Du 31 juillet au 21 août, Tip & Shaft vous propose une série d’été consacrée à la Solitaire du Figaro – dont la 51e édition s’élancera de Saint-Quay-Portrieux le 30 août – sous la forme de portraits de personnalités ayant marqué l’histoire de la course. Pour ce quatrième et dernier épisode, focus sur Patrick et Yann Eliès, seuls père et fils à avoir remporté la Solitaire.
Ils n’ont pas été les seuls père et fils à avoir disputé la Solitaire du Figaro à plusieurs décennies d’intervalle – Bruno et Nicolas Lunven, Gilles et Gwénolé Gahinet…- , mais Patrick et Yann Eliès sont les seuls à l’avoir tous les deux gagnée : à une reprise pour le premier (1979), à trois pour le second (2012, 2013 et 2015) qui, lors de la 51e édition, tentera d’être le premier skipper à remporter la classique estivale pour la quatrième fois.
L’histoire de la famille Eliès avec la Solitaire a commencé en 1976 lorsqu’elle s’appelait encore la Course de l’Aurore. “Au début des années 1970, on disputait en famille les courses du Rorc avec mon père et mes frères sur le proto Finot de mon père, Morbic III, se remémore Patrick, âgé aujourd’hui de 68 ans. On avait notamment gagné le championnat du Rorc en classe 5. En 1975, mes frères, pris par leurs obligations professionnelles, n’ont plus eu le temps, je me suis retrouvé seul avec le bateau. Comme la Course de l’Aurore commençait à se faire connaître, je me suis inscrit l’année suivante.”
Avec à la clé une bonne 6e place et l’envie de remettre ça : “Je me souviens très bien de l’avant-course, j’avais été m’entraîner en solo entre Lézardrieux et Le Crouesty en passant par Falmouth, j’avais trouvé ça relativement ennuyeux dans le sens où je n’avais pas d’adversaire, je m’étais imaginé que la Course de l’Aurore, c’était la même chose, courir seul sans voir personne. Et en fait, j’ai découvert que c’était une vraie régate, avec de la bagarre, j’ai trouvé ça super.” L’année suivante, sur Morbic IV, un plan Mallard, il termine 4e, puis 2e en 1978 derrière Gilles Le Baud sous les couleurs de son premier sponsor, Kawasaki, déniché grâce à Eugène Riguidel. En 1979, il réalise un grand chelem, toujours inédit à ce jour, en remportant les quatre étapes !
“On peut dire que j’ai connu cette année-là une sorte d’état de grâce, commente Patrick Eliès. Au départ des Sables d’Olonne, j’étais sûr de mes capacités et de celles du bateau.” Un bateau, baptisé Eglantine, à la riche histoire, sponsorisé par les chaussettes Olympia : “On avait monté une co-propriété avec Jean-Marie Finot et on l’avait construit en bois moulé chez Jacques Pichavant à Pont-L’Abbé. Comme on n’avait pas les ronds pour le financer en totalité, on a dû le revendre après la course pour rembourser les fournisseurs. Et on l’a vendu à Gaston Defferre (alors maire de Marseille) : comme j’avais remporté toutes les étapes et qu’il voulait un bateau pour tout gagner en Méditerranée, il s’est dit que c’était un bon plan, et il a effectivement tout gagné en Méditerranée la saison suivante sous le nom de Palynodie !”
En 1979, Yann a 5 ans, les souvenirs n’en restent pas moins intacts, 40 ans plus tard : “La Course de l’Aurore, avec son rituel estival, a marqué mon enfance, je me souviens de moments passés en famille sur les pontons ou dans le bateau de mon père, j’ai même fait une étape sur un bateau suiveur quand j’étais gamin. Et je me souviens de sa victoire en 1979 à Concarneau, je revois très bien une photo, qui est chez mes parents (ci-dessus illustrant l’article), avec mon père, ma mère et moi qui traîne une maquette dans une annexe. Je revois aussi la coupe qui me paraissait presque aussi grosse que moi et qu’on avait remplie de champagne, les images de la fête qui avait suivi…”
Après cette victoire, Patrick continue à courir la Solitaire – il fera aussi partie de l’aventure des Formule 40 en 1987 et 1988 sous les couleurs de Chaffoteaux & Maury –, signant notamment une troisième place en 1986, mais la course devient de plus en plus incompatible avec son métier de commercial. Et lorsque, au début des années 1990, il décide de reprendre le magasin de sports familial dans le centre de Saint-Brieuc, il doit faire une croix sur la Solitaire, après une 10e et dernière participation en 1992 : “Comme je passais trop de temps à mon boulot, je suis arrivé un peu cramé, le nouveau support [le Figaro Bénéteau 1, apparu en 1990, NDLR] nécessitait de plus beaucoup plus de temps pour s’entraîner. J’ai compris que ce n’était pas possible de faire les deux en même temps et qu’il était temps de tourner la page“.
Yann Eliès : “Au début le costume était trop grand pour moi”
Et effectivement, les débuts ne sont pas faciles pour l’apprenti figariste : “C’est clair que les premières années, le costume était trop grand pour moi, on me parlait de mon père, de ses exploits, je n’étais pas du tout prêt à assumer, c’était un peu lourd à porter. D’autant que j’étais un garçon assez immature, si bien que je ne savais pas ce que c’était de se faire mal, d’affronter les éléments, d’avoir froid et faim. Pour moi, la voile, c’était synonyme de truc plutôt facile, de dériveur. Au départ, ça a été une grosse désillusion.”
Le Briochin persévère néanmoins, notamment grâce à son père qui, ayant gardé des liens avec un de ses anciens sponsors, La Concorde – racheté par Generali – lui permet de poursuivre sur le circuit Figaro : “A la sortie de son année avec le Crédit Agricole, Yann n’avait plus de budget, j’avais demandé à Laura Vergne [à l’origine de l’engagement de l’assureur dans le sponsoring voile, NDLR] si elle n’avait pas un petit budget à fournir à Yann, elle a accepté de le financer”, confirme Patrick. Dont les conseils ne sont pourtant à l’époque pas forcément bien accueillis par son fils : “Mon père a eu envie de m’accompagner, mais j’ai toujours très mal pris ses conseils, j’ai été assez dur avec lui, refusant souvent de l’écouter, parce que j’avais envie d’apprendre par moi-même, de chuter et de me relever seul. Je pense que ça a été très frustrant pour lui, mais c’est comme ça que j’ai fonctionné et je ne regrette pas trop.”
D’autant que dans la foulée, il dépasse le père, intégrant le cercle très fermé des triples vainqueurs de la Solitaire et égalant le record de victoires d’étapes de Jean Le Cam (dix). “Yann a bien enchaîné derrière“, commente pudiquement Patrick, qui se souvient avoir appris la première victoire de son fils alors qu’il naviguait en croisière avec son épouse Annie aux Marquises : “On était ravis pour lui, parce que c’est une course très ingrate qui demande parfois de longues années avant de pouvoir la gagner.”
Au moment où Yann s’apprête à 46 ans à disputer sa dix-neuvième Solitaire, Patrick reste toujours aussi passionné par la course, ne manquant pas de passer un coup de fil à son rejeton pour commenter une option. “Il suit la cartographie à fond, il est au courant de tout, des renverses de courant, du vent, ça a un côté très sympa et ça me sert aussi. Sur la dernière Solo Concarneau par exemple, il m’a dit : « Dis-donc, Yann, ça ne manque pas un peu de tactique ? » Et c’est sûr que les deux fois où j’ai été devant, j’ai oublié de marquer les copains, il avait raison.” Patrick tempère : “Je me suis juste permis de lui dire ce que j’ai cru voir à travers la carto, mais aujourd’hui, les figaristes sont tellement professionnels que ce n’est pas moi qui vais lui donner des conseils.”
Photo : Page Facebook de Yann Eliès