Primonial

Sébastien Rogues : “on est 4-5 à pouvoir gagner la Route du Rhum”

Suite de nos interviews consacrées à la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, avec Sébastien Rogues, vainqueur de la Transat Jacques Vabre 2021 en Ocean Fifty, qui fera partie des prétendants au podium pour sa dernière course à bord de son actuel Primonial. Car un nouveau trimaran est attendu dès le printemps prochain.

► Comment se sent-on à un peu plus de deux semaines du départ de la Route du Rhum ?
Bien, j’ai fait mon sac de fringues ce matin (jeudi), je finis de régler les derniers petits détails administratifs et je regarde la météo pour le convoyage, pressé de rentrer dans le grand bain. J’ai envie de profiter de ces quelques jours dans l’écrin incroyable de Saint-Malo, j’aime cette communion avec le public qu’on a rarement par rapport à d’autres sports. Je sais qu’il va falloir ne pas trop se fatiguer, mais je n’ai pas envie d’occulter cette chose incroyable que de se retrouver au cœur de l’attention du million de visiteurs qui viennent rêver devant nos bateaux, il faut en profiter, car la prochaine, ce sera dans quatre ans !

► Que penses-tu des voix qui se sont récemment élevées, notamment de la part de La Vague, pour dénoncer le coût écologique d’un village de départ de course ?
Je suis évidemment concerné par ces sujets, je pense que les organisateurs ont encore pas mal de job à faire dans ce sens et que ce que font La Vague ou d’autres est pertinent, maintenant, eux sont aussi des acteurs de leurs classes respectives, à eux de faire bouger les choses. Nous, par exemple, en Ocean Fifty, on a déjà pris ces sujets à bras-le-corps : on a un numerus clausus pour éviter de construire des bateaux tout le temps, on partage énormément de moyens logistiques entre les teams, on ramène nos bateaux par la mer, on a une jauge qui nous empêche de renouveler trop souvent du matériel, des voiles… On a clairement déjà installé ce côté raisonnable, contrairement à l’Ultim, l’Imoca ou la Class40 qui vivent des démesures dans la construction des bateaux.

► Traverser l’Atlantique en solitaire sur un multicoque de 50 pieds, ça fait cogiter ?
Forcément, on est un peu anxieux. Mon doute, c’est le rythme que la flotte va adopter. En juillet, on a fait une Drheam-Cup pied au plancher, on était à peu près tous d’accord pour dire que ce ne serait pas possible de tenir ce rythme à l’échelle du Rhum. Personnellement, ça va être ma première transat en solitaire en multicoque, donc j’ai quelques inconnues dans mon équation. La compétition tient une part importante dans l’amour que j’ai pour mon métier, mais aujourd’hui, j’essaie presque de faire le travail inverse pour faire en sorte que la compétition ne prenne pas le pas sur la sécurité, c’est clairement dans cette optique que j’engage ma Route du Rhum. Je n’ai pas eu la chance d’arriver en 2014 [abandon en Class40, NDLR], j’ai alors compris la difficulté de terminer une transat en solitaire, tu as beaucoup plus de nids-de-poule sur ton chemin qu’en double, donc là, j’ai vraiment envie de finir. Après, dans ce rythme qui me semblera être le bon pour aller au bout, je vais bien sûr faire de la compétition.

 

“J’injecte un nouveau bateau
dans la classe”

 

► Ça veut dire que si tu te retrouvais dans la configuration de 2018, avec une route nord engagée mais plus courte et une route sud plus “facile”, mais plus risquée stratégiquement, tu choisirais plutôt la seconde ?
Rappelle-moi quelle route a gagné en 2018 [la sud, suivie par Armel Tripon, NDLR] ? Tu as la réponse… On sait que quasiment tous les routages vont te donner la route nord gagnante, avec souvent d’un à trois jours de différence, mais ça veut dire que tu te tapes du près pendant 2 000 milles avant les 1 500 derniers milles qui sont sympas. 2018 l’a montré : il faut réussir à passer la face nord et se retrouver derrière avec un bateau intact pour galoper au portant. Or le routage, il ne te dit pas quand tu vas casser, donc le risque est important de devoir s’arrêter aux Açores, ce qui s’est passé il y a quatre ans [Erwan Le Roux et Thibaut Vauchel-Camus avaient dû faire une escale technique, NDLR]. A moins que les différences soient énormes entre les deux options, tu vas choisir le sud, on n’est quand même pas maso !

► Aujourd’hui, y a-t-il un favori en Ocean Fifty ?
Ce n’est pas pour faire de la langue de bois, mais, pour moi, on est potentiellement tous capables de faire un podium et 4-5 à pouvoir gagner. On sait que Thibaut (Vauchel-Camus) est à l’aise dans le vent fort, que Leyton (Sam Goodchild) n’est pas forcément le plus rapide, mais qu’il est bon à peu près partout. Koesio (Erwan Le Roux) est un mix entre un bateau à l’aise dans le medium/petit temps et un skipper qui a une énorme expérience du support – Erwan, c’est un peu l’encyclopédie de la classe ! Il y a aussi Arkema (Quentin Vlamynck) avec un skipper peut-être moins expérimenté mais un bateau capable de fulgurances, Eric Péron (Komilfo) a transformé le sien qui a des phases très rapides. Et nous, on commence à avoir un peu d’expérience avec un bateau pas tout jeune, mais fiable, robuste et capable d’attaquer fort dans la brise… Il y a donc beaucoup de scénarios possibles.

► Tu as annoncé en juillet repartir pour quatre ans avec un nouveau bateau, comment a été prise cette décision ?
Elle a été rendue possible par ma victoire sur la Transat Jacques Vabre qui a définitivement scellé les liens m’unissant à mes partenaires qui ont accepté de me suivre quatre années supplémentaires. Je suis de mon côté allé chercher des financements bancaires pour porter la construction du bateau. L’actuel Primonial va avoir 13 ans, on l’a énormément optimisé, si on devait encore le faire évoluer, ça nécessiterait des investissements assez importants. Et au final, ça coûterait à l’année à peu près pareil qu’un bateau neuf. Il y a aussi des choses que je voulais faire, en termes de protection ou d’aéro par exemple, qui n’étaient pas réalisables sur le bateau actuel. Je n’ai vraiment pas l’impression d’être l’enfant gâté qui s’offre son nouveau jouet, j’injecte un nouveau bateau dans la classe, je vais commencer à le faire vivre, et derrière, il y aura d’autres skippers qui pourront continuer à l’exploiter à haut niveau, pendant quinze ans ou plus.

 

“On est partis dans
l’idée de rester à dix”

 

► Pourquoi avoir opté pour une V2 d’Arkema ?
Comme ça me semblait une aberration de construire de nouveaux moules, j’avais le choix entre ceux de Koesio et d’Arkemaje me suis plus reconnu dans Arkema en termes de philosophie : j’ai trouvé la partie aéro très intégrée, la forme de coque centrale proportionnée, avec une carène assez tendue… Cette V2 bénéficiera du retour d’expérience du team Arkema, mais également de toutes les améliorations possibles décelées par Romaric (Neyhousser, l’architecte).

► Et ça coûte combien tout ça ? As-tu vendu ton bateau actuel ?
On est aux alentours de 3 millions d’euros pour la construction du bateau. Le budget de fonctionnement n’évolue pas, mais je ne peux pas te donner le montant. Quant au bateau actuel, non, il n’est pas encore vendu, mais quelques-uns ne sont pas loin du tout, je ne suis pas anxieux…

► Beaucoup de skippers font part de leur intérêt pour l’Ocean Fifty, songez-vous à élargir le numerus clausus de 10 bateaux pour accueillir plus de monde ?
C’est vrai qu’il y a un engouement pour la classe qu’on a tout fait pour redynamiser, grâce notamment au Pro Sailing Tour. On s’est posé la question de savoir si on devait l’ouvrir davantage, mais on est partis dans l’idée de rester à dix, parce qu’on ne veut pas aller dans les dérives qu’on constate ailleurs. Aujourd’hui, si tu veux avoir moins d’impact écologique, il faut moins construire. On entend beaucoup de belles paroles, mais on voit assez peu de solutions. Nous, on ne fait peut-être pas de communiqués de presse sur le sujet, mais les décisions qu’on prend sont certainement les plus engagées dans la course au large. Ce serait donc une erreur d’augmenter ce numerus clausus. Il y a aussi le fait que le Pro Sailing Tour a pour ambition d’aller au cœur des villes et pas dans les ports de commerce, ce qui n’est pas possible si on est plus nombreux.

 

Photo : Lloyd Images / Pro Sailing Tour

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