Ocean Fifty Christopher Pratt

Christopher Pratt : “On voulait absolument notre propre projet sportif”

Arrivé mercredi soir à Newport, terme de la quatrième étape de The Ocean Race dont il a pris la deuxième place à bord de MaliziaChristopher Pratt a réussi l’exploit de prendre le départ ce vendredi à La Seyne-sur-Mer de la première étape du Pro Sailing Tour sur Wind of Trust, l’ancien Ocean Fifty de Gilles Lamiré, dont il est le nouveau skipper. Joint vendredi au petit matin lors de sa correspondance à Roissy entre son vol depuis les Etats-Unis et celui pour Marseille, le navigateur phocéen a pris le temps d’évoquer son actualité chargée.

► Tu sors tout juste de la quatrième étape de The Ocean Race, était-ce prévu à ton programme depuis longtemps ?
Non, pas du tout, la proposition est arrivée fin mars de remplacer numériquement Boris (Herrmann) qui voulait faire une pause sur cette étape. Pour moi, c’était un peu tendu en termes de timing, mais c’était dur de refuser une telle opportunité. D’autant qu’en suivant la course, je me disais que s’il y avait une équipe dans laquelle j’aimerais bien aller, c’était Malizia !

► Comment as-tu vécu cette étape dont vous avez pris la deuxième place, au terme d’un duel intense avec 11th Hour Racing Team ?
C’est vrai que l’intensité a été vraiment dingue, je crois qu’il y a eu 17 changements de leader entre eux et nous sur les quinze derniers jours de course. Et l’ambiance à bord était carrément géniale. Je connaissais Nico (Lunven), on a un peu la même formation, les mêmes approches en termes de stratégie, c’est quelqu’un de très posé, donc je n’étais pas inquiet. Je ne connaissais pas Will (Harris) et Rosie (Rosalin Kuiper), j’avais juste croisé Will vite fait en Figaro, il m’a vraiment étonné par sa maturité, c’est un skipper Imoca déjà hyper complet pour son jeune âge. Quant à Rosie, c’est un vrai personnage de cartoon, elle est toujours ultra motivée, engagée et de bonne humeur. Pour ce qui est du résultat, je pense qu’il n’y a pas grand monde qui nous attendait à ce niveau sur cette étape, dans la mesure où Malizia est un bateau typé Grand Sud, un peu plus lourd que les autres, avec une carène pas très tendue qui décolle un peu plus tard que les autres. Malgré ça, on est passés en tête à l’équateur et derrière, on a été dans le match jusqu’au bout. A 48 heures de l’arrivée, on était au contact avec 11th Hour qui était 4-5 milles sous le vent, mais on est restés scotchés sous un nuage, ce qui nous a fait perdre 30 milles sur eux, on a réussi à recoller sur la fin, mais ça n’a pas suffi. Ça n’aurait pas été du vol si on avait gagné, c’est un peu frustrant car ça nous aurait permis de rejoindre Holcim-PRB en tête du classement général, mais c’est le jeu de la course au large et 11th Hour a aussi mérité sa victoire.

► The Ocean Race, c’est fini pour toi ?
Normalement oui. On discute encore, mais j’ai un programme vraiment trop chargé entre le Pro Sailing Tour et la préparation de la prochaine Transat Jacques Vabre avec Maxime (Sorel), donc je ne pense pas que ça se fera, à regret, parce que je serais vraiment bien resté jusqu’au bout tellement j’ai kiffé l’expérience The Ocean Race dans son ensemble et celle de Malizia en particulier. D’autant que cette étape a complètement relancé la course, ce qui est assez génial, il y a une sorte de nouveau départ à Newport avec les compteurs quasiment remis à zéro entre les trois premiers et Biotherm pas si loin que ça.

 

“On prend clairement un gros risque”

 

► Te voilà au départ du Pro Sailing Tour sur Wind of Trust, comment s’est monté ce projet en Ocean Fifty ?
Ça fait un moment que j’ai un œil sur cette classe de bateaux et sur le Pro Sailing Tour, je trouve que c’est un support hyper complet pour à la fois faire de la course au large et animer une communauté de soutiens, d’ambassadeurs et de partenaires, avec des régates inshore. Ce projet est aussi le résultat d’un bilan fait l’an dernier avec notre équipe de Marsail, qui nous a amenés à nous dire qu’il fallait absolument qu’on ait notre propre projet sportif, mais aussi notre propre outil pour opérer ce qu’on faisait en BtoB, comme les séminaires, les team buildings… On était aussi en train de développer un nouveau programme, qui s’appelle “l’Académie des leaders éclairés”, pour accompagner des dirigeants et des entreprises dans notre vision du management et de la RSE, où l’objectif est de mettre le capital humain au centre du débat, de porter le message que la confiance est au cœur de la performance. Tout s’est accéléré à partir de l’été dernier, on a commencé à regarder les bateaux en vente après la Route du Rhum tout en cherchant les moyens de financer tout ça.

► Et comment faites-vous ?
Le modèle est basé sur cette académie, ça veut dire qu’on va avoir des ambassadeurs, particuliers et entreprises, qui en deviennent membres, ce qui va leur permettre d’accéder à nos formations de management et à nos contenus de recherche scientifique, mais également de venir naviguer sur le bateau et de participer à des événements. Ces ambassadeurs vont abonder dans le fonctionnement global de l’académie dont le bateau est l’étendard. C’est un modèle loin du sponsoring classique, sans naming du bateau qui continuera à s’appeler Wind of Trust. Le financement de l’acquisition a finalement été le plus gros défi : Amandine (Deslandes), mon associée et ma compagne, a réussi à convaincre une banque, ce qui n’a pas été évident parce qu’on achetait un actif qui vaut deux fois notre chiffre d’affaires [un peu moins d’un million d’euros pour le bateau]. La banque nous a permis de financer la moitié, l’autre étant assurée par des investisseurs, on a fait une sorte de levée de fonds record en une petite semaine. C’est un engagement important pour nous, on prend clairement un gros risque, mais ça s’inscrit dans le développement logique de Marsail.

► Le projet va-t-il continuer au-delà du Pro Sailing Tour cette année ?
Oui, on va essayer de financer la participation du bateau à la Transat Jacques Vabre en fin d’année. Sans moi, parce que je m’étais déjà engagé en Imoca avec Max, mais, si, ça se fait, avec Ronan Treussart qui est la pierre angulaire du projet sportif et technique. On a aussi été rejoints dans l’équipe par Laurent Bourguès, qui, pour la petite histoire, est également marseillais d’origine, on faisait du Laser ensemble quand j’avais 15-16 ans. Donc on fera tout pour être au départ, on s’est en tout cas inscrits au Fastnet, qualificatif pour la Transat Jacques Vabre. Pour les années suivantes, l’idée est que je me concentre plus sur ce projet, avec, pourquoi pas, la Route du Rhum en 2026. Ce bateau est la première pierre d’une écurie un peu plus large qu’on veut installer à Marseille, c’est mon rêve depuis longtemps.

 

“La Transat Jacques Vabre du millénaire”

 

► Finissons par ta collaboration avec Maxime Sorel, comment a-t-elle débuté ?
Par l’intermédiaire d’un copain de trail, qui avait rencontré Max aux Voiles de Saint-Tropez, ils avaient fait la Snim ensemble il y a deux ans, on avait alors commencé à discuter. Fin 2021, quand il était en train de finir la construction de son bateau et au moment où ça s’arrêtait avec Charal, je lui ai proposé de lui filer un coup de main pour préparer la Route du Rhum. Je l’ai un peu aidé et il m’a proposé assez naturellement de faire la Transat Jacques Vabre. J’avais d’autres opportunités, mais c’est le projet qui me donnait le plus envie, parce que, un peu dans la même veine que Malizia, il était un peu différent, avec de l’énergie, des ondes positives, un côté un peu disruptif dans la com’. Je me rends compte que ça m’attire plus en ce moment d’aller vers des projets comme ça que vers d’autres qui sont peut-être plus performants, mais dans lesquels je vais peut-être moins m’épanouir humainement.

► Quel est le programme et quelles sont les ambitions ?
Le bateau [V2 de l’ex Apivia, NDLR] vient d’être remis à l’eau, il a été incroyablement conçu par MerConcept, c’est le seul Imoca dans cet état de finition, vraiment une œuvre d’art ! Je les rejoins dès la fin du Pro Sailing Tour, Maxime va de son côté descendre du toit du monde [il tente actuellement l’ascension de l’Everest, NDLR], on commencera à s’entraîner pour le Fastnet, avant de préparer la Jacques Vabre. Qui, pour moi, sera la Transat Jacques Vabre du millénaire, avec quasiment 15 bateaux neufs et un niveau de dingue. Je suis sur le circuit Imoca depuis 2009, on n’aura jamais eu un tel plateau, avec une telle homogénéité et une telle densité, 10-12 bateaux seront capables d’être sur le podium.

► Dont vous ?
Je pense qu’on n’est clairement pas parmi les favoris, on voit bien qu’il y a un gros gap architectural avec la nouvelle génération de bateaux. Et vu le niveau de professionnalisation des équipes, on se rend compte que certains n’ont plus besoin d’un an pour se mettre en jambes, la victoire de Thomas (Ruyant) et de Morgan (Lagravière) sur la Guyader Bermudes 1000 Race le prouve. Donc il faudra rester humbles et à notre place, mais je pense qu’on sera en mesure de jouer le podium.

Photo : Vincent Olivaud

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