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Alain Gautier : “La Solitaire est une excellente école de vie, de sport, de mer”

Vainqueur en 1989, 2e en 1988 et 2003, Alain Gautier a annoncé jeudi dernier qu’il participerait, à 57 ans, à sa 18e Solitaire du Figaro à l’occasion de la 50e édition qui s’élancera de Nantes. Le Lorientais revient pour Tip & Shaft sur sa longue histoire avec l’épreuve et évoque le projet Imoca MACSF d’Isabelle Joschke, dont il est le manager.

As-tu hésité avant de te lancer sur cette 50e Solitaire du Figaro ?
Dans un premier temps, ça me paraissait évident qu’il fallait en être, mais il se trouve que je ne suis plus navigateur professionnel, j’ai un métier prenant qui est de manager l’équipe MACSF, avec un super sponsor qui nous a rejoints cette année et un chantier important en cours, donc ça m’a freiné pendant ces trois derniers mois. Finalement, j’ai estimé que c’était possible, la décision n’a pas été facile à prendre, nous nous sommes organisés en conséquence, Marine Viau va prendre les choses en main pendant mon absence en juin. Il y avait aussi l’aspect financier à prendre en compte, je ne suis pas un footballeur en retraite, je ne peux pas me dire que je vais dépenser 100 000 euros pour me faire plaisir, il m’a du coup fallu trouver un petit peu de sous.

Comment finances-tu ces 100 000 euros ?
J’ai envoyé un petit mail à dix personnes qui sont mes anciens partenaires ou des anciens clients devenus des amis depuis la création de ma société Lanic Sport, lancée il y a trente ans pour le Vendée Globe 1989. Elles n’ont pas toutes dit oui, certaines boîtes avaient changé de nom ou les dirigeants n’étaient plus les mêmes, mais cinq m’ont répondu positivement, ça m’a permis de réunir le budget minimum pour partir.

Pourquoi as-tu voulu participer à cette Solitaire ?
C’était trop tentant de voir cette 50e édition, avec un nouveau bateau, comme en 2003, j’ai succombé. La Solitaire représente pour moi énormément de choses : c’est comme ça que j’ai démarré ce que je ne pensais pas du tout au début être une carrière. J’avais suivi mon frère sur deux étapes de L’Aurore en 1978, j’avais 16 ans, je n’étais pas du tout branché voile, c’est le sport auto qui me plaisait. Cela avait été un petit déclic, suivi du gros déclic qu’a été la Route du Rhum, et je me suis présenté au départ en 1980. C’est peu à peu devenu une profession alors que ce n’était pas du tout l’objectif, puisque j’étais destiné à reprendre l’affaire familiale. Je me disais à l’époque que je me prenais un mois de vacances pendant deux-trois ans pour faire la Solitaire, et finalement, je l’ai courue 17 fois. C’est une course unique, sportivement, c’est le top du top, avec un bateau monotype, l’exigence des quatre étapes qui t’oblige à te remettre en question à chaque bord. C’est une excellente école de vie, de sport et de mer, et c’est pour ça qu’autant de champions en sont sortis.

Raconte-nous un peu les moments particuliers de ces 17 participations, d’abord ta victoire en 1989…
Elle restera assez particulière, parce que j’aurais dû gagner un an plus tôt : je gagne les trois premières étapes, je pars d’Irlande sur la dernière avec trois heures et demie d’avance sur Laurent Bourgnon au général ; il prend une option à fond dans l’ouest qui s’avère payante, mais il a 5 milles d’avance, une heure, tout va bien jusqu’à Belle-Ile, et dans la baie de Quiberon, il passe la ligne dans un dernier souffle et surtout à la fin de la marée, je suis obligé de mouiller près de la Teignouse à 3 milles de l’arrivée et j’y passe trois heures, je finis deuxième de l’étape et du général… Cette Solitaire a été très dure à digérer, mais je pense que ça m’a poussé à remettre ça l’année suivantealors que je suis en train de monter le projet Vendée Globe avec Generali, complètement à l’arrache. Je suis sur les rotules au début de la première étape, mais je remonte peu à peu, je gagne ensuite une étape puis la course, alors que ce n’est pas l’édition où j’ai été le plus percutant.

Tu l’as davantage été en 2003, pour finalement échouer à 13 secondes du vainqueur, Armel Le Cléac’h, cette issue a–t-elle été, elle aussi, difficile à digérer ?
C’est clair que cette édition 2003 restera incroyable. Mais heureusement pour moi, j’en avais justement déjà gagné une, si ça n’avait pas été le cas, oui, ça aurait vraiment été dur à avaler.

Ton histoire sur la Solitaire, c’est aussi cet épisode en 1996 où tu tombes à l’eau avant d’être récupéré par Nicolas Bérenger, y repenses-tu souvent ?
Oui, le nom de Nicolas Berenger est toujours dans un coin de ma tête, c’est logique. Mais ce n’est pas du tout un traumatisme, j’ai juste fait une connerie que j’aurais pu payer très très cher. En revanche, quand je n’ai pas de chance, ce qui m’est quand même arrivé sur des courses où ça s’est joué à peu de choses – 1988 et 2003 sur le Figaro, le Boc Challenge 1990, le Rhum 1998 où je tape une baleine – je me dis finalement que je n’ai pas de quoi me plaindre parce que j’ai cramé tous mes jokers en 1996.

Parlons de cette 50e édition, quelles sont tes premières sensations sur ce Figaro 3 ?
Au portant, c’est vraiment un bateau très agréable, mais très exigeant, et au près, ce n’est pas simple dans le petit temps. C’est extrêmement difficile de connaître le range exact des voiles, il peut y avoir de grosses différences dès qu’il y a un nœud de plus, ça va être très intéressant. Je pense que le feeling du skipper va jouer beaucoup et c’est pour ça qu’on voit Yann Eliès gagner la Sardinha Cup.

Que t’inspire le plateau de la 50e ?
C’est magnifique et c’est pour ça que c’est trop tentant d’y revenir. L’année 1 d’un nouveau bateau, il ne faut pas louper ça. On se retrouve cette année avec trois générations, c’est génial de voir Mich Desj, Yann, Armel, tous les anciens vainqueurs, Loïck bien sûr… Il y a une somme de talents incroyable.

Quel objectif vas-tu te fixer ?
Mon objectif, c’est pas d’objectif ! Je vais juste essayer de me faire plaisir, même si je sais que je vais aussi me faire mal, mais on est un peu maso dans ce sport. J’ai zéro pression, mes partenaires savent que je ne pars pas pour gagner, on y va pour profiter de l’ambiance incroyable autour de cette course.

Cette 50e sera-t-elle ta dernière Solitaire ?
Il y a de fortes chances, mais « never say never » !

Finissons par l’Imoca MACSF : où en sont les travaux aujourd’hui ?
Ça avance, jamais aussi vite qu’on veut, mais on espère naviguer en juillet. Les foils sont en cours de construction chez Multiplast et les puits vont bientôt être greffés, chez nous, à Lorient, avec les équipes de Gepeto. C’est un gros boulot, parce que par rapport aux puits de dérive, ils sont énormes et très structurés.

As-tu hésité avant de te lancer dans ce chantier où était-ce une évidence à partir du moment où tu en avais les moyens ?
Notre philosophie était de se dire qu’on avait déjà un super bateau et qu’on pouvait espérer être le meilleur des non-foilers, en sachant que les foilers iraient beaucoup plus vite au Vendée Globe. Par contre, on se disait que si on avait les moyens, il faudrait bien sûr passer aux foils, parce qu’il y aurait trop de foilers pour espérer finir dans les dix premiers. Du coup, dès que l’opportunité s’est présentée de faire ces modifications, on l’a saisie.

Qu’attends-tu concrètement comme gains avec les foils ?
Ils sont impressionnants. Il y a forcément des allures où ce n’est pas flagrant, par contre, à d’autres, ça peut être de l’ordre de 4 nœuds voire plus. Sur un Vendée Globe, c’est un gros gap.

Les objectifs d’Isabelle sur ce Vendée Globe sont-ils revus à la hausse ?
Non, on va attendre que 2019 se passe avant de parler d’objectif, on aura un peu plus de recul sur les forces en présence.

Une année 2019 marquée notamment par la Transat Jacques Vabre, qu’Isabelle disputera avec Morgan Lagravière, pourquoi lui ? 
On avait une petite liste, mais Morgan était le premier choix, parce que c’est quelqu’un d’humainement vraiment sympa, il a beaucoup de talent, une bonne expérience de l’Imoca, et Isabelle le connaît parce qu’elle a déjà travaillé avec lui en Figaro sur des stages de perf, c’était donc un choix évident.

Qu’attends-tu de cette Transat Jacques Vabre ?
Ce n’est pas du tout pour nous un objectif sportif, parce qu’avec les histoires de qualification, on ne peut pas prendre de risques, il faut terminer, mais on va apprendre beaucoup sur le bateau dans sa nouvelle configuration.

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