Après The Ocean Race et pendant le Fastnet (départ le samedi 22 juillet dans le Solent), la course aux milles pour la sélection au Vendée Globe 2024 bat son plein, alors que les candidats sont plus nombreux que les 40 places disponibles. Pour certains skippers, les enjeux de qualification sont également cruciaux. Tip & Shaft fait le point sur ce dossier complexe.
Petit rappel : pour prendre le départ du prochain Vendée Globe, le 10 novembre 2024, les skippers doivent valider leur qualification ET leur sélection, deux mécanismes bien distincts. “A ce jour, on dénombre 14 bateaux neufs et 29 candidats aux milles, donc 43 projets [pour 40 places disponibles, NDLR], détaille Hubert Lemonnier, le directeur de course. La liste définitive des inscrits sera connue le 1er juillet 2024, à l’issue de New York-Vendée-Les Sables. C’est à ce moment-là qu’une wild card sera accordée, si besoin.”
Côté qualification, l’avis de course stipule : “Pour être qualifié, chaque binôme skipper-bateau du Vendée Globe 2024 devra avoir pris le départ d’un minimum de deux courses en solitaire (dont une en 2022 ou 2023 et une en 2024) ET avoir terminé classé au moins l’une de ces deux courses. En outre, le skipper validera sa qualification si son temps de course est inférieur ou égal au temps de course du premier de l’épreuve augmenté de 50 %.” Les cinq épreuves concernées sont la Vendée Arctique-Les Sables d’Olonne et la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, en 2022 ; Retour à La Base en 2023 ; The Transat CIC et la New York-Vendée-Les Sables, en 2024.
En 2023, Retour à La Base est donc la seule course permettant de valider la première phase de qualification au Vendée Globe. Les marins qui n’ont pas pris le départ de la Vendée Arctique ou de la Route du Rhum en 2022 avec le bateau sur lequel ils disputeront le Vendée Globe sont dans l’obligation absolue de s’engager sur cette épreuve en solo entre la Martinique et Lorient, courue à l’issue de la Transat Jacques Vabre (départ le 26 novembre).
Plusieurs skippers, et non des moindres, sont concernés : Charlie Dalin, Thomas Ruyant, Yoann Richomme, Éric Bellion, Clarisse Crémer ou encore Sam Goodchild. Deux marins n’ont pas encore mis leur bateau à l’eau : Jean Le Cam et Phil Sharp. Contactée par Tip & Shaft, l’équipe de Jean Le Cam révèle que le lancement du plan David Raison, sistership du bateau d’Eric Bellion, devrait intervenir à la mi-octobre à Port-la-Forêt. Le skipper de Tout Commence en Finistère – Armor Lux ne sera donc pas au départ de la Transat Jacques Vabre et ralliera la Martinique en convoyage pour participer à Retour à La Base.
Qualification : des skippers sous pression
Phil Sharp espère de son côté lancer son nouvel Imoca OceansLab à la fin septembre. “Le bateau sera livré à Nantes mi-août au chantier Black Pepper, où seront intégrés tous les systèmes, explique le skipper britannique. Je serai bien au départ de la Transat Jacques Vabre et de Retour à La Base. Je ne vais pas être en mode course sur la Transat Jacques Vabre, plutôt en mode “cool” pour arriver en Martinique et pouvoir me qualifier pour le Vendée Globe.”Un autre marin va être concerné par cette obligation de prendre le départ de Retour à La Base pour valider la première phase de sa qualification : Sébastien Simon, qui devrait officialiser très prochainement le rachat de l’Imoca vainqueur de The Ocean Race, 11th Hour Racing.
On peut également ajouter à cette liste Fabrice Amedeo, qui a perdu le précieux sésame en faisant naufrage sur la Route du Rhum. “Je dois à nouveau me qualifier avec le bateau que j’ai racheté après cet accident. L’obligation d’être au départ de Retour à La Base change ma manière d’aborder la Transat Jacques Vabre. L’objectif est très clair : il faut absolument amener le bateau en Martinique.”
Enfin, contacté par Tip & Shaft, Armel Tripon confie que la construction de son Imoca neuf n’a pas encore débuté. Il ne sera, à coup sûr, pas au départ de Retour à La Base, mais il ne semble pourtant pas perdre espoir quant à la possibilité de participer au tour du monde en solitaire et sans escale.
Concrètement, si l’un des marins cités ci-dessus n’est pas au départ de Retour à La Base, sa participation au Vendée Globe deviendra théoriquement impossible. Hubert Lemonnier rappelle que “les règles ont été édictées en septembre 2021” et qu’il n’y a donc “pas de surprises”. Mais dans l’avis de course figure toutefois une dérogation : “En cas d’avarie majeure rencontrée sur la Transat Jacques Vabre 2023 rendant impossible la participation du binôme (skipper-bateau, NDLR) à la course retour de la Transat Jacques Vabre 2023, l’AO (Autorité Organisatrice) pourra accorder une dérogation et accepter que le départ de la Transat Jacques Vabre 2023 se substitue au départ de la course retour.” Le directeur de course reste prudent sur ce sujet : “Avec cette dérogation, on se laisse une possibilité, au cas où, mais il ne faut pas compter dessus.”
La course aux milles bat son plein
L’autre dossier chaud est celui de la sélection des skippers qualifiés si le nombre de candidats dépasse le quota de 40 participants. C’est la fameuse “course aux milles” qui, avec 43 candidats annoncés, devrait bien avoir lieu. En cas de trop-plein, les concurrents seront sélectionnés sur le nombre de milles engrangés sur 12 courses des Imoca Globe Series, assortis d’un système de coefficients (1 pour le solitaire, 0,5 pour le double, 0,25 pour The Ocean Race – dans la limite de 5 000 milles – et 1,5 pour New York-Vendée car la Saem Vendée souhaite inciter les coureurs à disputer cette dernière répétition avant le Vendée Globe, qu’elle organise également).Point important : la règle ne précise pas que les milles doivent être obtenus avec le même bateau que celui du Vendée Globe. Un marin comme Sam Goodchild, qui n’a pas encore engrangé de milles sur son Imoca For The Planet, a ainsi cumulé 5 000 milles en participant à plusieurs étapes de The Ocean Race à bord d’Holcim-PRB. C’est également le cas de Nicolas Lunven, qui totalise plus de 10 000 milles, mais n’a pas, à date, de projet personnel.
Certains candidats ont pris du retard, à l’instar de Louis Burton qui paye ses deux démâtages sur la Transat Jacques Vabre 2021 et la Route du Rhum 2022. “Je suis désormais dans l’obligation de finir toutes les courses, admet-il. Cela change forcément la donne au niveau des choix techniques et de la gestion des courses”, jugeant que “ce mode de sélection génère du stress.” Le Malouin se retrouve à égalité avec le Chinois Xu Jing Kun et Nicolas Rouger (3 550 milles), devant le Japonais Kojiro Shiraishi (2 643 milles).
Clarisse Crémer, elle, compte zéro mille et va ouvrir son compteur sur le Fastnet : “J’ai essayé de faire des étapes de The Ocean Race, ça n’a pas été possible, c’est donc hyper important pour moi de m’aligner sur ce Fastnet”, expliquait la navigatrice la semaine dernière à Tip & Shaft.
Le casse-tête des bateaux neufs
Enfin, il y a la règle spécifique concernant les marins qui s’alignent avec un bateau neuf. Ceux-là sont épargnés par la course aux milles, mais avec une limite : l’avis de course précise que seuls les 13 premiers nouveaux Imoca à avoir pris le départ d’une des cinq courses qualificatives citées plus haut seront assurés d’être sur la ligne de départ. Or, 14 skippers sont candidats au Vendée Globe avec un bateau neuf. L’arrivée récente de Sébastien Simon sur la liste rebat en effet un peu les cartes, puisque son plan Verdier racheté à 11th Hour Racing Team est le premier des bateaux construits après le dernier Vendée Globe.Dans cette liste, on trouve aussi Kevin Escoffier, mais il semble très peu probable que ce dernier puisse s’aligner au départ du Vendée Globe, après sa mise en cause dans une affaire “d’agression sexuelle ou de comportements inappropriés” pour laquelle le parquet de Paris a ouvert une enquête le 6 juillet dernier. Selon nos informations, le sponsor n’a pas encore pris sa décision sur la suite du projet. Mais Holcim-PRB entre dans le quota des bateaux neufs et pourrait rester dans le processus de qualification et de sélection du Vendée Globe, à condition de prendre – a minima – le départ de Retour à La Base avec un nouveau skipper.
Si 14 skippers sont bien engagés sur des bateaux neufs, l’un d’eux ne sera pas automatiquement sélectionné. Lequel ? Cela se jouera par ordre de validation de la qualification. Autrement dit, Retour à La Base fera office de juge de paix : le moins bien classé des 7 skippers d’Imoca de dernière génération pas encore qualifiés à ce jour – Charlie Dalin, Thomas Ruyant, Éric Bellion, Sébastien Simon, Yoann Richomme, Jean Le Cam et Phil Sharp – sera reversé dans la course aux milles… L’éventuel skipper remplaçant Kevin Escoffier à la barre d’Holcim-PRB sera également concerné.
En comptant les 13 bateaux neufs automatiquement sélectionnés et l’unique wild card attribuable, il reste donc 26 places disponibles, attribuées aux marins ayant le plus navigué. Le tableau comptabilisant les milles des uns et des autres est régulièrement mis à jour par la classe Imoca. Il sera scruté avec attention lors des prochains mois.
Photo : Jean-Louis Carli / Guyader