Partie le 26 février du Cap à destination d’Itajai, la troisième étape de The Ocean Race (à suivre sur notre site), la plus longue de l’histoire de la course (12 750 milles), est pour l’instant menée par le vainqueur des deux premières, Holcim PRB. A l’approche de la porte de Tasmanie, Tip & Shaft vous propose de revenir sur ce début d’étape en compagnie de Christian Dumard, spécialiste météo de la course, de Yann Eliès, qui a disputé la deuxième sur Malizia-Seaxplorer, et d’Hubert Lemonnier, responsable sportif et opérations de l’Imoca.
Un premier constat s’impose : après bientôt deux semaines de course dans l’océan Indien, la flotte des cinq Imoca n’a pas été épargnée. Un demi-tour d’entrée de jeu pour Biotherm (chariot de grand-voile arraché), perte d’une voile et déchirure sur le haut du mât pour Malizia-Seaexplorer, fissures sur les deux safrans de 11th Hour Racing Team, et délaminage structurel pour Guyot Environnement-Team Europe, rentré au Cap où il a signifié son abandon sur l’étape. “La fiabilité des bateaux a été mise à rude épreuve très rapidement, un peu comme toujours quand on attaque les mers du Sud, tu te prends la claque de l’océan Indien qui fait office de juge de paix. Quatre bateaux sur cinq ont rencontré des problèmes dus aux conditions, qui sont quand même plus engagées que tout qu’ils ont pu connaître depuis leur mise à l’eau”, observe Yann Eliès.
“C’est la première fois que des Imoca s’aventurent en équipage sur du long terme dans ces zones, c’est une sorte de baptême du feu. On se rend compte qu’il y a effectivement pas mal d’avaries après seulement 12 jours de course, mais rien qui ne les empêche de continuer, à part bien sûr Guyot Environnement-Team Europe. Sur un Vendée Globe, une telle avarie structurelle signifie l’abandon, donc à la limite, tant mieux pour Benjamin Dutreux que ça arrive là, The Ocean Race sert aussi à éprouver les bateaux dans les mers du Sud“, ajoute Hubert Lemonnier. Pour ce dernier, cette rude entrée en matière a un peu calmé la flotte : “On s’est rendu compte qu’après 5-6 jours de course, les bateaux étaient plus lents, de l’ordre de 8 à 10%, par rapport à la deuxième étape dans des conditions similaires.”
Ces avaries ont en tout cas permis à Holcim PRB, visiblement épargné par les gros soucis techniques, de prendre la poudre d’escampette d’entrée de jeu, au point de compter un moment jusqu’à 550 milles d’avance sur ses trois poursuivants. “C’est sûr que c’est l’équipe en forme, et quand je parle de l’équipe, j’inclus les navigants et l’équipe technique. The Ocean Race, c’est un défi sportif, mais aussi un défi logistique et technique, il faut arriver à avoir un bateau qui soit à chaque étape le plus performant et fiable possible, il semblerait que pour l’instant, ce soient eux qui réussissent à trouver le meilleur fonctionnement”, constate Yann Eliès.
Holcim PRB pour l’instant en patron
“C’est clair que pour Holcim PRB, tous les voyants sont au vert, abonde Hubert Lemonnier. Avec Kevin (Escoffier) en chef d’orchestre et un équipage complémentaire, on sent qu’ils sont vraiment entrés en mode Ocean Race, ça se voit sur l’eau, c’est ultra pro, ils sont tout le temps aux réglages, on peut dire que pour l’instant, ils déroulent une partition parfaite.” Pour Christian Dumard, “ils ont su très bien positionner le curseur depuis le début de l’étape, appuyer sur le champignon quand ils pouvaient le faire, lever le pied pour préserver le bateau quand il le fallait. Pour l’instant, ils font peu d’erreurs et arrivent à trouver le bon compromis en fonction de l’état de la mer. Ils arrivent bien à switcher d’un mode à l’autre, entre volant et archimédien, il ne faut pas oublier que Kevin a une grosse expérience du Sud, et ça se voit.”
Reste que de 550 milles, l’avance de Holcim PRB est passée ce vendredi à un peu plus d’une centaine sur Biotherm, 11th Hour Racing et Malizia-Seaexplorer, qui se tiennent en une vingtaine de milles. “Comme Holcim était dans un autre système, ils n’ont logiquement pas trop forcé, avançant à 18-20 nœuds, sur un tapis roulant. Ils ont peut-être aussi eu leur lot d’avaries, on a vu qu’ils avaient déchiré la chute de J2. Et, derrière, les autres ont toujours gardé du vent, ce qui leur a permis de refaire une partie de leur retard”, explique Hubert Lemonnier.
Pour Christian Dumard, l’équipage mené par Kevin Escoffier reste en pole position pour passer en tête la porte de Tasmanie, sans doute lundi, où seront distribués les premiers points de cette troisième étape – 5 points pour le premier, 4 pour le second… comme sur les deux étapes précédentes, le même barème sera appliqué à l’arrivée à Itajai. “Je vois Holcim garder un peu d’avance, entre 30-50 milles, ça veut dire deux heures max au bout de deux semaines de course ! En revanche, ils ont plus de marge que les autres, car le front n’est plus très loin des bateaux de derrière, ce qui fait que, si ces derniers rencontrent le moindre problème, ils peuvent se faire avaler par ce front et se retrouver de nouveau dans un autre système.”
Des glaces très nord dans le Pacifique
Pour nos trois experts, cette porte de Tasmanie peut cependant donner lieu à une sorte de nouveau départ, avec, au fur et à mesure que le temps va passer, des problématiques de plus en plus présentes d’usure du matériel et des marins. “On a bien vu sur le dernier Vendée Globe qu’il y a eu pas mal d’avaries juste avant d’arriver au cap Horn, dues au fait qu’on maltraite les bateaux sur une longue période”, confirme Yann Eliès. Le Briochin, qui sait de quoi il parle puisqu’il a couru la deuxième étape, ajoute, lorsqu’on évoque les éventuelles différences de comportement dans les mers du Sud des bateaux, et donc le « confort » à bord : “Je pense que Malizia est fait pour cette étape, pour les glissades au portant dans de la mer. Le passage du bateau dans la mer est beaucoup plus doux, avec moins d’à coups. Le bateau a une capacité à se cabrer, à naviguer l’étrave hors de l’eau que n’ont pas les autres carènes.”
La suite du programme après la porte de Tasmanie ? “Ils vont se déplacer vers l’est dans un flux de nord-ouest, de belles conditions pour aller vite plusieurs jours, avec sans doute du positionnement par rapport au prochain système à venir, ce qui peut donner lieu à des routes proches de la zone des glaces ou d’autres qui montent vers la Nouvelle-Zélande”, détaille Christian Dumard. Avant de voir plus loin : “Sur la dernière partie du Pacifique, les glaces sont positionnées très nord par rapport à la latitude du cap Horn, ça va les obliger à remonter. Et comme on est à la fin de l’été austral, l’anticyclone est positionné assez sud, ce qui veut dire qu’ils risquent de rencontrer des zones de molle le long de la limite des glaces.”
Autant dire qu’il va se passer encore beaucoup de choses au cours de cette troisième étape. Ce qui fait dire à Hubbert Lemonnier : “J’adore que ça reparte comme c’est le cas en ce moment. J’espère que jusqu’au bout, on va avoir le match comme on l’a vécu sur la deuxième étape. Il n’y a certes que cinq bateaux sur The Ocean Race, mais comme ils sont tous très proches, c’est passionnant de voir comment ils se battent entre eux.”
Photo : Marin Le Roux – polaRYSE