La nouvelle jauge Imoca, applicable de 2022 à 2025, a été votée lors de l’assemblée générale de l’association, le 15 avril. Pour comprendre les principales évolutions, Tip & Shaft a interrogé le président de la classe, Antoine Mermod, les architectes Quentin Lucet et Sam Manuard, le skipper Stéphane Le Diraison et Pierre-François Dargnies, directeur technique du Charal Sailing Team (tous membres de la commission technique qui a planché sur le sujet), ainsi que Fabrice Amedeo et Kevin Escoffier, et David Sineau, team manager d’Initiatives Cœur.
“Une évolution, pas une révolution“, voilà comment Antoine Mermod résume cette nouvelle jauge, avant d’expliquer : “On a une flotte existante qui s’est avérée fiable sur le Vendée Globe 2020 avec des bateaux qui ont encore une marge de progression importante, l’idée était donc d’éviter une rupture technologique.”
Comme, par exemple, l’autorisation des plans porteurs sur les safrans qui auraient permis aux Imoca de réellement voler. De fait, dès l’assemblée générale d’août 2020, il a été décidé de repousser l’arrivée des safrans en T. “Personnellement, j’avais voté pour, parce que je ne voulais pas bloquer les gros teams et que je me disais que c’est dans l’ADN de la classe d’innover, explique Fabrice Amedeo. Mais quand on voit le scénario du Vendée Globe 2020, heureusement qu’on n’a pas voté ça. Digérons déjà les grands foils et la vie à bord, et on verra pour 2028.”
Les foils auront naturellement constitué le principal débat de cette jauge 2025. Car si le principe de leur limitation a été adopté en août, l’objectif étant d’éviter les surenchères technologiques et de contenir les coûts, restait à en préciser le cadre. Fallait-il en limiter le poids, le prix, le volume, le process de fabrication ? C’est finalement le critère du volume qui a été retenu, mais là encore, il a fallu s’accorder sur la limite à ne pas dépasser et sur la manière de la calculer, d’où des discussions interminables.
La limite des foils en question
“Les débats ont notamment tourné autour de la borne haute, explique Quentin Lucet, dont le cabinet VPLP dessine notamment le futur Malizia 2 de Boris Hermann. Certains militaient pour qu’elle soit équivalente au volume des plus grands foils construits jusqu’à présent, d’autres pour l’abaisser de façon conséquente, ce qui sortait du coup des bateaux de la jauge. Dans ce cas, fallait-il leur demander de réadapter leurs foils ? C’était assez complexe.”Finalement, c’est le chiffre de 8 m3 qui a été adopté, ne sortant réellement du jeu que les foils de L’Occitane (devenu Bureau Vallée 3 – 9,6 m3) et d’Arkéa Paprec (12 m3), qui bénéficieront d’une « grandfather rule » : leurs équipes pourront continuer à utiliser leurs appendices existants, mais devront se conformer à la nouvelle jauge si elles en construisent de nouveaux. “La solution retenue est assez pertinente, commente Sam Manuard, l’architecte du futur Charal 2. Pas mal de bateaux ont des foils juste un peu au-dessus, mais peuvent facilement s’y conformer soit en coupant un peu le tip, soit en limitant les extensions.”
Si cette solution lui paraît satisfaisante, Pierre-François Dargnies s’interroge : “C’est bien d’avoir fixé cette limitation parce qu’il fallait éviter de partir dans des délires, mais je pense que ni le coût ni le temps de construction ne vont diminuer. Il aurait peut-être plus fallu limiter les process de construction, parce qu’en fonction de celui que tu choisis, l’écart de prix peut être de 150 000 euros. L’objectif était d’arriver à un coût autour de 350 000 euros la paire, on n’arrivera clairement pas à le tenir, on est plus à 500 000 et tout le monde va partir dans cette voie. Si tu limites les process, tu limites certes un peu les géométries, mais tu laisses quand même plus de liberté qu’avec des foils monotypes. Or j’ai bien peur que dans quatre ans, on passe à des foils monotypes vu l’explosion des budgets.”
Les foils monotypes retoqués
Des foils monotypes en faveur desquels Kevin Escoffier a été d’ailleurs été l’un des seuls à prêcher : “Au vu du cahier des charges qui parlait de réduction des coûts, de fiabilité et de diminution de l’impact sur l’environnement, je trouvais que c’était une bonne solution, parce que ça permettait de faire aussi des puits et un système de réglages d’incidence monotypes, mais également aux bateaux d’anciennes générations de mettre des foils à moindre coût.“Interrogé sur ce sujet, Quentin Lucet répond : “Les foils monotypes auraient énormément bridé la créativité architecturale en conduisant à faire beaucoup converger les carènes. Le côté diversification des concepts est aussi ce qui fait la richesse et l’intérêt de la classe Imoca.”
Autre proposition qui n’est pas passée, celle de l’équipe Initiatives Cœur de limiter les équipes à un seul design de foils sur quatre ans, deux designs étant autorisés, trois pour ceux qui participent à The Ocean Race. “Sur la campagne 2020, changer de design n’a pas vraiment rendu service : certaines équipes sont reparties sur leur V1, d’autres ont cassé leur V2, je pense qu’on peut être plus raisonnable dès le premier design et vivre avec toute une campagne”, estime David Sineau.
La standardisation avance
Le team manager d’Intitiatives Coeur militait aussi pour des safrans monotypes, proposition là encore retoquée : “Rien ne ressemble plus aux safrans d’un bateau que ceux de son concurrent. C’est dommage d’y consacrer énormément de ressources alors qu’en termes d’innovations il n’y a pas grand-chose de flagrant.”Pour Antoine Mermod, le timing n’était pas le bon : “Quand tu mets en place des éléments standardisés, c’est pour 6-8 ans, or si on passe à des plans porteurs dans un futur proche, ça paraît délicat d’adopter aujourd’hui une solution qui ne va durer que deux ans. Par contre, la proposition d’un safran en T standardisé pourrait effectivement être une suite logique.”
L’AG d’août s’était également prononcée sur des puits de foils standards, solution qui n’a pas été retenue mi-avril : “Ça présentait de gros avantages, notamment d’interchanger les foils entre les bateaux, mais on est revenus en arrière, parce que ça posait des problèmes techniques importants de mise en œuvre sur certains bateaux, donc ça risquait d’augmenter le coût des puits. Tant qu’on ne converge pas vers un design du foil qui finira par devenir la référence, c’est un peu tôt pour standardiser le puits“, ajoute Antoine Mermod.
La standardisation gagne cependant du terrain, puisqu’en plus du mât, du voile et du vérin de quille, qui étaient déjà monotypes, c’est désormais au tour de la bôme, l’étai de J2 et des bastaques. Cela va-t-il permettre de réduire les coûts ? “C’est séduisant sur le principe, mais dans les faits, on observe par exemple que le mât monotype n’a pas coûté moins cher, répond Stéphane Le Diraison. En revanche, ça donne des garanties à nos assureurs et à nos sponsors, ce n’est pas rien de leur dire que ce sont des sujets sous contrôle.”
L’électronique un peu plus encadrée
Toujours dans un objectif de limitation des coûts, l’électronique embarquée a également été au centre des débats. “Les budgets explosent complètement, la sur-sophistication me paraît un peu exagérée, mais plein de gens pensent au contraire qu’il faut libérer l’électronique parce que c’est du gain de performance, ce qui est aussi vrai”, commente Sam Manuard. La solution retenue ? Pour les capteurs et appareils ayant une valeur commerciale de plus de 10 000 euros (gyro-compas, centrales inertielles…), une liste de matériel, évolutive, sera autorisée.“Les coûts ont certes beaucoup augmenté, mais la qualité, notamment des pilotes, a fait un bond énorme, explique le président de l’Imoca. Donc c’est important de continuer à travailler sur ces sujets à très forte valeur ajoutée pour la fiabilité et la sécurité. Idem pour les capteurs : ça coûte cher d’instrumenter et d’analyser les datas, mais ça permet de mieux comprendre et d’anticiper les avaries et ça bénéficie à l’ensemble de la flotte.”
Développement durable : vrai pas en avant ou cosmétique ?
Autre évolution de cette jauge 2025, le développement durable avec des mesures diverses : 100 kilos de poids de jauge supprimés pour l’utilisation de matériaux bio-sourcés sur des éléments non structurels, analyse obligatoire du cycle de vie pour toute nouvelle construction, l’obligation d’embarquer une voile « verte », une charte de bonne conduite… Autant de mesures qui font dire à Kevin Escoffier : “Je ne suis pas sûr que le concept de développement durable soit en lui-même compatible avec le principe même de la compétition dans un sport mécanique ; maintenant, ce sont des premiers pas.”Sam Manuard est plus tranché sur le sujet : “On peut raconter toutes les sornettes qu’on veut, mais il n’y a rien de développement durable dans la course au large, je ne connais pas un sport mécanique qui puisse promouvoir cette notion. Je pense que si on voulait vraiment prendre en compte ce sujet de société super important, il faudrait tout revoir dès le début, accepter d’aller franchement moins vite et créer une nouvelle classe de bateau.”
Reste que certains essaient d’avancer dans cette voie, comme Stéphane Le Diraison qui souhaite retourner sur le Vendée Globe “avec un bateau décarboné pour montrer qu’on est capable d’intégrer le paramètre environnemental tout en préservant la performance et le modèle économique. La source d’inspiration, c’est la Class40 : quand on voit les vitesses atteintes par les bateaux alors qu’ils font 12 mètres, sont fabriqués en fibre de verre et ont une quille fixe, ça prête à la réflexion.”
Photo : Bernard Le Bars / Alea