Dans un contexte de véritable boom pour la plupart des classes de course au large, et en dépit de la crise sanitaire, la demande d’entraînement croît fortement, au point que nombre de centres approchent de la saturation. Tip & Shaft a fait le tour de France des structures.
Pionnier en la matière, le pôle France Finistère course au large de Port-la-Forêt, lancé en 1990 par Christian Le Pape et Loïc Ponceau, occupe une place à part dans le paysage des centres d’entraînement : d’abord parce que c’est le seul à pouvoir revendiquer le statut officiel de “pôle France course au large”, décerné par le Ministère des Sports ; ensuite, parce qu’il est résolument tourné vers l’excellence sportive.
“La logique d’un pôle, c’est le haut niveau”, confirme Christian Le Pape, directeur jusqu’au 31 mai dernier. Pour intégrer pour la première fois la « Mecque » de Port-la-Forêt, il faut ainsi figurer dans la liste ministérielle des sportifs de haut niveau et avoir moins de 25 ans. Cette année, le pôle compte, selon sa nouvelle directrice Jeanne Grégoire, 47 adhérents, dont 27 chefs de projet (14 en Figaro, 10 en Imoca, 3 en Ultim), il rémunère quatre permanents, mais aussi les trois skippers (Tom Laperche, Gaston Morvan, Elodie Bonafous) et le préparateur (Goulven Le Clech) de la filière d’excellence de course au large Bretagne-CMB, et possède deux Figaro Beneteau 3.
Son premier pendant est arrivé en 2003 avec la naissance du Centre d’entraînement Méditerranée (CEM) de La Grande Motte. “Après sa victoire sur la Solitaire, Kito (de Pavant), mais aussi des marins comme Gilles Chiorri, Marc Emig, Laurent Pellecuer, ont exprimé l’envie de s’entraîner en Figaro 2 en Méditerranée. A l’époque, c’était Port-la-Forêt ou rien, rappelle Camille El Bèze, l’une des quatre salariés de la structure, responsable communication et administration. D’entrée, une belle dynamique s’est mise en place avec des résultats et la création du dispositif Skipper Hérault en 2011. Au plus haut, on a dû atteindre 8-10 Figaro quand on a accueilli l’Artemis Offshore Academy, par laquelle sont passés des marins comme Sam Goodchild et Jack Boutell.”
Ces dernières années, le CEM, dont le budget annuel est de 600 000 euros (environ la moitié du pôle de Port-la-Forêt), s’est peu à peu éloigné de la course au large pour se tourner vers l’inshore et l’olympisme : il est aujourd’hui labellisé pôle France jeunes sur le Nacra 17 et le kitefoil, pôle espoir pour les Nacra 15. Une prise de distance qui tient à plusieurs facteurs, selon Camille El Bèze : “Le développement de Lorient, l’arrivée du Figaro Beneteau 3 – on n’avait pas les moyens d’en acheter un -, et le fait qu’il n’y ait plus de courses ici. Avant, on avait la Generali Solo et la Cap Istanbul.” Elle ajoute cependant : “S’il y a de la demande, on est prêts à relancer la machine.“
En matière d’entraînement au large, l’offre en Méditerranée est donc aujourd’hui très rare, en dehors de régates d’entraînement collectives en IRC organisées par les clubs, comme le challenge Florence Arthaud, à Marseille (à tour de rôle par le CNTL et la Nautique). C’est pourquoi Marsail, la société de Christopher Pratt et Amandine Deslandes, a choisi d’investir ce créneau, proposant des sessions de coaching deux fois par an ou à la demande pour des marins aspirant à la Transquadra ou à la Cap Martinique.
Lorient fait le plein
A l’inverse, les quinze dernières années ont vu la très nette montée en puissance de Lorient, à l’initiative de Tanguy Leglatin qui, en 2005, y a lancé des sessions d’entraînement à travers la structure AOS, fermée depuis. Au fil des résultats de ses coureurs, le Lorientais est devenu un coach extrêmement couru qui entraîne au total 50 à 70 skippers en Mini, Figaro, Class40 et Imoca. La création de Lorient Grand Large (LGL) en 2010 par Lorient Agglomération pour accompagner le développement du pôle course au large de La Base, en enrichissant l’offre de formations, a renforcé l’attractivité du port morbihanais, tandis que les teams professionnels s’installaient en nombre.Si la collaboration entre Tanguy Leglatin et LGL a longtemps été étroite, celui qui a accompagné des marins comme Clarisse Crémer, Erwan Le Draoullec, Adrien Hardy ou Thomas Ruyant, a repris sa liberté. Si bien que LGL propose désormais ses propres entraînements, animés par des intervenants extérieurs (Bertrand Pacé, Bertrand Delesne, Arnaud Jarlégan…).
Tout en essayant de faire en sorte que l’offre soit cohérente avec celle proposée par les indépendants. “Aujourd’hui, les choses deviennent plus sereines, avance le nouveau président de LGL, Jean-Philippe Cau. Sous la houlette de Julien Bothuan [responsable du pôle course au large à Lorient La Base, voir notre article], on a créé un groupe de travail pour que cette activité de centre d’entraînement et de formation intègre l’ensemble des acteurs.” Julien Bothuan confirme : “On m’a demandé de venir mettre de l’huile dans les rouages et de coordonner ces différentes actions pour qu’on joue collectif.”
De son côté, Tanguy Leglatin, qui se concentre de plus en plus sur une activité d’accompagnement de projet, se montre ouvert : “J’ai rencontré récemment les élus, l’idée serait de relancer un vrai schéma qui conserve l’aspect multi-supports et multi-publics auquel je suis attaché.” Aujourd’hui, LGL, qui injecte 15 000 euros par classe (Mini, Figaro, Class40 et Imoca) dans cette activité, revendique 145 adhérents (dont 54 en Mini, 22 en Class40, 16 en Figaro, 13 en IRC, 3 en Imoca), mais doit refuser du monde. Faute de place pour accueillir tous les bateaux, mais faute, également, d’entraîneurs, une pénurie pointée par nombre de nos interlocuteurs.
L’offre se développe
Dans le sillage du succès lorientais, d’autres structures se sont créées sur le littoral Atlantique et en Manche. C’est le cas à La Turballe où est né voilà quatre ans La Turballe course au large, à l’initiative de huit ministes du cru, qui a vite trouvé sa place : l’association compte aujourd’hui 38 adhérents, dont 22 en Mini et 8 en IRC, entraînés par Hervé Aubry. Le tout pour 1 500 euros annuels, place de port comprise. “On devrait passer de 30 000 euros de budget par an à 60 000 en 2022, notamment pour payer notre coach qui n’est pour l’instant que défrayé, on va recevoir des aides publiques et on est en recherche de partenaires”, explique Vincent Lancien, ministe et président de la structure.Plus au nord, La Trinité-sur-Mer accueille également un pôle d’entraînement fort d’une quinzaine de Minis (entraînements assurés par Vincent Keruzoré) et d’une petite trentaine d’IRC double. Avec la volonté revendiquée de se développer, y compris sur d’autres classes : “Il y a beaucoup de brainstorming entre les collectivités et le port pour mettre en place un pôle à plus grande échelle. Aujourd’hui, on organise des courses comme l’Armen Race qui attire jusqu’à 200 bateaux, on a le premier fabricant de Class40 chez nous (JPS), Lorient sature, Concarneau presque, il y a une vraie demande”, explique Didier Visbecq, le président de la SNT.
En remontant la côte bretonne, Concarneau propose depuis 2013 un pôle Mini, le CECM (Centre d’entraînement Mini de Concarneau), créé à l’initiative notamment de François Jambou (vainqueur de la Mini Transat 2019 en proto). “On fonctionne un peu comme une association sportive, on n’a pas un catalogue de formations, on décide plus entre nous de bosser sur tel ou tel sujet en fonction des besoins de chacun”, explique Grégory Toulgoat, l’un des adhérents. Le CECM accueille 18 skippers qui, moyennant 1 000 euros annuels (place de port comprise), s’entraînent sous la direction de François Jambou. Pas de condition de niveau pour être accepté, mais de la motivation : “Comme on est limités en places de port, on demande que les candidats aient un vrai projet sportif, on ne veut pas de bateau tampon“. A noter que, par ailleurs, un groupe de Class40 s’organise autour de Kaïros, avec les projets de Stan Thuret, Jean Galfione et Aurélien Ducroz.
La Manche encore à conquérir
Du côté de Douarnenez, qui a bénéficié un moment d’un pôle d’entraînement dédié aux Minis, le sujet est en cours de réflexion : “On veut essayer de se relancer, d’abord en Mini, peut-être aussi en IRC, on est dans la construction du projet”, nous explique la directrice de Douarnenez Course, Anne Crespy.Brest, qui accueille un pôle France multi médaillé olympique, est le grand absent du paysage des centres d’entraînement à la course au large. En cause, le manque de places “On ne peut pas lancer une dynamique pour accueillir 10 Mini ou 10 Figaro, parce que pour l’instant, il n’y a pas de place à terre, confirme Christophe Boutet, créateur d’Aloha Attitude, société spécialisée dans la gestion de projets (Jean Galfione, Eric Péron…). Maintenant, on voit bien qu’on arrive à saturation partout, donc il faut y réfléchir, je pense que la ville y est sensible.”
L’offre d’entraînement en Finistère s’est enrichie fin 2020 d’un nouvel acteur, avec un groupe d’entraînement Mini créé à Roscoff sous l’égide de l’association Voile Baie de Morlaix et animé par Damien Cloarec. Ils sont pour l’instant quatre, ce dernier espère voir le groupe doubler d’ici un an : “On a une carte à jouer car il y a du monde qui navigue dans le coin, on dispose d’infrastructures faciles avec des conditions de large dès qu’on sort du port du Bloscon.”
Les possibilités restent faibles en Manche, même si Voile Performance Manche à Granville, avec Benoît Charron, et Louis Duc, à Cherbourg, proposent ponctuellement des sessions d’entraînement, en particulier en Class40. Plus à l’est, Ouistreham a lancé en 2019, sous l’impulsion de ministes locaux, son pôle Mini. “On a démarré à 3-4, on est 10 aujourd’hui, explique Guy Beaudoin, président de la Société des Régates Caen Ouistreham, qui chapeaute le centre (ticket à 1 000 euros annuels tout compris). On commence à faire notre trou, avec un niveau qui monte : on a deux Vector et un Maxi, un entraîneur reconnu, Roland Ventura, le département va aussi nous aider à nous procurer un Mini pour accompagner un jeune talent. Aujourd’hui, notre capacité max est de 12 bateaux, on pourrait peut-être aller jusqu’à 20, sachant qu’on a de la demande de coureurs de Cherbourg et du Havre.”
Le Havre où l’offre d’entraînements au large est aujourd’hui inexistante, les clubs locaux étant surtout tournés vers la voile légère, le match-race et l’inshore. Ce qui fait dire à Cédric Chateau, entraîneur à la ligue de Normandie et coureur en Class40 : “Aujourd’hui, nos marins sont obligés de s’exiler en Bretagne, alors même qu’on a la Transat Jacques Vabre, la Normandy Channel Race, et maintenant le Fastnet tous les deux ans. Il y a vraiment un truc à faire, notamment en Class40.”
Saint-Gilles, Les Sables et la Rochelle ambitieux
Beaucoup plus au sud, d’autres structures existent avec trois offres à Saint Gilles Croix de Vie, Les Sables d’Olonne et La Rochelle. Créé à Saint Gilles en 2013, le Team Vendée Formation se distingue par une approche tournée vers la professionnalisation : “Nous formons aux métiers de la course au large, explique sa directrice Estelle Graveleau. Notre but n’est pas juste de faire en sorte que nos sportifs deviennent les meilleurs, on les aide aussi à apprendre à construire leur projet.” L’association, qui revendique 49 adhérents, dont une quinzaine court au large (10 en Figaro, 5 en Mini), ne s’interdit pas de voir plus haut : “On est une filière nautique, donc on aimerait beaucoup emmener un Imoca sur le Vendée Globe avec une équipe et des partenaires 100% vendéens. On accueillerait bien aussi des Class40 et des Multi50, on cherche des solutions, parce que c’est compliqué de faire rentrer de gros bateaux à Saint Gilles.”Non loin de là, Les Sables d’Olonne affiche également ses ambitions, avec la création cette année, sous l’égide de l’association Les Sables d’Olonne Vendée Course au Large, d’un groupe d’entraînement Mini qui accueille déjà 18 bateaux (moyennant environ 1 000 euros annuels, place de port comprise) et cherche un coach pour 2022. Son directeur Marc Chopin voit déjà plus loin : “On démarre avec les Mini, mais on aimerait aussi ouvrir à d’autres classes. La ville communique beaucoup sur la course au large, si cette volonté politique aboutit, on pourrait accueillir plusieurs Class40, voire des Imoca. Il y a une grosse réflexion sur le devenir du port, c’est maintenant que ça va se décider.”
Réflexion également du côté de La Rochelle, où la victoire de Yannick Bestaven sur le Vendée Globe semble avoir relancé l’idée de créer un véritable pôle de course au large. Aux Minimes cohabitent déjà un pôle Mini qui fait le plein (30 adhérents moyennant une inscription annuelle de 1 500 euros, sans place de port), dirigé par Julien Pulvé, et un Team Transquadra IRC, fort de 42 membres. “On veut offrir la possibilité d’une filière, des Mini aux Imoca en passant par les Figaro et les Class40. Je croise les doigts pour qu’il y ait un effet boule de neige après le Vendée, parce que c’est triste de devoir refuser des bateaux par manque de place”, analyse Julien Pulvé.
Photo : Alexis Courcoux