que ce n’est pas qu’une histoire de record, l’idée est de faire bouger les lignes ensemble. Elles comprennent également que ce n’est pas non plus qu’une histoire de femmes qui vont faire le tour du monde, on n’est pas dans une « charity », mais dans un projet professionnel de haut niveau qui vise la performance. Nos interlocuteurs voient qu’on se donne du mal pour rattraper toutes les années pendant lesquelles nous n’avons pas pu naviguer sur des multicoques et qu’on apprend vite.
► Si tu trouvais le budget, cela te permettrait-il de naviguer sur les deux bateaux ?
Oui, on aimerait continuer avec le MOD, parce que le fait de naviguer en course contre Zoulou, Argo ou d’autres, nous aide à progresser. On aimerait bien participer cette année à l’Aegean 600, la Multihull Cup à Palma et la Middle Sea Race. Ça peut aussi nous permettre de garder un groupe élargi et de continuer à former des filles pour les années suivantes. Mais pour l’instant, la priorité, c’est Idec Sport, on va s’entraîner tout l’été autour de La Trinité-sur-Mer, on ira ensuite en Méditerranée pour des sessions un peu plus longues, avant de viser des premiers records à la fin de l’année, notamment celui de la Route de la Découverte ou du tour des îles britanniques. Certains nous semblent prenables, on voudrait aussi établir des premiers temps de référence féminins.
“On sait qu’on part de loin”
► Quels étaient les objectifs du chantier que vous avez mené sur Idec Sport ?
On a tout révisé de A à Z, refait du composite sur certaines zones qui n’étaient plus très saines, changé énormément de pièces, révisé les voiles… C’était un travail de titan bouclé dans un temps record et avec un petit budget. On n’a pas cherché à faire de modifications, parce que c’est un bateau qui fonctionne bien tel quel, mais si le budget le permet, j’aimerais bien ajouter une casquette pour davantage protéger l’équipage et éventuellement tester les safrans en T que Francis et son équipe avaient utilisés quelques jours avant de les remettre dans le container.
► Ce dernier détient le record (40 jours 23h30) sur ce bateau, ce chrono te semble-t-il accessible ?
Il paraît exceptionnel. Nous, on arrive dans cette histoire après des équipes qui tentent de s’y attaquer depuis des années avec des budgets dix fois plus importants que le nôtre, donc on y va pour le battre, mais on sait aussi qu’on part de loin. Terminer le tour et établir un temps de référence féminin nous paraissent déjà des objectifs importants.
► Te projettes-tu déjà plus loin que ce Trophée Jules Verne ?
Oui, on parle avec nos partenaires d’une deuxième campagne, avec un bateau plus récent, soit un neuf, soit un qu’on rachèterait, pour se mettre au niveau des autres équipes Ultim. Ce n’est pas une question d’envie, mais plus de budget, car personnellement, je me projette sur les dix prochaines années pour essayer de battre ce temps autour de la planète qui est vraiment fascinant.
► Et te verrais-tu t’attaquer à des records en solitaire ?
Oui, complètement, je me projette également en solo, pourquoi pas, déjà, sur une Route du Rhum ?
Photo : Jean-Marie Liot