L’édition 2023 de The Ocean Race s’est achevée à Gênes par la victoire de 11th Hour Racing Team devant Holcim-PRB et Team Malizia. Tip & Shaft dresse le bilan de l’épreuve en compagnie de plusieurs experts : le copropriétaire de l’épreuve Johan Salén, le président de la classe Imoca Antoine Mermod, les architectes Guillaume Verdier et Quentin Lucet (VPLP Design), le marin Franck Cammas, les journalistes Jacques Guyader (Ouest-France) et Stéfan L’Hermitte (L’Équipe).
C’est suite à une décision du jury de la course qu’a été proclamé jeudi matin le vainqueur de The Ocean Race. Ce dernier avait en effet été saisi d’une demande de réparation de la part de l’équipe 11th Hour Racing Team, contrainte à l’abandon sur la septième et dernière étape après avoir vu son Imoca percuté par Guyot Environnement-Team Europe sur un refus de tribord juste après le départ à La Haye. La demande a été acceptée par le jury qui a attribué quatre points à 11th Hour Racing Team, vainqueur finalement avec trois points d’avance sur Holcim-PRB et cinq sur Team Malizia.
L’équipe Holcim-PRB avait de son côté déposé une réclamation contre l’équipage américain, estimant qu’il n’avait pas tout fait pour éviter la collision. Cette démarche, rejetée par le jury, a-t-elle manqué de sportivité ? “Non, estime Antoine Mermod. L’objectif des équipes est de gagner la course et pour ça, il faut savoir utiliser les règles, ça fait partie du jeu, c’est ce qu’ils ont essayé de faire.” Holcim-PRB n’a d’ailleurs pas souhaité faire appel de la décision, entérinant un classement final qui fait dire à Johan Salén : “C’est la première fois dans l’histoire de la course qu’elle se termine comme ça, mais on sait que ça peut arriver dans la voile, ça a créé un suspense un peu différent par rapport à celui de l’édition précédente !”
Cette édition 2023 aura été la première à se courir en Imoca, un pari qui, de l’aveu de nos interlocuteurs, est réussi, même s’il n’y avait que cinq bateaux au départ. “Le bilan est positif, résume Quentin Lucet, architecte chez VPLP Design, qui a dessiné Malizia. Les bateaux sont tous parvenus à boucler le tour du monde en ayant été menés sans retenue, même si on déplore deux démâtages à cause de pièces mécaniques qui ont lâché. Les grands foilers n’avaient pas pu exprimer leur potentiel sur le dernier Vendée Globe, The Ocean Race a permis de valider les concepts de la nouvelle génération.” Pour Franck Cammas, “le fait d’être en équipage a permis de découvrir de nouvelles façons de naviguer avec les grands foils, d’où de très belles moyennes et un record des 24 heures qui est génial, parce que 20 milles au-dessus de Comanche, un bateau de 100 pieds, il fallait le faire !”
“Le vainqueur est celui qui
connaissait le mieux la course”
A l’arrivée, la victoire revient à 11th Hour Racing Team, qui a terminé sur le podium de toutes les étapes, en remportant trois sur sept. Pas vraiment une surprise dans la mesure où l’équipage américain, dont une partie avait disputé les deux éditions précédentes en VO65, était considéré avant le départ comme le favori d’une course qui constituait la finalité du projet, démarré avant tous les autres. “The Ocean Race est une course très dure, je pense que les équipes qui ne l’avaient jamais courue ne s’attendaient pas à ce qu’elle le soit à ce point. Le vainqueur est celui qui connaissait le mieux la course”, résume Johan Salén.
Lauréat de l’édition 2011-12 à la barre de Groupama 4, Franck Cammas, qui a disputé la sixième étape à bord de l’Imoca américain, ajoute : “The Ocean Race est une course de longue haleine, au cours de laquelle il faut essayer de garder le team soudé, c’est là-dessus qu’ils ont bien joué. Ils ont pourtant eu leurs lots de problèmes, mais ils ont su rectifier le tir. Même quand ça ne se passait pas bien, on sentait que l’état d’esprit restait positif avec cette certitude qu’ils allaient performer. Ils se sont en plus appuyés sur un binôme très stable avec Charlie Enright et Simon Fisher qui a certainement la plus grosse expérience du plateau en tant que navigateur au large.”
Interrogé sur les qualités du bateau vainqueur, Guillaume Verdier, qui a également dessiné Holcim-PRB, Biotherm et Guyot Environnement-Team Europe (avec VPLP), répond : “Là où Holcim-PRB est un bateau très raide, super bon au reaching, mais un peu plus typé, 11th Hour Racing est plus homogène.” Ce qui, selon Franck Cammas, constitue sa grande force par rapport à ses concurrents : “Les autres avaient des points faibles un peu trop rédhibitoires pour espérer gagner la course. Malizia a par exemple beaucoup de qualités dans la mer au portant, grâce à sa carène avec du rocker à l’arrière qui permet bien lever l’étrave quand il y en a besoin, mais moins de facilités à glisser au près et au portant quand il n’y a pas trop de vent.”
Qu’en pense son architecte Quentin Lucet ? “Malizia a gagné la manche dans le Grand Sud et la dernière dans les petits airs, il tire bien son épingle du jeu dans ces conditions, estime-t-il. Il y a d’autres allures où il a des marges de progression, notamment le médium. Le dessin de la carène fonctionne très bien, il faut travailler les phases intermédiaires où le foil a plus d’importance.”
Un intérêt médiatique relatif en France
Si les enseignements seront nombreux pour les architectes, de leur côté, les organisateurs vont prochainement communiquer le bilan médiatique et populaire d’une épreuve que Jacques Guyader a couverte dans sa quasi-totalité, ne manquant que l’escale de Newport. Pour lui, la palme revient à Itajai : “Le village était blindé de monde tous les jours, je ne m’attendais pas à ça, parce que j’avais fait des arrivées de transats à Salvador de Bahia où il n’y avait personne. Il faut dire que la région de Santa Catarina avait mis de gros moyens pour faire venir du monde avec un village festif.”
Et médiatiquement ? “A l’étranger, la course a été très suivie, particulièrement en Allemagne avec un vrai phénomène Boris (Herrmann) qui est une grande star, il fait la une des journaux télévisés des grandes chaînes nationales, note Antoine Mermod. En France, ça a moins bien marché que ce qu’on espérait, pas au niveau des réseaux sociaux, mais plus de la presse « traditionnelle », c’est un peu une déception. On n’a pas réussi à ce que l’histoire de The Ocean Race trouve sa place.”
Journaliste à L’Équipe, qui n’a accordé qu’une place limitée à la course, Stéfan L’Hermitte avance une explication : “The Ocean Race est sans doute une course fantastique, très engagée, même si le plateau était réduit cette année, mais elle n’est pas très lisible pour nos lecteurs qui s’intéressent à la voile deux fois en quatre ans, pour la Route du Rhum et le Vendée Globe. La voile fait partie des sports de niche pour lesquels les gens ne feront jamais l’effort de comprendre, donc il faut que la porte de la niche soit grande ouverte pour qu’on y rentre plus facilement.” Jacques Guyader estime pourtant que la matière est riche : “Ce qu’on cherche, c’est raconter des histoires ; franchement en cinq mois, j’en ai eu pas mal dans mon filet de pêche, des belles et des moins belles.”
La prochaine édition dans le viseur
Le journaliste fait notamment référence à « l’affaire Kevin Escoffier » qui, selon lui, “a surtout fait parler en France”, ce que confirme Johan Salén. Elle a cependant conduit certains protagonistes de la course à réagir concrètement, comme le souligne Antoine Mermod : “Maintenant qu’on a un peu de recul, on est en train de mettre en place au sein de la classe une cellule pour traiter rapidement des problèmes de ce type, en facilitant la parole de potentielles victimes et en les accompagnant.” Au sein de l’organisation, cette démarche avait déjà été entamée, assure Johan Salén : “On avait commencé à travailler il y a trois mois pour créer un poste de safeguarding officer, chargé d’assurer que les comportements soient corrects et de traiter les éventuels problèmes, on va continuer dans cette voie.”
Les organisateurs vont également plancher dans les prochains mois pour élaborer les grandes lignes de la prochaine édition dans quatre ans, mais aussi de la deuxième de The Ocean Race Europe, à l’été 2025. Deux courses qui se courront uniquement en Imoca et dont Johan Salén espère dévoiler les parcours “en début d’année prochaine” pour l’édition européenne – “il pourrait y avoir une ou deux escales en France” –, et “au printemps suivant” pour The Ocean Race. “L’idée est de garder à peu près la même la durée, donc ce sera un parcours proche. Peut-être qu’on aura une escale de moins en Europe et qu’on en ajoutera une en Australie ou Nouvelle-Zélande.” Ce qui répondrait au souhait de Guillaume Verdier qui “trouve trop dangereux de faire une étape aussi longue sans vérifier les bateaux à mi-parcours”.
Combien d’équipes sont-elles espérées dans quatre ans ? “Entre 10 et 15 me paraît une fourchette raisonnable“, répond Antoine Mermod.
Photo : Sailing Energy / The Ocean Race