La 51e Solitaire du Figaro s’élance ce dimanche de la Baie de Saint-Brieuc. Comme avant chaque grande course, Tip & Shaft fait un état des lieux des forces en présence, entouré d’experts, en l’occurrence le directeur de course, Francis Le Goff, les trois derniers vainqueurs, Nicolas Lunven, Sébastien Simon et Yoann Richomme, mais aussi François Gabart, Jeanne Grégoire, coach au pôle Finistère course au large, Tanguy Leglatin, entraîneur du groupe de Lorient, ainsi que l’Irlandais Marcus Hutchinson.
Les hommes en forme
L’argument de la forme du moment est celui qui a le plus compté, puisque l’on retrouve sur notre podium final (voir notre classement ci-dessous) les deux solitaires qui se sont partagé les places de un et deux sur la Solo Maître CoQ et la Drheam-Cup : Tom Laperche et Sam Goodchild. Le jeune skipper (23 ans) de Bretagne CMB Espoir est même le plus souvent cité, remportant du coup les suffrages de nos experts. Sébastien Simon, qui l’a précédé au sein de la filière Bretagne CMB, s’avoue assez bluffé : “Pour son âge, il a déjà pas mal d’expérience, puisqu’il a beaucoup navigué avec son père, il dégage une sorte de force tranquille, il sait ce qu’il fait et où il va.”
Jeanne Grégoire est sur la même longueur d’ondes : “Il a une maturité supérieure à celle d’un jeune de son âge, aussi bien techniquement que dans la vision globale de son projet, et il ne prend jamais feu.” Quant à François Gabart, lorsqu’on lui demande si on a affaire à un futur grand, il répond : “Peut-être, mais beaucoup de marins aimeraient déjà avoir fait ce qu’il a accompli en seulement 18 mois de Figaro. Il a fait une bonne Solitaire l’an dernier, en montrant une constance assez impressionnante pour un bizuth, il fait partie des favoris.”
De son côté, Sam Goodchild, de retour un circuit qu’il avait quitté en 2014, il se retrouve sur la troisième marche de notre podium. Pour Marcus Hutchinson, le skipper de Leyton “peut créer la surprise” : “Quand il est arrivé sur le circuit [en 2011], c’était le gars qui rêvait de vivre de sa passion ; aujourd’hui, c’est devenu un vrai professionnel, il s’est marié, il est stable dans sa vie, tout est très structuré dans sa tête.” Yoann Richomme estime quant à lui que le fait pour l’Anglais d’avoir navigué en Class40 est un atout : “Le Class40 est très proche en maniement du Figaro 3, c’est une bonne école, ça m’avait beaucoup aidé pour construire ma victoire l’année dernière [il avait fait une saison de Class40 en 2018 en remportant la Route du Rhum, NDLR].”
Jeanne Grégoire souligne enfin que “Sam s’est beaucoup entraîné l’hiver dernier avec Pascal Bidégorry qui est un très bon metteur au point. On voit qu’il a trouvé un petit truc en vitesse, ça joue pas mal dans un contexte où on découvre encore le bateau.”
Dans cette catégorie des hommes en forme, nos experts citent aussi Pierre Quiroga, le plus régulier sur les courses d’avant-saison (4e de la Solo Maître CoQ et de la Drheam-Cup, vainqueur de la Solo Guy Cotten). “Il est dans une bonne dynamique, il prend beaucoup de plaisir à naviguer, il a tous les atouts pour gagner la Solitaire”, analyse François Gabart dont la structure MerConcept gère le projet du Skipper Macif 2019. Pour Tanguy Leglatin, “Pierre avait un peu perdu confiance ces deux dernières années, là, on a l’impression qu’il assume de nouveau ses choix, comme lors de ses débuts en Figaro.” Pierre Leboucher est aussi vu comme un vainqueur potentiel : “Il a maintenant plus de maturité et il est très performant en termes de conduite pure, notamment au portant sous gennak. S’il arrive à se gérer sur quatre étapes, ça peut vraiment devenir un client”, confirme Jeanne Grégoire.
Les anciens vainqueurs
Ils sont deux anciens vainqueurs sur cette 51e édition : Yann Eliès, triple lauréat (2012, 2013, 2015) et Armel Le Cléac’h, qui s’est imposé deux fois (2003 et 2010). Pour nos experts, le skipper de Banque Populaire, qu’ils placent sur la deuxième marche de notre podium, a le plus d’arguments à faire valoir. “Il ne s’est quasiment concentré que sur la Solitaire d’un point de vue maritime cette année. Je l’ai vu rentrer d’un entraînement dans 25 nœuds, je l’ai trouvé très affûté, serein”, résume Francis Le Goff. Tanguy Leglatin ajoute : “J’ai l’impression qu’il a su s’adapter à la manière de faire de la stratégie sur ce bateau, il a bien progressé depuis l’an dernier.”
Quant à Yann Eliès, ses résultats moyens cette saison et une préparation un peu tardive ne refroidissent pas nos experts. Jeanne Grégoire estime cependant que la performance du Briochin dépendra en partie des conditions météo : “Si elles restent physiquement gérables, il sera devant,. Dans la molle sur la Solo Guy Cotten, il a évité tous les pièges, il a été impressionnant. Si c’est musclé, ça peut devenir plus compliqué : on le voit sur la tête des mecs à l’arrivée des courses, les plus âgés marquent plus, et pourtant, ce sont des gars en forme physiquement. Le bateau fait mal, tout est dur, ça mouille beaucoup.”
Trop physique pour les quarantenaires, ce Figaro 3 ? “Il est plus engagé que le 2, mais ce sont des gars qui font de l’Ultime et de l’Imoca, des bateaux beaucoup plus gros où l’erreur est moins tolérée, donc je ne suis pas inquiet pour eux, s’il faut porter le spi dans 40 nœuds, ils ne vont pas se poser de question”, répond Nicolas Lunven. Francis Le Goff conclut, à propos de Yann Eliès : “Il n’est pas forcément dans les meilleures conditions de préparation, mais il n’est jamais aussi fort que quand il est un peu dans les cordes. Je pense aussi qu’il a en tête le record du nombre de victoires d’étapes [qu’il partage avec Jean Le Cam, 10, NDLR], c’est certainement un objectif pour lui.”
Les habitués du circuit
Fidèles au circuit Figaro depuis quelques années, Anthony Marchand, Alexis Loison, Gildas Mahé et Corentin Douguet sont également cités sur le podium. Jeanne Grégoire met en avant leur expérience : “Quand tu prépares le roadbook de la Solitaire avec ces gars, tu vois dans leurs yeux qu’ils visualisent les les endroits et les coups qui s’y sont passés, ils ont un recul que les plus jeunes n’ont pas et qui donne une force énorme, d’autant qu’il va y avoir beaucoup de passages techniques sur cette Solitaire.” Le mieux placé est Anthony Marchand, 2e en 2018 et 3e en 2019, malgré une préparation réduite cette année en raison de la crise qui a affecté son partenaire. “Il retourne sur la Solo Concarneau sans avoir beaucoup navigué et il fait direct un podium ; clairement, il faut compter avec lui”, confirme Sébastien Simon. Yoann Richomme ajoute : “Il arrive justement avec un peu de détachement et sans trop de pression, un peu comme moi l’année dernière.”
Son compère Alexis Loison n’est cité qu’une fois sur le podium, en raison d’une préparation perturbée par une blessure au genou, tout comme Gildas Mahé, que Tanguy Leglatin trouve cependant “très serein, il a fait une bonne Solo Guy Cotten en jouant devant tout le temps, il a toutes les manettes du bateau.” Enfin, Corentin Douguet a une bonne cote, faisant dire à Francis Le Goff : “Est-ce qu’il va arrêter un jour d’avoir un peu la guigne ? Il était bien l’an dernier, il a été aux avant-postes sur la Solo Maître CoQ et la Guy Cotten, ça fait un sacré moment qu’ii tourne autour, ça peut être son année.”
Les francs-tireurs
Les deux derniers marins cités par nos experts sur le podium, Adrien Hardy et Xavier Macaire, sont classés hors catégorie pour leur manière bien à eux de naviguer. Deux skippers dont Nicolas Lunven dit : “Quels que soit sa préparation et ses résultats d’avant-saison, Adrien restera toujours très dangereux sur l’eau, il est capable de faire des choses assez incroyables. Quant à Xavier, c’est un gars qui peut tirer dans les coins avec un taux de réussite intéressant. Quand tu vois sur la carto Xavier ou Adrien partir à l’opposé de la flotte, tu te demandes ce qu’ils ont trouvé et que tu n’as pas vu…”
Le top 5 de nos experts : 1. Tom Laperche (Bretagne CMB Performance), 2. Armel Le Cléac’h (Banque Populaire), 3. Sam Goodchild (Leyton), 4. Anthony Marchand (Groupe Royer-Secours Populaire), 5. Yann Eliès (Quéguiner Matériaux-Leucémie Espoir)
Photo : Alexis Courcoux/Solitaire du Figaro