Le week-end dernier, Kevin Escoffier annonçait qu’il quittait ses fonctions de skipper d’Holcim-PRB pour la fin de The Ocean Race suite à un « incident présumé » avec une jeune femme de son équipe à Newport avant le départ de la cinquième étape. Depuis, la Fédération française de voile s’est emparée du dossier, Tip & Shaft fait le point sur cette affaire sensible.
L’histoire démarre le soir du lundi 15 mai à Newport, alors que l’équipe Holcim-PRB est en passe de relever le défi logistique de prendre le départ de la cinquième étape de The Ocean Race après avoir démâté au large du Brésil, trois semaines plus tôt. Plusieurs membres des équipes se retrouvent dans un pub local, The Fastnet Pub. Un « incident » se produit alors, impliquant Kevin Escoffier et une jeune femme de l’équipe.
Rien ne filtre sur le moment et l’équipage se retrouve le lendemain au petit matin pour la séance de sport quotidienne. Jusqu’à ce que des rumeurs de plus en plus insistantes, dont Tip & Shaft a alors l’écho, évoquent cet incident pendant que Holcim-PRB est en mer sur la cinquième étape partie le 21 mai de Newport. Elle est remportée le 29 mai à Aahrus par 11th Hour Racing Team devant l’équipage de Kevin Escoffier. Au Danemark, l’affaire continue de faire parler ; elle est évoquée collectivement au sein de l’équipe comme va le reconnaître le skipper dans une interview accordée le 6 juin à L’Équipe et à Ouest-France.
Elle prend finalement une telle ampleur que Kevin Escoffier décide samedi dernier, à la veille de l’in-port d’Aarhus, de débarquer et de renoncer à poursuivre The Ocean Race, évoquant sur son compte Instagram “un incident présumé”. Un communiqué de presse de l’équipe, sans faire mention de cet incident ni citer le nom du Malouin, dévoile dans le même temps la composition de l’équipage pour la sixième étape, dont il ne fait pas partie.
Jean-Luc Denéchau
en première ligne
Cette double communication pousse Jean-Luc Denéchau, président de la Fédération française de voile, à vouloir en savoir plus, comme il l’a confié dimanche dernier dans Le Télégramme et nous l’a rappelé jeudi lors d’un entretien téléphonique. “Cette dissonance m’a interpellé, j’ai passé un nombre de coups de fil assez restreint qui m’ont conduit à penser très rapidement que « l’incident présumé » évoqué par Kevin était plutôt un comportement inapproprié qu’il aurait eu envers une jeune femme lors d’une soirée de l’escale à Newport”, indique le président de la FFVoile. Qui ne souhaite pas nommer les personnes à qui il a téléphoné, “des sources sûres que je connais”, précise-t-il cependant.
Et le patron de la FFV de poursuivre : “Les faits qui m’ont été rapportés justifient que, en tant que représentant de la Fédération française de voile, qui a une délégation de mission de service public, il était de ma responsabilité de faire un signalement auprès du ministère des Sports. Je n’ai pas appelé Kevin, parce que ce n’est pas mon rôle de président. Mon rôle est de défendre l’intérêt général et de sécuriser l’environnement de pratique des licenciés. Si le comportement était avéré, il est évidemment totalement inacceptable et n’a pas sa place dans notre fédération.”
Le signalement de la fédération a été reçu lundi après-midi par le ministère des Sports, nous a-t-on confirmé au cabinet de la ministre Amélie Oudéa-Castéra. Des échanges téléphoniques ont parallèlement eu lieu entre Jean-Luc Denéchau et Fabienne Bourdais, directrice des Sports au ministère, d’une part, et entre Baptiste Meyer, référent de la fédération sur les problématiques de violences, et la cellule du ministère dédiée à ces questions, d’autre part.
Une procédure disciplinaire
ouverte par la FFV
Le ministère des Sports a la possibilité de déclencher une procédure administrative via le préfet de département où réside Kevin Escoffier (le Morbihan) – ce qui ne semble pour l’instant pas d’actualité selon des sources proches du dossier. La suite du dossier se trouve donc essentiellement entre les mains de la FFVoile : “Nous allons ouvrir une procédure disciplinaire, confirme Jean-Luc Denéchau. Un instructeur va être nommé au sein de la fédération, les différentes parties seront contactées et entendues, éventuellement avec leur conseil, par la commission de discipline qui prendra ensuite une éventuelle sanction. Celle-ci peut aller de l’avertissement jusqu’au retrait de licence pour une durée variable ou définitive.” Ce qui pourrait évidemment compromettre l’avenir sportif de Kevin Escoffier.
La fédération a par ailleurs l’obligation, au titre de l’article 40 du code pénal, de faire un signalement auprès du procureur de la République si les faits sont susceptibles de recevoir une qualification pénale. Dans ce cas précis, les faits relèvent-ils de l’agression sexuelle – ce qui n’est à ce jour nullement établi ? “Ce n’est pas mon rôle de dire si c’est une agression sexuelle, commente, Jean-Luc Denéchau. Mais un des rôles de la fédération est effectivement de saisir la justice dans ce cadre, c’est une possibilité.”
Contacté pour donner sa version des faits, Kevin Escoffier nous a renvoyés vers son avocate, Virginie Le Roy. Celle-ci nous a indiqué qu’elle n’avait reçu à ce jour aucune nouvelle de la part des diverses institutions, ce qui l’a poussée à envoyer jeudi soir un courrier à la Fédération française de voile pour réclamer que si poursuite disciplinaire il y a, celle-ci puisse débuter rapidement pour permettre au Malouin de se défendre.
Maître Le Roy ne souhaite par ailleurs pas en dire plus que ce que le skipper a écrit dans son communiqué de mardi et déclaré le même jour aux journalistes de L’Équipe et de Ouest-France. “A ce jour, il n’y a toujours pas de témoignage, rappelle ainsi Kevin Escoffier dans Ouest-France. Ne serait-ce que par respect pour tous les protagonistes de cette affaire, et dans un incident comme ça, je considère que je n’ai pas à donner ma perception, mon témoignage, ou raconter des faits, par voie de presse. Je réserverai ça aux institutions sportives quand elles me le demanderont.”
Et le skipper d’ajouter, lorsqu’il lui est demandé si l’incident avait été réglé en interne : “Il y a plusieurs solutions pour régler ce type de problème. D’abord de personne à personne, et c’est ce qui avait été fait à Newport et Aarhus. Ou alors on peut utiliser l’aide d’institutions. On avait fait la première solution, en interne, mais aujourd’hui, il y a aussi une pression médiatique pour que ce soit également étudié par les institutions. Et dans les deux cas, j’ai dit que je serai disponible.”
Silence radio
du côté des sponsors
Quid de l’organisateur de The Ocean Race ? Référente sur les sujets de violences pour la course, Victoria Low nous a renvoyés vers le communiqué de presse envoyé mardi qui précise : “The Ocean Race n’a reçu aucune plainte ou rapport formel à ce jour (…) Lundi, nous nous sommes entretenus avec la FFV, qui nous a confirmé qu’elle suivait ses procédures pour ouvrir une enquête (…), nous soutenons cette initiative et coopérons pleinement avec la FFV.”
Du côté de World Sailing, la fédération internationale de voile, qui peut être saisie de ce type de sujet via une procédure spécifique, le directeur général David Graham nous a répondu par mail : “Nous sommes au courant des allégations relatives à un incident survenu lors de l’escale de The Ocean Race à Rhode Island. Nous travaillons avec les parties prenantes concernées pour nous assurer que cette affaire est traitée de manière appropriée et avec le sérieux qu’elle mérite. Bien que nous ne soyons pas en mesure de commenter l’incident à ce stade, les comportements du type allégué ne doivent pas être tolérés dans notre sport. World Sailing s’engage sans réserve à faire en sorte que notre sport soit un environnement sûr et accueillant pour tous, et nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour nous assurer que nous respectons cet engagement.”
Du côté de l’équipe comme des partenaires de Kevin Escoffier, Holcim et PRB – le premier, géant suisse du ciment, a racheté le second il y a un an -, personne n’a souhaité nous répondre et évoquer les éventuelles conséquences de cette affaire sur la suite du projet Imoca.
Damian Foxall appelle
à une réflexion globale
Quant aux autres concurrents de The Ocean Race, beaucoup affichent pour l’instant une prudente réserve. Un marin contacté à Aarhus a évoqué une “ambiance pesante“, souhaitant toutefois que “les langues se délient”. Un autre, “triste et surpris des événements”, assure en revanche que “ça ne parle pas du tout de Kevin ici”. La seule équipe qui a accepté d’évoquer l’incident est 11th Hour Racing Team, via son sustainability manager Damian Foxall, qui précise bien qu’il parle à ce titre et non en tant que concurrent de l’équipe Holcim-PRB.
Sans vouloir se prononcer sur les faits, l’Irlandais estime que ceux-ci, avérés ou non, doivent conduire à une réflexion globale. “Beaucoup de travail a été fait sur l’inclusion, la diversité et l’égalité hommes/femmes dans les courses, mais il faut sans doute aller plus loin pour que les grands événements et les classes mettent en place des chartes pour définir les normes de travail, les responsabilités des managers, mais aussi les mécanismes de protection et d’alerte s’il y a besoin. Il faut que ces systèmes soient clairs, accessibles et bien identifiés. The Ocean Race a le sien, est-ce qu’il est suffisamment connu et accessible à tout le monde ? Je ne sais pas. Que fait la classe Imoca sur ces sujets ? Il faut lui demander.”
Contactée à Aarhus juste avant le départ de la sixième étape, l’Imoca n’a pas souhaité faire de commentaires à ce stade.
Photo : Julien Champolion – Holcim-PRB