L'imoca de Louis Duc

Imoca : le marché des mâts sous tension

Avec 12 nouveaux bateaux attendus dans les 15 mois à venir, deux démâtages (Bureau Vallée 3 et 11th Hour – Alaka’i) pendant la Transat Jacques Vabre, auquel s’est ajouté celui de Kostum-Lantana Paysage lors du convoyage retour, le marché des mâts d’Imoca s’est considérablement tendu cet hiver. Tip & Shaft a enquêté pour savoir comment la classe et la société Lorima, fournisseur des espars monotypes, se sont organisées pour faire face à la demande.

 

Suite au démâtage de son Kostum-Lantana Paysage lors du convoyage retour de la Jacques Vabre, Louis Duc, tout en ralliant sous gréement de fortune son port d’attache de Caen, s’est mis en quête de trouver un nouveau mât. La clause d’antériorité de son plan Farr 2008 ne lui imposant pas d’acheter un espar monotype, il a pu puiser dans le maigre réservoir des mâts d’occasion encore existants. “J’ai pu établir une petite liste des 4-5 mâts disponibles grâce à la bienveillance et aux bons tuyaux de pas mal de coureurs qui ont joué le jeu, nous n’attendons plus que l’expertise pour boucler l’achat, raconte le Normand à Tip & Shaft.

Ce type de mât d’occasion se négocie entre 60 000 et 90 000 euros, selon l’état et la génération, quand un neuf approche les 200 000. “Je n’avais pas le budget pour un nouveau et, de toute façon, il y a un an de délai pour qui passe commande aujourd’hui, ajoute Louis Duc. Les délais se sont en effet très nettement allongés, compte tenu de la demande exceptionnelle à laquelle est confronté le constructeur lorientais Lorima, fournisseur exclusif des 60 pieds.

Pour mieux comprendre comment on en est arrivé à pareille situation, il faut revenir dix ans en arrière : en 2012, l’Imoca vote un certain nombre d’équipements monotypes pour tous les nouveaux bateaux, dont la quille et le mât. L’objectif est à la fois de maîtriser les coûts (190 000 euros HT actuellement pour un profil accastillé, 250 000 pour une prestation complète avec outriggers) et de soulager les équipes d’un sujet technique de plus à traiter dans un contexte où les bateaux deviennent de plus en plus complexes.

 

La demande s’emballe

 

Un contrat est passé avec Lorima, qui décroche l’exclusivité des espars en carbone pré-imprégné cuits en autoclave. ”On s’était donné les moyens de sortir un mât toutes les huit semaines, donc 6 à 7 mâts par an, et Lorima devait toujours conserver à disposition un mât de rechange en cas de démâtage d’un concurrent. Le principe a parfaitement fonctionné, jusqu’à cette année”, explique Antoine Mermod, président de la classe Imoca.

Lors du cycle 2016-2020, qui a vu le lancement de huit nouveaux bateaux et l’investissement dans des mâts de secours par de nombreux teams, 19 espars sont sortis du seul moule existant, sans embouteillage. Mais depuis le début de l’année 2021, les choses se sont compliquées, comme l’explique Vincent Marsaudon, président de Lorima : “L’année qui suit un Vendée Globe, on n’a en théorie aucun mât à produire. Au vu de l’engouement autour de la course, j’en avais prévu tout de même 2 au planning. Mais il y en a finalement 11 à faire !”

Et l’Imoca n’est pas, loin s’en faut, le seul client de Lorima. Tablant sur une reprise vigoureuse du marché, d’importants acteurs de la plaisance, à l’image du groupe Grand Large Yachting (Outremer, Gunboat…), demandent ainsi à la société lorientaise d’anticiper des hausses de leur chiffre d’affaires, de l’ordre de 50% pour l’année prochaine. “Dans un premier temps, nous avons dealé avec tout le monde pour faire en sorte que les bateaux puissent naviguer, nous avons même racheté un mât à une équipe qui n’avait jamais navigué, pour remplacer celui d’un des bateaux ayant démâté lors de la Transat Jacques Vabre”, explique Vincent Marsaudon.

 

Un deuxième moule
en fabrication

 

Ce mât de rechange a été récupéré par l’équipe de Louis Burton. “Ce n’est pas notre mât définitif, raconte Servane Escoffier, team manager de Bureau ValléeNous avons passé commande d’un mât neuf qui sera normalement livré fin septembre et pourrons alors remettre le premier à la communauté. Tout ça est assez complexe, mais cette solution transitoire va nous permettre de remettre à l’eau fin mars et d’être prêts pour la Bermudes 1000 Race.”

En attendant, il n’y a plus de mât de rechange disponible, ce dont Lorima est bien conscient : “Pour honorer les commandes et renouer avec les termes de notre contrat, qui impose d’avoir un mât de secours sanctuarisé, nous avons décidé de lancer la fabrication d’un deuxième moule, explique Vincent Marsaudon. A cet investissement de 125 000 euros HT, s’ajoute selon lui, le recrutement de nouveaux opérateurs, pas faciles à trouver dans un contexte de boom de la construction, qui occasionne des difficultés à recruter pour tous les chantiers (voir notre article).

Lorima ayant mis les bouchées doubles, tous les nouveaux Imoca attendus en 2022 devraient pouvoir être gréés dès leur mise à l’eau cette année, à l’instar du futur Initiatives Cœur de Sam Davies (plan Manuard, sistership de L’Occitane), attendu au printemps. “Nous sommes un des premiers bateaux prévus en 2022 et Lorima nous garantit aujourd’hui de rester dans le timing prévu, confirme le team manager David SineauMais l’expérience de la Transat Jacques Vabre est quand même une alerte. On sait que les bateaux ne naviguent plus du tout avec les mêmes coefficients de sécurité qu’en 2012, à la conception du mât. On ne peut pas fonctionner aujourd’hui comme au début de la monotypie avec un seul mât disponible en cas d’accident. Alors, je pose la question de l’opportunité d’un second chantier qui pourrait doubler l’effort de Lorima.”

 

La mutualisation
en question

 

Si elle n’est pas évoquée par Vincent Marsaudon, une solution serait en effet de sous-traiter à un autre spécialiste du composite l’utilisation du nouveau moule. La démarche ne choquerait pas les teams, à en croire Pierre-François Dargnies, directeur technique de BeYou Racing : “En Imoca, les petits écarts dans la monotypie ne sont pas si pénalisants que ça. Les mâts sont gueusés à leur base et pas au centre de gravité pour compenser les différences de poids. Et je ne suis pas certain que ces différences seraient plus importantes d’un mât à l’autre si un deuxième opérateur venait en renfort.”

En attendant que le marché se fluidifie, la question des mâts de secours pourrait quant à elle être résolue par une mutualisation des espars par les teams, un sujet sur lequel planche la classe Imoca. “Tout le monde n’a pas les moyens d’avoir son propre mât de secours et ce n’est d’ailleurs pas envisageable. Par contre, vu le nombre de bateaux, il faut plusieurs mâts disponibles en permanence, commente Servane Escoffier.

Et il semble que pour l’instant, cette denrée rare soit précieusement conservée par les équipes qui ne veulent pas se retrouver prises en défaut en cas de démâtage à la veille d’une grande épreuve. Ce que confirme d’ailleurs Pierre-François Dargnies : “Tant qu’il n’y a pas 4 à 5 mâts disponibles à tout moment chez le fournisseur, nous conservons le mât de rechange de Charal 1 sur notre étagère.

D’autres, comme Fabrice Amedeo, ont d’ores et déjà commandé un mât de rechange : “Je l’ai fait sans en avoir les moyens, parce que je me dis que si je démâte et qu’il n’y a pas de mât de spare disponible, ça me sauve la vie. Et si je n’ai pas de problème, je trouverai toujours quelqu’un à qui le revendre. Je ne suis pas le seul à faire ça, mais je suis le seul à le dire !” Commandé avant Noël à Lorima, le mât en question ne sera cependant livré qu’en juin 2023…

 

Photo : Bernard Le Bars

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