Adjoint au maire de La Trinité-sur-Mer en charge des sports nautiques et du tourisme, directeur de course de la Mini en Mai qui s’élance le 17 mai… et skipper d’Actual Ultim 3 qu’il vient de remettre à l’eau, Yves Le Blevec est un marin bien occupé. Avant que les entraînements en solitaire débutent, il a pris le temps de se confier à Tip & Shaft.
► Tu viens de remettre à l’eau Actual Ultim 3, sur quoi le chantier d’hiver a-t-il porté ?
Nous avons un point fort avec ce bateau, c’est l’agilité. C’est le plus petit des Ultims et probablement le plus léger. Globalement, l’axe de travail était de renforcer notre point fort, dans le sens d’une plus grande réactivité. Donc adapter le plan de voilure et l’attitude du bateau de la façon la plus rapide et la plus simple possible pour une personne seule.
► Ça se traduit comment ?
Par rien d’exceptionnel, vu de l’extérieur. Nous avons beaucoup travaillé pour obtenir un vent le plus propre possible. Sur ces bateaux, on documente énormément pour avoir un vrai tuning guide car le feeling ne suffit pas. Et le vent conditionne tout. Il y a ensuite le dossier des foils qui pèsent plus de 300 kilos et sont difficiles à manœuvrer. C’est pourquoi on a perfectionné l’hydraulique pour pouvoir utiliser la poussée du foil sous le vent afin de descendre celui qui va fonctionner sur la nouvelle amure. Un peu comme on le fait pour une bascule de mât.
“Nous avons commencé à travailler
sur une V3 des foils”
► Donc, pour la Route du Rhum, tu auras la même configuration d’appendices que lors de l’achat du bateau l’an passé ?
C’est bien ça. En fait, on a cherché une solution pour faire évoluer les foils existants, sans se lancer dans des changements structurels trop importants, mais ça ne fonctionne pas. En parallèle, nous avons pris une licence du simulateur SYD de VPLP et commencé un travail d’études de ce que pourrait être la V3 des foils d’Actual Ultim. Une fois que tu as rentré toutes les caractéristiques du bateau, tu peux tester assez facilement de nouvelles formes. Lors des séances de pilotage virtuel, c’est bluffant de retrouver de façon très précise le comportement du bateau que l’on connaît, d’autant que l’interface graphique est très réaliste. Et avec cet outil, tu peux quantifier précisément les gains et pertes de chaque configuration testée.
► Tu as les coudées franches de la part d’Actual pour te lancer dans ce chantier en 2023 pour l’Arkéa Ultim Challenge Brest ?
Ce sont de gros budgets en effet, de l’ordre d’un million d’euros si tu intègres tout, l’étude, l’outillage, la réalisation des pièces et leur intégration. J’exagère à peine ! Bref, oui, c’est au programme pour 2023.
► Tu n’as jamais fait de mystère sur ton ambition de gagner la Route du Rhum. Y a-t-il un scénario idéal qui pourrait te réussir ?
Je ne me projette pas là-dedans. Conditionner le fait de bien marcher ou pas en fonction d’un enchaînement météo que je ne maîtrise pas, j’ai tellement d’autres trucs sur lesquels dépenser de l’énergie…
“L’intérêt collectif
est plus important”
► Une autre façon de poser la question serait : Actual Ultim peut-il s’imposer si les autres n’ont aucun souci technique ?
Oui, je le crois. Une grosse moitié de la Route du Rhum se joue dans les alizés qui sont un vent pas stable du tout. Celui qui gagne à la fin, c’est l’opportuniste qui n’hésite pas à empanner plusieurs fois dans les grains. En potentiel de vitesse pure, les Ultims de nouvelle génération sont très rapides, et si MerConcept a décidé de faire un nouveau bateau, c’est que celui-ci arrivait en butée de développement. Mais je crois à son agilité sur le format très court du Rhum. Et puis, il y a deux façons d’aller plus vite. Ou tu augmentes le potentiel de la machine. Ou bien tu augmentes ta capacité de le mener à 100%. C’est mon pari.
► Tu cites MerConcept. Est-ce que François Gabart sera au départ à Saint Malo le 6 novembre prochain, selon toi ?
Je n’ai aucun doute là-dessus. Aucun. Et je serais plus que contrarié si ce n’était pas le cas.
► Tu penses pouvoir jouer un rôle dans la résolution du conflit ?
Notre meilleur rôle, c’est de nous taire ! On est dans une situation où les avis des uns et des autres sont tranchés. Ça ne sert à rien de mettre de l’huile sur le feu…
► Estimes-tu que SVR Lazartigue est modifiable pour se conformer à la demande de la classe ?
Non, je pense que le conflit est allé trop loin pour qu’il puisse se régler par la technique. François ne fera pas ces modifications, il ne le peut pas. Il faut trouver une autre solution. Et comprendre que l’intérêt collectif doit être plus important que son amour-propre ou que sa condition individuelle.
“Mon contrat moral est de présenter
à Actual un successeur possible”
► Quel est ton programme d’ici le départ de la Route du Rhum ?
On fera une petite parenthèse équipage au mois de juillet avec la Finistère Atlantique et la Dhream-Cup, mais pour le reste, c’est de l’entraînement en solitaire tous azimuts : manœuvres, vitesse, vie à bord… Ça se traduit par un vrai travail d’équipe. On est deux sportivement avec Anthony Marchand à échanger, partager et nous sommes très complémentaires. C’est aussi sécuriser la participation d’Actual Ultim à la Route du Rhum que d’avoir fait de lui le co-skipper officiel du bateau.
► Il y a une forme de passation avec Anthony ?
Il faut être lucide : j’ai 56 ans, ces bateaux sont hyper durs physiquement, la charge mentale et le niveau de stress sont énormes. Naviguer sur un Ultim, c’est une épreuve ! Je vois bien qu’à un moment donné, il ne faudra pas faire la course de trop. Un tour du monde réussi en 2023 serait un bel apogée de carrière et il faut préparer la suite. Donc, même si rien n’est acté à l’heure où l’on se parle, mon contrat moral est de présenter à Actual un successeur possible.
► Tu es également adjoint à la mairie de La Trinité-sur-mer er directeur de courses. On arrive à un moment de l’année où les agendas commencent à bien se charger non ?
Ah oui, c’est sûr que je pourrais lancer des petites formations de gestion d’agendas partagés ! Mais tout ça est passionnant. La partie « adjoint » prend beaucoup de temps. C’est une école du consentement mutuel qui est très enrichissante. Humainement, ça permet aussi de sortir des sphères de rencontres habituelles. Dans la course au large, on a l’impression de connaître plein de gens, d’être très original, mais on est quand même un peu tous des clones !
“Je peux répondre
à pas mal de projets”
► Vous avez monté le centre d’entraînement Orlabay qui a l’air de démarrer fort…
Oui, en deux mois d’activité, nous avons déjà accueilli beaucoup de bateaux à l’entraînement. Une quarantaine d’IRC double et de Minis, quelques Class40. On est approchés actuellement par les Multi 2000 et les coureurs des classes Rhum Mono et Multi. L’accompagnement attire beaucoup aujourd’hui. Tout le monde voit bien qu’envisager une performance sans se mettre dans une logique collective est impossible. Sauf pour Francis Joyon, mais tout le monde n’est pas Francis Joyon !
► Cela a bien changé depuis tes débuts en Mini en 2001. Vous avez monté le nombre d’inscrits à la Mini en Mai, dont tu t’occupes, à 100 bateaux ! Toutes les courses jouent à guichets fermés…
Oui, la pression sur les organisateurs est importante. La Mini Transat, à l’époque où je m’y suis lancé, c’était encore un peu l’aventure. C’est plus facile aujourd’hui. Un jeune diplômé peut s’endetter, acheter un bateau prêt à l’emploi, s’inscrire dans un centre et intégrer une communauté qui va le faire progresser rapidement. Tout est plus structuré.
► Après ta carrière de coureur, tu te vois faire de la politique, de la croisière, de la direction de course ? Quelle sera ta reconversion ?
Je suis incapable de te le dire. J’arrive à un âge de ma vie où l’expérience et la compétence cumulées font que l’on sait faire plein de choses. Et, du coup, je peux répondre à pas mal de projets, mais je n’ai aucun plan de carrière, ni de retraite d’ailleurs ! J’ai beaucoup d’envies et une absolue confiance dans le fait que je ferai des choses qui me passionneront.
Photo : ATM Communication