Retiré de la course au large depuis la Route du Rhum 2018, Sidney Gavignet s’est reconverti depuis dans l’accompagnement au développement individuel et collectif. Ce qui le conduit à naviguer de temps en temps, comme l’an dernier en Figaro avec Laurent Givry, ou en ce début d’année, puisqu’il faisait partie de l’équipage du MOD70 Limosa d’Alexia Barrier, 3e en temps réel de la Rorc Transatlantic Race. Tip & Shaft en a profité pour échanger avec lui.
▶︎ Comment t’es-tu retrouvé embarqué sur la Rorc Transatlantic Race ?
Parce qu’Alexia m’a appelé pour me proposer de naviguer avec elle, je suppose qu’elle l’a fait parce que j’ai quand même passé quatre ou cinq ans sur un MOD70 aux débuts de ces bateaux. Je ne navigue plus, mais ça reste pour moi un bateau extraordinaire, le sien s’appelle Limosa, le nom d’un oiseau migrateur, pour moi, le MOD70, c’est entre l’oiseau et l’étalon. J’aime en plus beaucoup le projet d’Alexia [de Trophée Jules Verne sur Idec Sport avec un équipage 100% féminin, NDLR], donc cette opportunité me plaisait vraiment, je vais d’ailleurs également les rejoindre sur la Caribbean 600.
▶︎ Connaissais-tu Alexia avant de t’engager ?
Oui, j’avais un peu travaillé avec elle quand elle avait décidé de prendre un virage à la suite de la Transat Jacques Vabre 2021 et de se lancer dans The Famous Project. Elle avait entendu un podcast dans lequel je parlais de ma transition vers ce métier d’accompagnement et m’avait contacté, plus pour l’aider à formuler en projet une idée qu’elle avait en elle. C’était une sorte de coaching, même si je préfère le terme d’accompagnement qui veut dire faire éclore quelque chose qui est déjà là.
▶︎ Comment s’est passée cette Transatlantic Race ?
Nous étions huit à bord, cinq filles et trois garçons. En termes de performance, nous étions un peu plus lourds que la concurrence [deux autres MOD70, Argo et Zoulou, NDLR], puisqu’ils étaient six sur les autres bateaux et qu’on avait embarqué deux gennakers, Limosa n’a en plus pas de safrans à plans porteurs, contrairement aux autres. Mais l’objectif à ce stade du projet est surtout de faire naviguer de plus en plus de filles au large et en multicoque. A côté de ça, elles ont toutes beaucoup de bouteille, à la fois en termes de technique pure, mais aussi d’expérience d’équipe – certaines ont notamment couru la Volvo Ocean Race sur Team SCA, qui n’avait pas été une campagne facile. On s’aperçoit aujourd’hui qu’il y a un vrai réseau de femmes marins expérimentées, on l’a encore vu sur la dernière Transat Jacques Vabre. Personnellement, mon rôle était assez effacé, j’étais wincheur-barreur-régleur ; quelque part, ça m’allait bien, parce que je suis encore un peu en rémission de la blessure d’avoir perdu un équipier avec mon MOD sur Oman (en 2015), cette transat a quelque part participé à ce que j’appelle ma médecine personnelle. Dans le travail que je fais d’accompagnement, c’était en plus le bon positionnement et cette transat a été très un très bon laboratoire pour la dynamique interne du projet, notamment pour Alexia qui n’a pas eu un parcours de skippeuse d’équipage.
“Je navigue dans le cadre
de mon activité professionnelle”
▶︎ Clin d’œil du destin, tu as navigué contre ton ancien MOD, devenu Argo, vainqueur de la course…
Oui, c’est étonnant, parce que dans ma carrière, je n’ai jamais eu trop d’émotionnel avec mes bateaux, sauf avec le MOD d’Oman. Je suis très content de voir que ce bateau est aujourd’hui entre de très bonnes mains, en l’occurrence dans celles d’une équipe qui a des moyens presque illimités, c’est comme quand tu confies un animal à une bonne famille. Ils en ont fait un bijou, il n’y a plus de visserie inox, c’est tout en titane, il est magnifique.
▶︎ Vas-tu continuer à accompagner The Famous Project ?
Je n’en sais rien, il n’y a en tout cas pas de contractualisation dans ce sens-là. Pour l’instant, je fais juste la Caribbean 600, on verra après.
▶︎ Tu dis que tu ne navigues plus, mais tu enchaînes ces deux courses et tu as aussi navigué l’an dernier sur le Tour de Bretagne…
J’ai aussi couru le Fastnet sur le Gunboat que gère Alex Thomson… A chaque fois ou presque, c’est dans le cadre de mon activité professionnelle. Ma notoriété vient quand même de mon parcours en voile, donc je peux être amené à accompagner des personnes qui sont actives dans ce sport, dont des skippers, ou d’autres qui viennent de l’entreprise et sont fans de voile. Par exemple en Figaro, si j’ai couru le Tour de Bretagne, c’est parce que je fais un accompagnement global auprès de Laurent Givry, un skipper amateur qui loue d’ailleurs mon bateau, on s’est dit que ça pouvait être bien de faire une course en double. Ça sera d’ailleurs encore le cas cette année, j’accompagnerai aussi une dame qui veut participer à l’Etape de la Solitaire lancée sur la prochaine Solitaire du Figaro. Après, des petits tours en MOD, je ne dis pas non, ces bateaux sont des merveilles, ils sont simples, on n’est pas dans la démesure, et c’est du « re-use », on reste dans le raisonnable écologiquement, ça me plaît bien.
“Les Ultim, des Formule 1
qui ont peu d’âme”
▶︎ Continues-tu à suivre l’actualité de la voile de compétition ? Et notamment l’Arkea Ultim Challenge-Brest qui se déroule en ce moment ?
Je regarde un peu. Pour ce qui est de la classe Ultim, je trouve que les bateaux sont extraordinaires technologiquement, mais mon sentiment est que, finalement, ce tour du monde est pratiquement la première course qui a un peu du sens pour eux. La classe ou les organisateurs pourraient avoir beaucoup plus d’imagination pour chercher des idées de parcours qui, pour ces bateaux à l’échelle planétaire, servent à quelque chose, au monde, à la vie et la planète, et pas seulement pour faire de la pub. Ça ne me suffit pas, je trouve que les Ultim sont un peu à la traîne là-dessus, on a l’impression d’avoir des Formule 1 avec peu d’âme. Je pense que la technologie et la performance dans un objectif de résultat plaisent à certains, mais seulement à 20% des gens qui suivent les courses. Ce qui plaît avant tout, c’est l’humain, l’aventure, les marins qui disparaissent derrière l’horizon… En ce sens, c’est chouette de voir Tom Laperche, un petit nouveau qui a le sourire aux lèvres et s’extasie à chaque minute de ce qu’il vit, d’autant qu’il est entouré d’une équipe que je trouve intelligente dans sa façon de passer le relais et d’évoluer.
▶︎ Éprouves-tu parfois de la nostalgie en pensant à ton « ancien » métier de skipper ?
Après la route du Rhum 2018, qui était un peu mon jubilé, je me suis rendu compte dans les différents accompagnements que je faisais, que j’étais encore un peu trop coureur dans ma tête, ce qui n’était pas la bonne posture. J’en ai pris conscience grâce aux gens que j’ai accompagnés, c’est moins le cas depuis. Je crois que la Transatlantic Race était ma 36e transat, je me rends compte que j’ai été absent pendant toutes ces années en tant que mari et en tant que papa, aujourd’hui, je ne tiens plus à partir de chez moi longtemps, comme avant. Et je suis tellement heureux de faire ce que je fais que je me sens plus à ma place maintenant qu’à la place à laquelle j’étais avant, même si je me régalais. J’ai 55 ans et j’ai l’impression de démarrer un nouveau pan de vie.
Photo : Marie Cortial