Charles Caudrelier (Maxi Edmond de Rothschild) a remporté mardi à 8h37 la première édition de l’Arkea Ultim Challenge-Brest après 50 jours 19 heures 7 minutes et 42 secondes. Un peu plus de deux jours plus tard, Thomas Coville (Sodebo Ultim 3) lui a succédé jeudi à Brest, où Tip & Shaft a passé la semaine. Retour sur ces arrivées, avec quelques experts, croisés sur le quai Malbert.
C’est donc Charles Caudrelier qui, le lendemain de ses 50 ans, a inauguré le palmarès de l’Arkea Ultim Challenge-Brest, vainqueur mardi en un peu moins de 51 jours. Le timing de l’arrivée aura été bien réglé par le Gitana Team qui avait annoncé 8h30 la veille, le marin, arrivé en mode volant dans le goulet de Brest au lever du soleil, a coupé la ligne à 8h37, avant d’être accueilli un peu plus d’une heure plus tard, par le public brestois. Combien étaient-ils ? “5 000 à 6 000“, répond Joseph Bizard, directeur général d’OC Sport Pen Duick, société organisatrice de la course autour du monde (voir interview ci-dessous).
Au pied d’un plan Verdier quelque peu estropié, Cyril Dardashti, directeur général du Gitana Team, se réjouit alors : “Cette victoire n’était pas du tout écrite, tous les concurrents étaient susceptibles de gagner, ça s’est fait avec l’huile de coude, toute la ténacité et la compétitivité de Charles sur un bateau éprouvé qui a montré qu’il était capable de tourner autour de la planète. C’est une consécration qu’on attendait depuis des années.” Sobre, Charles Caudrelier, lors de la conférence de presse organisée à 14h30 au sein de l’espace partenaires du village, parle de “case cochée”, après celles, entre autres, de la Solitaire du Figaro, de la Volvo Ocean Race (deux fois), de la Transat Jacques Vabre (trois fois) et de la Route du Rhum. “Les lignes sont belles”, ajoute le héros du jour.
Une cinquantaine d’heures plus tard, par un jeudi après-midi pluvieux, Thomas Coville s’offre à son tour de belles images d’arrivée, à près de 30 nœuds sur un foil, faisant dire à Yves Le Blevec, directeur du team Actual d’Anthony Marchand, et présent sur l’eau dans le goulet de Brest : “Il a fait le show en passant la ligne pleine balle, c’était plein d’émotion.” Le skipper de Sodebo Ultim 3 reçoit lui aussi l’ovation d’un public venu un peu moins nombreux que mardi, mais conquis par sa capacité à partager ses émotions.
“Thomas est onirique”
“C’est un moment d’excellence, de partage fou, c’est immense. Il faut imaginer 52 jours pendant lesquels vous n’avez parlé à personne ni vu de visages, et là, ça vous submerge”, commente-t-il, les yeux rougis par le sel, la fatigue et l’émotion, avant de s’adresser tour à tour à son équipe, à Patricia Brochard, co-présidente de Sodebo, à ses routeurs Philippe Legros et Dominic Vittet, ainsi qu’à Olivier de Kersauson, au premier rang sur le ponton, avec lequel il a bouclé le premier de ses neuf tours du monde, en 1997.
“Thomas est un personnage à part dans la course au large, il se distingue par sa façon de raconter les choses en parlant d’aventure, pas que d’exploit sportif, là où Charles est plus dans la performance et dans la technique, mais tout aussi intéressant à écouter”, commente Luc Talbourdet, fondateur d’Avel Robotics et ancien team manager de Jean-Pierre Dick. “Thomas est onirique, il y a un vrai lien entre lui et le public”, ajoute Emmanuel Bachellerie, membre de la classe Ultim (dont il a été délégué général).
Le ressenti au moment de retrouver les marins, après plus de 50 jours en mer ? “C’était intéressant de voir leurs visages, je les ai trouvés physiquement marqués par l’engagement de la course, répond Charlie Dalin, deuxième du dernier Vendée Globe et présent mardi et jeudi. Au fur et à mesure, on a senti que les traits se tiraient et que la tension nerveuse usait les marins ; les hautes vitesses et l’épée de Damoclès du chavirage, ça épuise.”
Des bateaux fatigués
Les marins ne sont pas les seuls à avoir terminé cet Arkea Ultim Challenge-Brest fatigués : à leur arrivée au ponton, les bateaux en affichent eux aussi les stigmates, particulièrement le Maxi Edmond de Rothschild, qui, selon Charlie Dalin, “raconte son histoire”, privé de plusieurs carénages, notamment à l’avant de son flotteur tribord (dès le quatrième jour de course), mais également du plan porteur de safran tribord, perdu dans l’océan Indien. Charles Caudrelier décrit aussi “un trou dans le cockpit sous la barre à tribord”, des problèmes de dessalinisateur et de foil tribord et surtout, avoir déchiré sa grand-voile juste après le passage du cap Horn, au point d’avoir envisagé une escale technique au Brésil. “Mon équipe m’a dit qu’ils avaient une solution pour réparer, au début, je n’y croyais pas trop, mais elle s’est avérée géniale, ça m’a pris quelques heures de boulot.”
Et du côté de Sodebo Ultim 3, qui s’était arrêté à mi-parcours à Hobart (Australie) pour une réparation du balcon et du filet avant, et pour consolider celle effectuée en mer par Thomas Coville sur les systèmes de descente de foils ? Un J1 inutilisable et la perte de l’aile de raie de la dérive (plan porteur) après le Horn, faisant dire à Renaud Banuls, un des architectes du bateau : “Je crois que c’est un peu le fusible et que Thomas n’est pas le seul à l’avoir perdue, il faudra analyser si c’est consécutif à un choc ou à un effort, c’était apparemment très engagé quand ça lui est arrivé. Quant à l’usure du bout de montée de foils, c’est étonnant, ça n’était pas du tout arrivé sur la vie du bateau, d’autres concurrents ont également rencontré des problèmes de ce type. Mais ces bateaux, ce sont des années d’expérience et de casse, l’enjeu de la prochaine fois sera de faire un tour du monde avec un bateau plus intact.”
Charles Caudrelier a d’ailleurs confié mardi à ce propos : “On avait fait un bateau assez costaud parce qu’on avait cet objectif de tour du monde, il faut sans doute faire encore plus costaud. Il y a plein de petits détails sur lesquels on s’est battus sur le poids, je pense notamment à l’aérodynamisme, on a fait des carénages avec de la toile d’avion, parce que c’était ultra léger, mais à l’arrivée, il y a des trous partout. Résultat, j’étais à 80-85% de la polaire du bateau à cause de cette perte aérodynamique pour quelques kilos gagnés.”
Devant les deux Ultim amarrés au pied du quai Malbert, Yves Le Blevec analyse de son côté : “Je ne suis pas surpris par le nombre d’avaries, on l’avait déjà vu sur la Transat Jacques Vabre : après deux semaines de course, tous les bateaux étaient arrivés avec une belle « job list », il n’y avait pas de raison que ça change sur une course de deux mois. Il y aura énormément d’enseignements à tirer, ces Ultim ont un potentiel énorme, mais on voit bien qu’il n’y en a pas un qui tient la cadence sur un tour du monde, ils ont tous été beaucoup moins vite les dix derniers jours que les dix premiers. Il y a encore beaucoup à faire pour essayer d’être plus réguliers, mais on aurait tous signé pour avoir, si tout va bien, cinq bateaux sur six à l’arrivée.”
“On a énormément de mal à
communiquer sur nos problèmes”
Grâce aux escales autorisées qui auront concerné cinq des six bateaux partis le 7 janvier de Brest et, finalement, vite réduit le suspense sportif, surtout à l’avant de la flotte après l’avarie de Tom Laperche au bout de onze jours de course qui l’a contraint à l’abandon. D’où un intérêt médiatique moindre ? “L’intérêt sportif en tête a baissé, on avait l’impression que Charles se baladait un peu, que ça paraissait presque facile alors que c’était tout sauf facile, répond le même Yves Le Blevec. C’est aussi la complexité qu’on a de bien communiquer sur la difficulté, on a tous énormément de mal à parler de nos problèmes, alors que c’est aussi ça qui donne la saveur à ces courses autour du monde. Il faut trouver le bon curseur, il y a sans doute un peu de job à faire à ce niveau-là.”
Un avis partagé par Emmanuel Bachellerie : “L’un des enseignements est peut-être de donner davantage de liberté aux marins, non pas qu’on les interdise d’être eux-mêmes, mais peut-être qu’ils s’autocensurent un peu, alors que ce qu’ils vivent est unique. Quand Thomas (Coville) réglait son foil au-dessus de l’eau, il a expliqué que c’était comme s’il était dans une voiture, la tête à l’extérieur, sans phares, à 110 km/h sur une route escarpée avec 250 mètres de vide et des trombes d’eau. Ce genre de récit permet de se rendre compte ce que ces marins ont vécu H24 pendant plus de 50 jours.”
Charlie Dalin estime de son côté “que les courses mettent du temps à rentrer dans le paysage. Sur le premier Vendée Globe, l’attention était sans doute différente de celle d’aujourd’hui, cette course était un galop d’essai, elle va grossir au fur et à mesure des années, on peut penser que la prochaine sera bien plus médiatique.”
Photo : Vincent Curutchet / Team Sodebo Voile