Invités mardi de Pos. Report, le podcast hebdomadaire de Tip & Shaft consacré au décryptage du Vendée Globe, Hubert Lemonnier, adjoint à la direction de course, et Pascal Bidégorry, proche de Kevin Escoffier, sont revenus sur l’opération de sauvetage du skipper de PRB par Jean Le Cam dans la nuit de lundi à mardi. En voici quelques extraits. Pour écouter l’intégralité du podcast, qui évoque également les solutions étudiées pour débarquer Kevin Escoffier et les premiers enseignements de cet épisode qui s’est heureusement bien, fini, c’est ici.
Le récit du sauvetage par Hubert Lemonnier : « A 15h12 pour être précis, on reçoit un appel du Cross Gris-Nez qui nous signale le déclenchement d’une balise 406 (EPIRB), avec une position, on reçoit l’information qu’elle appartient à Kevin. On regarde tout de suite sur la carto pour voir qui peut intervenir le plus vite et on demande à Jean, qui se situe à 24 milles, de se dérouter vers cette position, on a en parallèle un message de l’équipe de Kevin qui nous dit qu’il y a un grave problème. Jean arrive sur zone, il laisse sa caméra allumée sur Skype, on le voit revenir avec le sourire et il nous signale qu’il vient de voir le radeau et Kevin. Mais le temps qu’il mette tout en œuvre pour préparer les manœuvres dans une mer chaotique, selon ses mots, il revient dans son cockpit dépité en nous disant qu’il est passé six-sept fois et qu’il ne le trouve pas. Là, on comprend qu’il faut l’aider, on voit que Boris (Herrmann) fait route naturellement vers la zone, il est à quatre heures à peu près, donc on le mobilise, on appelle aussi Yannick (Bestaven), c’était réaliste aussi de l’emmener dans la zone, sachant qu’il lui faut deux heures et demie-trois heures pour arriver (…) Avec la cellule météo, on travaillait sur un cône de dérive théorique, aidé aussi par les MRCC de Gris-Nez, pour définir notre champ de recherche. La nuit tombe, on n’a pas retrouvé Kevin, on n’a aucun moyen de le joindre, on demande alors le soutien de Sébastien Simon à 19h40 pour qu’il nous aide à ratisser (…) Vers minuit et demi, on reçoit une dernière position de la balise EPIRB, Jean était à 1,7 mille dans son travers, on lui demande d’aller voir, il se dirige vers ce point, la caméra toujours allumée à l’intérieur du bateau. Quand il arrive sur zone, il ne se passe rien, il ne dit plus rien, on le voit bouger, la torche dehors, il refait alors un cap vers le sud-est, pas très rapide, à 4 nœuds. Tout d’un coup, environ 45 minutes plus tard, il passe à 2 nœuds, on l’entend crier ou ronchonner, on ne sait pas trop, et finalement pas de nouvelles… Et puis tout d’un coup, il redescend dans le bateau et il est suivi par Kevin en TPS, comme un survivant ! On a eu l’image en direct, c’était un moment assez incroyable, on était en train de vivre un épisode de fou avec la direction et Jean-Jacques Laurent (patron de PRB), il était 2h11 du matin. »
La manière dont Pascal Bidégorry a vécu cette nuit : « J’étais très surpris quand j’ai appris que Kevin avait déclenché sa balise, j’étais en contacts réguliers avec lui, il m’avait envoyé un dernier message 45 minutes avant qu’il ne déclenche sa balise pour me dire qu’il était en mode cool et pas du tout à l’attaque. Il n’y avait rien de particulier, donc je n’en revenais pas. Quand on a eu l’info que Jean avait vu Kevin, c’était le grand soulagement, mais le temps passant, j’avais compris que Jean l’avait perdu. J’ai eu Kevin ce matin au téléphone, il y avait plus de 30 nœuds, une mer défoncée, donc Jean ne pouvait pas s’arrêter en deux secondes pour le récupérer, il fallait qu’il prenne un troisième ris et fasse le nécessaire (…) J’étais hyper inquiet, j’imaginais le pire, j’ai vite compris que le bateau était parti au fond et qu’il avait dû monter en catastrophe sur le radeau (…) Kevin m’a raconté qu’avoir vu Jean a fait qu’il n’était pas du tout inquiet, il s’est dit qu’il avait sa balise EPIRB, que Jean l’avait vu, il a mis une lumière dans le radeau pour que la capote soit éclairée, je pense que Jean a vu cette lumière, il se disait aussi que le jour allait se lever et qu’ils allaient le retrouver. Il m’a dit qu’il avait même fait une petite sieste à l’intérieur du bateau (…) Toute l’histoire est dingue : le bateau qui se pète en deux et qui coule en cinq minutes, heureusement que Kevin avait la TPS à portée de main et qu’il a eu le réflexe de prendre son EPIRB (…). Kevin avait refait tous les fonds du bateau, en fond de coque, il avait été refait à neuf, c’est assez dingo (…) Quand il a entendu le choc, il pensait que c’était la bastaque qui avait pété, mais quand il a éclairé à l’avant avec sa frontale, il avait l’étrave du bateaux dix mètres au-dessus du pont, il a pris le mât sur la gueule direct, il a mis la tête dans le trou, vu qu’il y avait de l’eau partout, il a envoyé un message en deux secondes, pris la TPS, sorti le bib… »
Les compensations pour les sauveteurs (Jean Le Cam, Boris Herrmann, Yannick Bestaven et Sébastien Simon), par Hubert Lemonnier : « On y travaille, ça ne va pas se faire du jour au lendemain, ça va être une analyse fastidieuse à faire pour être le plus juste possible. C’est notre jury international qui va statuer dans les prochains jours, on va faire un rapport factuel de tout ce qui s’est passé, la cellule météo va nous aider pour faire des estimations de routages des bateaux s’ils n’étaient pas intervenus et des systèmes météo qu’ils auraient pu rater. On va pondérer tout ça et on va compenser en bonifications de temps ce que ça a coûté à chacun de venir en aide à Kevin. »
Photo : SAEM Vendée