Yoann Richomme a pris vendredi matin la deuxième place de la course de 24 heures de la Malouine 40’ Lamotte, épreuve qui réunit jusqu’à dimanche 31 Class40 à Saint-Malo, à un peu plus de deux minutes du vainqueur, Corentin Douguet. Deux heures après son arrivée, Tip & Shaft a échangé avec le skipper de Paprec Arkéa, qui, entre préparation de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe et construction de son futur Imoca, est bien occupé.
► Comment s’est passée cette course de 24 heures ?
Ça a été un format intense, avec quatre sections de parcours en 24 heures, dont une, au près, de plus de 12 heures. Ce bord a été un peu compliqué pour moi, j’ai eu un peu de mal à trouver les manettes, Corentin (Douguet) a mieux maîtrisé cette partie, mais j’ai vu plein de choses sur les réglages de mât et de voiles que je peux améliorer. Après, c’était hyper stratégique, on a enchaîné les changements de voiles, avec un bord sous spi, un sous gennaker et de nouveau sous spi pour finir. On a beaucoup manœuvré avec une mer cassante dans laquelle les bateaux enfournaient, c’était un vrai challenge de faire fonctionner le bateau et de préparer la manœuvre suivante. Au final, ce n’était pas très Rhum, dans le sens où je pense qu’on a fait autant de manœuvres en une journée que sur toute la Route du Rhum !
► Où s’est faite la différence au classement ?
Ça a été un beau combat avec cinq-six bateaux, le classement final s’est surtout fait sur le bord de reaching : le Lift 2 [plan Lombard, dont il dispose, tout comme Corentin Douguet, NDLR] a un vrai avantage dans ces conditions, on allait vraiment plus vite, pas loin d’un nœud, ça faisait mal, en tout cas pour les autres ! Pour ce qui est de la victoire, ça s’est joué sur le bord de près, Corentin a pris 2-3 milles d’avance, il a plutôt très bien joué, car même si je me suis rapproché un peu à la fin, j’étais assez loin de pouvoir le doubler.
► Peux-tu tirer des enseignements de cette course en vue du Rhum ?
Si on regarde le classement de ces 24 heures, je pense que les 5-6 premiers, plus Xavier Macaire qui est absent ici, feront partie du groupe qui se battra à l’avant sur le Rhum, le vainqueur se situe sans doute parmi ceux-là. Après, ce sera dur de dire qui sortira le meilleur jeu car les bateaux sont tous typés, il y a vraiment des différences. Si on ne fait que du portant, on va aussi bien que les autres, mais on n’aura pas forcément l’avantage, s’il y a du près fort, au-delà de 18 nœuds, et du reaching, ce sera clairement plus favorable pour nous. Aujourd’hui, on voit que les plans Raison, avec Ian Lipinski, Axel Tréhin, sont assez polyvalents ; les Mach 4, avec notamment Antoine Carpentier, sont aussi dans le coup ; pour les Mach 5, un gars comme Luke (Berry) navigue très bien et a beaucoup d’expérience, mais il n’a pas encore réussi à nous montrer un potentiel supérieur au Mach 4.
“Les bateaux sont assez durs”
► Tu avais disputé la Route du Rhum sur un Lift 1, qui préfigurait les scows, cette nouvelle génération est-elle très différente ? Et as-tu l’impression que par rapport à 2018, le niveau de jeu a augmenté ?
Oui, les bateaux sont devenus très puissants, ils décollent vraiment : toute la nuit dernière, on allait à 16 nœuds dans 16 nœuds de vent au reaching, dès qu’il y avait 20 nœuds, on montait à 18-19, c’est quand même génial de naviguer à ces vitesses sur de telles mobylettes. Maintenant, ce sont des bateaux assez durs, les mouvements sont très secs du fait des surfaces très plates en dessous, il n’y a pas d’amorti, la moindre vague est transmise au bateau en vibration, le moindre saut de vague donne lieu à un plat qui te sèche sur place, c’est assez usant. Et les charges commencent à devenir importantes, il y a de vrais efforts physiques si tu veux tenir le rythme des leaders. Quant au niveau de jeu, oui, il a clairement augmenté ! L’intensité de régate est très proche de celle que tu vois en Figaro, c’est un vrai challenge de battre les 5-6 skippers qui manœuvrent vraiment bien et commencent à très bien connaître leur bateau.
► Pourquoi ce choix de faire la Route du Rhum alors que tu mènes de front un projet Imoca était-il pour toi une évidence ?
Il a été entériné en décembre dernier avec mes partenaires, mais je l’avais en tête depuis plus longtemps. D’abord parce que ça reste à l’échelle de l’Imoca un projet léger, ensuite parce que ça crée une vraie dynamique sportive positive en interne, on ne fait pas que construire un bateau. Enfin parce que ça me garde affûté et ça me permet de travailler des sujets que j’aurai également sur l’Imoca, comme, par exemple le pilote Madintec, que personne dans l’équipe n’avait jusqu’ici utilisé : le fait de l’installer, de le configurer et de le tester en course est génial en termes de temps et d’expérience gagnés.
► Tu remets ton titre en jeu sur la Route du Rhum en Class40, peut-on dire que ta victoire voilà quatre ans a été décisive dans la suite de ton parcours ?
Oui, elle m’a apporté énormément de choses. J’avais à cœur de sortir du Figaro, ça m’a permis de me présenter sous une autre facette au monde de la voile : j’ai monté un projet, géré une construction, c’était un sacré challenge à relever, j’ai beaucoup progressé. Et ça m’a sans doute ouvert des portes dans le sens où ça a complété ma victoire sur la Solitaire en 2016 [il récidivera en 2019, NDLR], les gens ont commencé à me regarder différemment.
“Je pense qu’on sera plus proches
d’un Malizia que d’un Charal”
► Parlons maintenant de ton Imoca, peux-tu nous dire où en est la construction à date ?
Il est toujours dans le moule, mais quasiment totalement cloisonné, ce sera le cas d’ici la fin du mois, on va démouler mi-octobre, on sera alors prêts à ponter. Les puits de foils sont greffés, toutes les pièces sont produites ou presque, les foils ne sont pas loin d’être en finition, les safrans quasiment terminés, le puzzle commence à s’assembler. Le chantier est une vraie fourmilière : l’autre jour, il y avait 25 techniciens Multiplast dans le bateau, plus les nôtres qui sont 5 ou 6, c’est dense ! On est dans les temps, avec une mise à l’eau toujours prévue en janvier 2023, ça me permet d’être totalement déchargé mentalement de ce projet, même si j’essaie d’y accorder du temps, entre visites de chantier et réunions du bureau d’études, pour ne pas décrocher. C’est passionnant, un peu prenant de gérer de front les deux projets, mais tellement intéressant !
► A quoi ressemblera ce plan Antoine Koch-Finot Conq par rapport notamment aux bateaux sortis de nouveaux moules, comme le VPLP (Malizia Seaxplorer) ou le plan Manuard de Jérémie Beyou (Charal) ?
On travaille tellement sur tous les aspects qu’on aura du mal à dire qu’on ressemblera aux autres, mais je pense qu’on sera plus proches d’un Malizia que d’un Charal, on est sur quelque chose qui me semble plus tolérant, avec moins de surfaces plates devant quand ça tape. Et il y a beaucoup de petits détails très soignés, particulièrement l’aéro, je pense qu’on présentera vraiment un bateau très abouti.
► Pourquoi avoir choisi Antoine Koch et Fino-Conq, dont c’est le premier Imoca à foils ?
On a consulté d’autres architectes, on trouvait qu’aucun ne nous proposait vraiment des idées claires, beaucoup disaient qu’ils voulaient faire un bateau à notre patte, mais moi, je n’avais pas fait d’Imoca à foils, je n’avais pas d’idée concrète. Avec Antoine et toute son équipe, on a beaucoup apprécié que d’entrée, ils nous aient vraiment ouvert leur livre pour nous dire où ils en étaient, on a aimé leurs axes de recherches, leur façon de s’organiser, Antoine a beaucoup soigné le côté pédagogique pour mettre tout le monde au même niveau de connaissances. Ça a fait tilt immédiatement, j’ai trouvé leur démarche rassurante. Certes, il y a une prise de risques, parce que c’est son premier bateau, mais il n’est pas tout à fait novice, il a accompagné pas mal de projets [Gitana 17, LinkedOut], et il est accompagné d’une équipe d’expérience avec Pascal Conq, David de Prémorel…
“J’arrive à faire tout ce que
j’aime dans un projet”
► Comptes-tu t’appuyer sur un skipper avec l’expérience de l’Imoca pour apprendre à te servir de ton bateau plus vite ?
Oui, on s’est clairement orientés dans cette voie, on est en discussion avec quelqu’un pour faire tout le début de saison et, si affinités, la Jacques Vabre. L’objectif est d’éviter les bêtises, de s’appuyer sur un skipper qui apporte son savoir-faire de l’Imoca, mais aussi du Vendée Globe, avec des conseils plus liés au Grand Sud, aux navigations à long terme, on a peut-être bientôt trouvé quelqu’un pour jouer ce rôle…
► Finalement, ce projet Imoca, c’est le projet de tes rêves ?
Oui, parce que j’arrive à faire tout ce que j’aime dans un projet, à savoir un peu de gestion d’équipe, d’organisation, en plus du côté sportif. Le tout avec les moyens de réaliser de belles choses et une équipe qui a une motivation énorme. Ils sont extrêmement dévoués. C’en est même presque gênant, parfois, ça nous arrive de fermer le groupe WhatsApp à 23h, sinon ça n’arrête jamais ! Donc c’est génial de vivre un tel projet parce que ça n’arrive pas si souvent.
Photo : Pierrick Contin