A 32 ans et après deux saisons en Class40 et Figaro, Arthur Le Vaillant change de braquet en 2020 : toujours sous les couleurs de Leyton, il s’alignera sur le circuit Multi50 (voir notre article) sur l’ancien Arkema, loué à Lalou Roucayrol, mis à l’eau en début de semaine dernière. Le fils de Jean-Baptiste Le Vaillant, grand spécialiste du multicoque, évoque ce nouveau défi, son parcours et son engagement environnemental.
Tu viens de lancer le collectif La Vague, avec une première conférence qui a eu lieu le 12 février à Lorient, quel est l’objectif ?
Cela fait deux trois ans qu’avec Bilou (Roland Jourdain), Paul Meilhat, Gwénolé Gahinet, on se dit qu’on n’est plus en phase avec la manière dont on fait de la course au large et qu’il est temps d’agir. Ce petit collectif a grossi avec Stan Thuret, Eric Péron et d’autres, et nous avons organisé cette conférence dans l’objectif de bien expliquer les enjeux et d’échanger avec tout l’écosystème du nautisme.
Concrètement, comment faire vraiment bouger les choses ?
Il y a plusieurs terrains : au sein des classes, je pense notamment à l’Imoca, parce que c’est une démarche que nous faisons actuellement avec mon sponsor, il faut étudier la possibilité de construire des bateaux avec des matériaux autres que le carbone. Est-ce que ça sert vraiment à quelque chose d’avancer un ou deux nœuds plus vite, plutôt que de baisser drastiquement l’empreinte carbone, quitte à ce que le bateau pèse 500 kilos ou une tonne en plus ? Toute l’intelligence collective mise dans une optique de performance depuis 30 ans, il faut l’utiliser dans une démarche environnementale. Ça passe aussi par les courses. Aujourd’hui, ce n’est pas normal que le Vendée Globe ou la Route du Rhum ne soient pas précurseurs au niveau de leur impact. Enfin, l’autre gros sujet, c’est que les marins fassent comprendre à leurs partenaires qu’ils ne sponsorisent pas un sport comme les autres : nous ne sommes pas juste des panneaux publicitaires qui recevons de l’argent pour courir, il faut que le skipper et son partenaire soient porteurs d’engagements liés à la protection de notre terrain de jeu. Aujourd’hui, trop de skippers ont tendance à ne vendre que de la performance à leurs sponsors.
Evoquons maintenant ton parcours : la semaine dernière pour la 200e de Tip & Shaft, nous interviewions Loïck Peyron, il a beaucoup compté dans ton parcours, de quelle façon ?
Oui, quand j’étais jeune, les personnes les plus proches de mes parents étaient Loïck, Florence Arthaud, Jean Maurel, Philippe Poupon… Plus tard sont aussi passés à la maison les Karine Fauconnier, Franck Cammas, Thomas Coville… Toutes ces personnes me fascinaient et je suis resté très proche de la plupart, notamment de Florence, qui était une femme incroyable, avec une façon de voir le monde de la course au large très différente des marins d’aujourd’hui. Et Loïck, c’est quand même une sacrée star, on oublie un peu que des marins comme lui, Florence, Titouan Lamazou, ont permis à la course au large d’exister, parce qu’ils parlaient d’autre chose que de leurs performances sportives.
Etait-ce une évolution naturelle pour toi de faire de la course au large ?
Au début, je visais les Jeux en planche à voile. Après le bac, comme je voulais sortir un peu de l’univers familial, j’ai fait des études, du droit, des sciences politiques, de la philo, mais finalement, très vite, j’ai dit à mes parents que je voulais essayer de faire de la course au large, ce qui ne leur a pas trop plu. Mon père m’a dit que je n’y arriverais pas et qu’il fallait que j’arrête de rêver. Mais à cet âge, comme tu as une défiance importante pour l’autorité, j’ai fait tout l’inverse et je me suis retrouvé à faire deux ans de Longtze avec Luc Gellusseau et Pierre Mas, puis j’ai fini par trouver mon premier partenaire pour faire la Solitaire du Figaro en 2010. C’était une année magique, j’avais fait toute la préparation avec Yoann Richomme qui commençait aussi, on n’avait pas un radis, on avait fait camion commun sur la Solitaire. Je découvrais le large, j’avais adoré me retrouver à attaquer comme un fou dans du portant à 30-40 nœuds. L’année suivante, j’ai commencé à m’entraîner à La Grande Motte, mais en avril, sur un Wally, je me suis retrouvé suspendu en l’air par le bras à cause d’un lashing mal fait et je me suis fait broyer le bras. J’ai dû arrêter de faire du large pendant quasiment quatre ans. J’ai alors passé beaucoup de temps à Paris pour me construire un réseau, j’ai rencontré des personnes formidables, dont Marc Van Peteghem, qui m’a beaucoup aidé.
Quand as-tu repris la course au large ?
En 2016, j’ai refait la Solitaire, ça m’a permis de me prouver que je pouvais refaire de la course au large en solitaire alors que les médecins m’avaient dit que mon bras ne remarcherait plus. Et l’année suivante, Aymeric Chappellier m’a proposé de faire la Transat Jacques Vabre en Class40. Ça a été un bon choix, parce que j’ai été impliqué très tôt dans le projet, notamment sur la construction du bateau avec Nicolas Groleau et JPS, et on a fait une très belle course en finissant deuxièmes. Juste avant le départ, j’ai rencontré François Gouilliard, le patron de Leyton, qui avait envie de se lancer dans la course au large, je lui ai parlé de la Route du Rhum en Class40, c’est ce qui paraissait le plus facile et le plus raisonnable en termes de budget, et on a lancé la construction d’un bateau, encore avec Nicolas Groleau. J’ai réussi à finir quatrième, mais juste après, je me suis cassé la malléole en courant, ça a malheureusement mis plus de temps que prévu à se remettre en place.
Malgré ça, tu as repris assez tôt en Figaro l’an dernier, comment s’est passée ta demi-saison sur le bateau ?
J’ai eu une très belle avant-saison avec Pascal Bidégorry qui m’a bien aidé pour prendre en main le bateau, mais sur la Solitaire, après une première étape qui s’est très bien passée, je me suis rendu compte que mon pied était énorme. J’ai quand même continué et je garde finalement un souvenir incroyable de cette bataille de fou avec des rebondissements dans tous les sens. Quelle course ! Aujourd’hui, je n’ai qu’une envie, c’est de refaire la Solitaire, je sais que j’y retournerai avec l’intention de travailler pour être dans le Top 10 ou le Top 5.
Et finalement, tu n’as pas pu faire la seconde partie de saison en Class40 ?
Non, j’ai dit stop, je me suis fait opérer au mois d’août. J’avais choisi Sam (Goodchild) pour être co-skipper du bateau, on a appelé Fabien Delahaye qui m’a remplacé au pied levé, ils ont fait une très bonne Transat Jacques Vabre et Leyton a proposé à Sam de skipper le Figaro en 2020.
Tu es de ton côté passé en Multi50, quand est né ce projet ?
Après la Route du Rhum. On a étudié différentes possibilités avec Leyton, l’Imoca, c’était trop cher, on s’est dit que le Multi50 était une bonne solution. On a réfléchi à lancer la construction d’un bateau, mais quand Lalou Roucayrol nous a dit qu’il mettrait son bateau en location parce qu’il en construisait un nouveau, on a saisi l’opportunité. L’idée serait de faire deux ans jusqu’à la Transat Jacques Vabre 2021.
Pourquoi le Multi50 et comment vois-tu le circuit ?
C’est un circuit qui a un potentiel énorme, auquel il manque juste une petite impulsion. J’espère que mon arrivée, celle de Fabrice Cahierc, les ambitions de Seb Rogues, vont insuffler une dynamique pour attirer un ou deux autres bateaux pour faire des courses à dix, ce serait magique. Pour moi, le multicoque est un vrai rêve depuis toujours ; au moment où je te parle, je suis dans ma chambre devant une photo de Pierre 1er [le trimaran vainqueur du Rhum 1990 avec Florence Arthaud, NDLR] que je regarde tous les jours. J’ai adoré l’époque de l’Orma avec les Grands Prix, le format du circuit Multi50 est proche. Ce qui me plaît aussi, c’est, après avoir passé énormément de temps tout seul ces dernières années, de faire de l’équipage. En plus avec mon père ! J’ai 32 ans, je n’ai jamais régaté avec lui, je suis très fier et heureux de naviguer avec lui, j’espère qu’il va m’apprendre beaucoup de choses.
Quels objectifs sportifs te fixes-tu cette saison ?
On a un bon bateau, une super équipe, avec papa, Aymeric Chappellier qui est très motivé, Christophe Espagnon, bref tout ce qu’il faut pour être performants. Je ne te cache pas que ça serait magique de gagner Québec-Saint-Malo avec mon père.
L’après Multi50, ce sera le Vendée Globe ?
J’y pense, oui, on est en train d’y réfléchir avec mon sponsor, ne serait-ce que pour partager des idées de recherche et développement, mais ça pourrait aussi être sur d’autres bateaux. Aujourd’hui, le Vendée Globe me fait rêver, mais il ne me fait pas rêver sous son aspect quête de l’opulence et du toujours plus.
Photo : Martin Keruzoré
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