Désormais double vainqueur de la Solitaire du Figaro, Yoann Richomme a frappé par sa maîtrise et son apparente sérénité. S’il peut parfois donner une image de dilettante, le skipper de HelloWork-Groupe Télégramme s’avère être un travailleur acharné qui ne laisse rien au hasard. Tip & Shaft a tenté d’en savoir plus sur sa personnalité.
Sept mois après avoir remporté la Route du Rhum-Destination Guadeloupe en Class40, au prix d’un impressionnant cavalier seul sur un bateau mis à l’eau quatre mois plus tôt, Yoann Richomme s’est offert une deuxième Solitaire du Figaro. Là encore au terme d’une démonstration qui a marqué tous les observateurs, même ceux qui le connaissent bien. « Par rapport à tous les autres qui font un peu les montagnes russes d’une étape à l’autre, Yo, en dehors de sa 13e place sur l’étape d’Aurigny, fait un, deux et quatre : c’était vraiment le patron », commente Damien Seguin, très proche du double vainqueur de la Solitaire – ils courront ensemble une troisième Jacques Vabre ensemble cet automne. Fabien Delahaye, qui fait lui aussi partie du cercle proche, abonde : « Sur cette Solitaire, il est impérial, il a toujours été meneur, il aurait pu gagner les quatre étapes. Il dégageait une grosse confiance en lui. »
Cette confiance s’est notamment vue lors de la dernière étape lorsque, à l’approche de la marque d’Owers, il a lâché le peloton pour aller tricoter au sud de l’île de Wight alors qu’il aurait pu rester au contact de ses adversaires les plus proches. « Yoann a toujours été un joueur, mais sur ce coup, je l’ai trouvé gonflé, il fait son truc dans son coin, assume ses choix, je trouve ça pas mal », confie Christian Le Pape, patron du pôle Finistère Course au large. « Il a navigué détaché, comme toujours, sans trop se préoccuper des trajectoires des autres. Il a besoin d’être libre de ses choix et de ses trajectoires, c’est une navigation décomplexée », souligne de son côté Charlie Dalin qui fut son compagnon d’écurie chez Macif.
« C’est Yoann, s’il estime que c’est là que ça va passer, il y va, renchérit Donatien Carme, fidèle préparateur du skipper d’HelloWork-Groupe Télégramme depuis 8 ans. Mais en même temps, il ne prend pas de risques inconsidérés. » En tout cas, il n’en prend plus : « Avant, il était capable de très bonnes choses, mais aussi de mauvaises, avec parfois des options trop risquées. Dès qu’il a mis un peu de calme dans son jeu, ça a tout de suite marché », analyse Fabien Delahaye qui voit « clairement un déclic » dans la victoire de Yoann Richomme dans la Solitaire 2016 sous les couleurs de la Macif, qu’il a portées trois saisons.
« Je pense que le déclic, je l’ai eu avant, répond l’intéressé à Tip & Shaft. J’ai connu une première année avec Macif très compliquée : je prenais des bâches sans comprendre et j’ai finalement appris à relativiser, notamment au contact de Charlie (Dalin) qui fait les choses d’une façon libre et personnelle sans se soucier de ce que pensent les uns et les autres. En courant la Transat AG2R avec lui [en 2016, abandon], j’ai aussi vu l’engagement qu’il mettait sur le bateau. Ça a été une révélation : je ne m’engageais pas assez. » Son frère Martin, de six ans son cadet, designer chez Spinlock, estime lui aussi que ces années Macif ont été décisives : « Il y avait une belle compétition avec Charlie et il a pu mesurer la quantité de travail qu’il fallait pour être en tête ». « Son niveau d’implication aujourd’hui est énorme : c’est un gros travailleur qui ne laisse pas de place au hasard. S’il a rejoint la caste des Le Cléac’h, Lunven et autres, c’est parce qu’il a adopté les mêmes façons de travailler », complète son père Yannick, en charge du développement chez Incidence Group qui regroupe Incidence Sails, Incidence Technologies et Delta Voile.
Un père qui lui a donné le goût du large, lorsque, de retour d’une expérience professionnelle de trois ans avec toute la famille à Philadelphie, il l’a embarqué, à 17 ans, pour ramener son croiseur en France via les Bermudes et les Açores. « Cette première traversée m’a ouvert les yeux sur le large, mais c’est après, lors de mes études d’architecture navale à Southampton que j’ai découvert la voile sportive en travaillant sur un projet Tour de France. Le montage et la gestion de projet m’ont vraiment plu. » Le virus est pris. A son retour en France, Yoann fait ses armes en tant que préparateur du 60 pieds Imoca de Roland Jourdain, qui se souvient de « discussions animées sur des points techniques, il était au taquet max ». Il travaille aussi pour Charles Caudrelier et Nicolas Lunven, avant de débuter en 2010 sur le circuit Figaro où, selon sa tante Isabelle, présente mercredi à son arrivée au ponton à Dieppe, « il a évolué tranquillement, en comprenant des choses petit à petit. »
Si la victoire sur la Solitaire en 2016 a récompensé cette maturation lente, la suite n’a cependant pas été rose, avec une période de vaches maigres à laquelle Yoann Richomme ne s’attendait pas forcément. « Quand il a gagné la Solitaire, il s’est dit que les portes allaient s’ouvrir, que les sponsors allaient venir à lui. Ça ne s’est pas passé comme ça, il a fallu tout reconstruire », confirme sa compagne Margaux. Il se lance ainsi dans un un projet Imoca sur l’ancien Veolia Environnement de Roland Jourdain aux côtés du propriétaire, Pierre Lacaze. « Une expérience qui m’a donné confiance dans ma capacité à analyser et mettre au point un bateau parce qu’on a fait un truc correct sur la Jacques Vabreavec un vieux bateau. » Il prend alors le risque de lancer la construction d’un Class40, plan Lombard, en vue de la Route du Rhum 2018 alors qu’il n’a pas de partenaire. « Sa philosophie, c’est ça : il estime que pour avoir des projets, il faut prendre des risques, sinon, tu n’avances pas », confirme Margaux.
Une stratégie payante, mais qui n’a pas été sans heurts : après sa victoire sur le Rhum, Yoann Richomme confie avoir frôlé le burn-out. « C’est un grand calme au premier abord, mais il est hyper sensible et prend les choses à cœur. Là, au fur et à mesure que l’échéance du Rhum arrivait, il y avait une angoisse de plus en plus forte que le projet n’aboutisse pas. Finalement, l’histoire est belle », poursuit sa compagne. Sa victoire sur le Rhum prouve aussi une nouvelle fois sa capacité à prendre en main techniquement un projet. « Yoann aborde ses projets de manière réfléchie et cartésienne, il arrive à prendre les dossiers dans le bon ordre », confirme Charlie Dalin.
« Il n’a jamais eu des moyens énormes, mais une de ses qualités, c’est de savoir planifier les choses et de s’adapter. C’est un vrai plus, on l’a vu sur cette Solitaire où il s’est adapté en permanence aux conditions pour faire des choix rarement mauvais », ajoute Damien Seguin. Qui voit dans son parcours, notamment à l’étranger, une des raisons de cette capacité d’adaptation, mais aussi de son ouverture d’esprit. Pour Donatien Carme, « Yoann a une curiosité pour énormément de choses : quand il rentre chez lui le soir, il regarde des tutos de machine outils cinq axes, il veut tout comprendre ». Un côté touche-à-tout que ce jeune père d’une petite fille, qui fêtera ses 36 ans le 12 juillet, revendique : « J’étais parti pour un cursus d’informatique, j’ai changé pour des études d’architecture navale, que je n’ai jamais mises en pratique parce que j’ai fait préparateur puis navigateur et j’estime que je suis capable de faire encore d’autres métiers. Le jour où la compétition ne me passionne plus, je mets tout dans la bagnole et je tourne la page. »
Ce n’est pour l’instant pas d’actualité : Yoann Richomme cherche, avec l’équipe du Hub by OC Sportqui l’a recruté quelques semaines avant la Solitaire pour remplacer Charles Caudrelier, à trouver un budget pour prendre le départ du prochain Vendée Globe à bord du plan Lombard sur lequel il a couru la dernière Transat Jacques Vabre. « On fait tout pour que quelque chose se déclenche, on a une partie du budget, le bateau, le hangar, il n’y a plus qu’à embarquer », lance-t-il. Christian Le Pape conclut : « Avec deux victoires dans Solitaire à trois ans d’intervalle, Yoann fait partie des gens qui comptent dans le milieu, il est bankable et mérite largement d’avoir un gros projet. »
Photo : Alexis Courcoux / La Solitaire Urgo Le Figaro