Après les Ultim, les Mini 6.50 et les Figaro, Tip & Shaft continue son tour des classes en s’attardant sur la Class40 qui continue à surfer sur une bonne dynamique, avec plus de dix bateaux neufs attendus dans les prochains mois.
Avec 30 bateaux construits entre les éditions 2018 et 2022 de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, la Class40 a vécu une période d’euphorie, due en bonne partie à l’arrivée des scows (étraves arrondies). Ces derniers ont clairement pris le pouvoir, en atteste le classement du Rhum 2022 qui les a vus truster les dix premières places, le premier bateau « pointu », celui de Kito de Pavant, terminant 11e. Mais là où, traditionnellement, les années post-Rhum sont synonymes de creux pour les architectes et les chantiers, la dynamique se poursuit, puisque, après le Pogo S4 (plan Verdier) de l’Allemand Lennart Burke, mis à l’eau juste avant la Route du Rhum, sont attendus en 2023 treize autres 40 pieds… contre deux en 2019 !
On dénombre ainsi quatre autres Pogo à venir, les trois premiers pour le Britannique Joe Lacey, le chirurgien Bertrand Guillonneau et Stéphane Bodin (qui a participé aux dernières Transquadra et Cap Martinique) ; quatre Mach 40.5 (plan Sam Manuard) pour Alexandre Le Gallais, Pierre-Louis Attwell, le projet havrais autour de Cédric Château et Jérémie Mion, et Estelle Greck ; deux Lift V2 signés Marc Lombard Yacht Design pour le Bordelais Edgard Vincens et Fabien Delahaye ; un Owen Clarke pour l’Américain Michael Hennessy et deux plans Gianluca Guelfi (sistership de celui d’Ambrogio Beccaria, deuxième du Rhum), le premier pour Andrea Fornaro, le second disponible pour la Transat Jacques Vabre.
“D’habitude, les projets sont articulés autour de la Route du Rhum et il y a un coup de mou derrière ; là, ça continue sur sa lancée, puisque de nouveaux projets démarrent cette année et des bateaux vont être mis à l’eau, confirme le président de la classe, Halvard Mabire, qui cédera son fauteuil lors de la prochaine assemblée générale en mars. On se rend compte que la classe est devenue suffisamment attractive pour ne plus être totalement dépendante de la Route du Rhum, avec un programme solide et de plus en plus de transfuges d’autres classes.”
“Pour avoir de l’exposition médiatique,
il faut gagner”
Ils étaient ainsi un certain nombre l’an dernier à arriver en provenance de la classe Figaro, attirés par l’odeur du Rhum, mais pas seulement, comme l’explique Corentin Douguet, troisième de la transat en solitaire : “J’y ai largement trouvé mon compte, on navigue beaucoup, le niveau est élevé – et il devrait encore monter -, tu rentres quand même dans de la techno avec les bateaux et ça reste des projets assez légers à porter avec des budgets encore relativement maîtrisés. C’est un très bon point d’entrée dans la course au large.”
Les budgets en question ? “Par rapport à du Figaro, c’est du simple au double, alors que si tu veux faire de l’Imoca, c’est fois dix”, répond un autre ancien figariste, Fabien Delahaye, qui va annoncer très prochainement son projet avec un partenaire signé. Soit de 200 à 400 000 euros HT pour le budget de fonctionnement annuel, le prix des bateaux ayant en revanche considérablement augmenté pour atteindre des sommes entre 700 000 et 800 000 euros.
Le vainqueur de la Solitaire du Figaro 2021, Pierre Quiroga, qui cherche des partenaires pour un projet jusqu’à la Route du Rhum 2026, avec dans le viseur un plan Gianluca Guelfi, évoque ainsi “un budget global de 1,8 million” sur quatre ans. Une somme qui reste, selon lui, très inférieure au financement d’un projet Ocean Fifty, qu’il a aussi regardé de près. Il fait d’ailleurs parallèlement partie des postulants pour prendre en 2023 la barre du futur Viabilis(ex Leyton), la sélection du skipper est en cours. “Le Class40 me paraît le plus pertinent en termes de rapport coût/retour sur un investissement, mais aussi sportivement, avec un circuit assez dense qui permet de participer aux grandes courses. Maintenant, pour avoir de l’exposition médiatique dans cette classe, il faut gagner, donc l’idée, c’est vraiment de proposer un projet gagnant.”
Les bons bateaux d’occasion
se font très rares
Pour des raisons de timing de chantier et de réponse à donner à d’autres sollicitations, le Méditerranéen se donne jusqu’à début mars pour trouver des partenaires et rejoindre ainsi sur le circuit Class40 d’autres marins issus de la classe Figaro : Fabien Delahaye donc – qui débutera la saison sur un bateau loué avant de récupérer son Lift V2 pour la Transat Jacques Vabre -, mais aussi Achille Nebout, avec Amarris, un de ses partenaires en Figaro, et Erwan Le Draoulec, qui va lui aussi prochainement dévoiler son projet.
Parmi les autres nouveaux venus – pour certains, c’est un retour -, Vanessa Boulaire note “des Allemands et des Anglais qu’on n’avait jamais vus dans la classe“ -, comme Joe Lacey, Lennart Burke, Alister Richardson (qui a racheté l’ex Banque du Léman et naviguera avec Brian Thompson). Nicolas Jossier a racheté le Mach 40.5 de Luke Berry (qui part en Ocean Fifty) pour relancer le projet Manche, Evidence Nautique (il courra la Jacques Vabre avec Alexis Loison), Estelle Greck, après avoir participé à la Globe40, va bientôt officialiser son projet, tout comme Quentin Le Nabour, venu de l’IRC, qui a le partenaire et le budget pour quatre ans… mais pas le bateau.
“Les super Class40 sont tous partis avant le Rhum, c’est difficile de trouver. J’ai aussi étudié l’hypothèse de construire, mais ce n’est pas le même budget et comme je n’ai pas un gros background en Class40, je préfère une occasion récente pour faire la main. On se laisse quelques semaines, sinon on regardera pour une location.” Une solution pas forcément très rentable au regard d’un achat, dans la mesure où un Class40 récent se loue aujourd’hui aux alentours de 150 000 euros HT à l’année – par comparaison, Redman, le bateau d’Antoine Carpentier est à vendre à 680 000 euros, deux jeux de voiles inclus.
“Moins de renouvellements
que d’habitude”
Certains projets ont basculé vers d’autres classes (Yoann Richomme, Luke Berry…) ou se sont arrêtés après le Rhum 2022 – Corentin Douguet, Antoine Carpentier (qu’on reverra en 2023 sur “le bateau des autres”, comme dit le premier), les Suisses Valentin Gautier et Simon Koster (ce dernier souhaite continuer). Vanessa Boulaire, secrétaire de la classe, constate cependant “moins de renouvellements que d’habitude : en général, c’est environ 50% de la flotte qui change, là c’est un peu moins, il y a plus de projets qui continuent.” Dont ceux d’Aurélien Ducroz, William Mathelin-Moreaux, Axel Tréhin, Alberto Bona, Amélie Grassi, Ian Lipinski – qui attend son nouveau Crédit Mutuel pour la saison 2024 – Emmanuel Le Roch, Ambrogio Beccaria, Xavier Macaire, Matthieu Perraut, Keni Piperol, Antoine Magré, Jules Bonnier, Pierre-Louis Attwell, Nicolas d’Estais, Mikaël Mergui…
De quoi fournir un plateau conséquent aux courses d’un calendrier qui s’ouvre le 20 février par la Rorc Caribbean 600 et se terminera par la Transat Jacques Vabre, avec une cinquantaine de bateaux sur la ligne. Cette dynamique se poursuivra-t-elle à plus long terme ? “Sur 2024, on a peu de visibilité aujourd’hui, note Nicolas Groleau, patron du chantier JPS, qui construit les Mach 40 et les Max 40 (plan David Raison). On n’est pas les seuls à se demander de quoi sera faite la suite. Sur le cycle précédent, entre les nouveaux scows et un effet post Covid, on avait signé des bateaux très tôt, je ne suis pas sûr que ce sera pareil.”
De son côté, Tanguy Leglatin, qui entraîne une dizaine de skippers à Lorient prévient : “Il faut rester vigilant et raisonnable sur les budgets qui augmentent. Jusqu’ici, la classe avait un bon rapport qualité/prix, il faut que ça reste le cas, est-ce qu’on a vraiment besoin d’aller encore plus vite ?”
Photo : Jean-Marie Liot