Après avoir en vain tenté de monter un projet Vendée Globe avec Roland Jourdain et l’équipe de Kaïros, Morgan Lagravière passera plus de temps sur l’eau en 2019 : en plus de naviguer en double en Figaro 3 avec Gildas Mahé sur la Sardinha Cup et le Tour de Bretagne, il participera à la Solitaire URGO Le Figaro. Il basculera ensuite en Imoca, en tant que co-skipper d’Isabelle Joschke sur MACSF pour la Transat Jacques Vabre.
Commençons par un retour en arrière : est-ce que cela a été dur pour toi de devoir renoncer à t’aligner sur le Rhum faute de partenaires ?
Oui, carrément. Nous avions beaucoup d’espoir de pouvoir faire la Route du Rhum, à tel point qu’on s’était inscrits à l’épreuve, et puis les mois ont passé et on s’est retrouvés devant le fait accompli : nous n’allions pas pouvoir boucler le budget, donc la solution la plus sage a été de renoncer. Quand tu as espéré pendant des mois pouvoir te battre avec les autres sur un bateau performant et fiabilisé, c’est forcément dur. Mentalement, ça n’a pas été drôle à vivre.
Dans la foulée, Kaïros a dû vendre le bateau, cela a-t-il été un crève-cœur pour toi ?
Forcément, parce qu’il y avait un historique avec le bateau et que je suis quelqu’un d’assez émotif qui accorde beaucoup d’importance à la matière, au bateau, cela a été un déchirement. Après, la phase de collaboration avec Kaïros a duré 20 mois, pendant lesquels on a essayé de trouver des partenaires, le bilan est que nous n’avons pas été capables de le faire, donc à un moment donné, il faut aussi être lucide et se dire que la solution est peut-être dans un fonctionnement différent. Et ce bateau devenait un poids que Kaïros ne pouvait pas supporter beaucoup plus longtemps, donc la décision de le vendre et de mettre fin à notre collaboration était logique.
Le Vendée Globe 2020 te paraît-il encore envisageable ?
C’est toujours réalisable, mais j’ai perdu un peu espoir d’y arriver, parce que nous avons été proactifs pendant 20 mois et qu’on n’a pas réussi, alors que nous avions une équipe, un bateau, un fonctionnement cohérent, ce serait peut-être plus sensé de se projeter sur le prochain. Aujourd’hui, je suis dans une démarche un peu différente : je l’ai encore dans un coin de ma tête, mais ça ne fait plus partie de mes priorités, je veux être dans le présent, dans l’action, ma priorité est de retourner sur l’eau, parce que je pense être capable de me valoriser dans un cadre de confrontation. Cela a été une frustration ces derniers mois de ne pas avoir suffisamment navigué, je tourne cette page et j’en ouvre une autre qui va me permettre, je l’espère, d’être sur l’eau au maximum.
Comment expliques-tu que tu n’aies pas réussi à convaincre des partenaires pour ton projet Vendée Globe ?
Je ne sais pas vraiment. Ce qui est étonnant, c’est que les retours que nous avions étaient plutôt positifs, mais ça n’a pas abouti. C’est difficile d’analyser ça, mais je pense que nous n’avions pas un gros carnet d’adresses, pas un gros réseau, après je n’ai pas l’impression qu’il y ait de règles pour qu’un partenariat aboutisse, il existe beaucoup de manières différentes d’y arriver.
Penses-tu que ton Vendée Globe 2016 mitigé, avec ton abandon et tes déclarations qui ont été diversement commentées, t’a desservi ?
C’est une phase qui m’a fait souffrir, parce qu’il y a eu un écho médiatique important d’un article polémique qui m’a fait du mal, à titre personnel mais aussi en termes d’image. Après, j’ai toujours été transparent dans ma manière de vivre et de raconter les choses, c’était déjà le cas en Figaro, sauf que c’était vu plus positivement parce qu’il y avait des performances sportives au bout. Là, il y a eu des aléas dans ce projet Imoca, notamment matériels, qui ont impacté la dimension sportive, mais ce qui est sûr, c’est que j’ai essayé de faire les choses au maximum, je me suis saigné dans ce projet, c’est pour ça que j’ai trouvé douloureux de subir ces critiques. Maintenant, je ne suis pas mort, je fais en sorte d’utiliser cette expérience de manière constructive pour éviter de reproduire ce genre de schéma, mais pour autant, je n’ai pas envie d’être différent. Avec du recul, j’ai vraiment le sentiment d’avoir plus été au mauvais endroit au mauvais moment avec des propos un peu trop transparents, plutôt que d’avoir fait une erreur. Ce que j’ai raconté, on l’a tous vécu de la même manière, ces premières semaines ont été dures à vivre pour tout le monde.
Tu as donc tourné une page en acceptant la proposition de Gildas Mahé de l’accompagner en Figaro 3, comment cela se passe-t-il entre vous ?
Gildas m’avait accompagné au tout début du projet Vendée Globe en 2011, on avait fait le Tour de Bretagne ensemble, cela avait une année très riche humainement et sportivement, il était aussi venu naviguer sur l’Imoca. Il m’a contacté fin 2018 pour me demander de naviguer en double avec lui sur la Sardinha Cup et le Tour de Bretagne. Ça fait maintenant deux-trois mois qu’on se côtoie, c’est un vrai plaisir, avec une dimension humaine très différente de ce que j’ai pu vivre dans d’autres projets. Gildas est quelqu’un de très professionnel tout en étant très détendu, on bosse beaucoup, mais on s’amuse, c’est un cadre très sympathique.
Un attelage Mahé-Lagravière sur la Sardinha Cup, c’est pour aller jouer la victoire ?
C’est compliqué de répondre à cette question, parce quand on regarde le plateau, il y a quasiment 25 duos capables de jouer la victoire sur les 34 inscrits. Il y a en plus tellement de nouveauté sur cette course que la porte est ouverte à tout le monde. Nous, on sait que nous avons fait de belles choses dans le passé, nous nous connaissons très bien, nous avons bien travaillé en avant-saison et nous sommes motivés tous les deux, autant d’ingrédients qui nous confortent dans une optique de performance immédiate, mais aussi pour la suite de la saison.
Cela veut-il dire que tu continueras en Figaro ?
Oui, je suis en train de mettre en place un projet pour faire la Solitaire du Figaro, que j’ai initié sur mes fonds propres, parce que je n’ai pas de partenaires, mais j’espère en trouver d’ici le départ. Comme je l’ai expliqué, j’ai besoin de retourner sur l’eau en solitaire et de rebondir, c’est pour ça que je prends ce risque de m’endetter. Aujourd’hui, si tu veux exister dans le milieu de la course au large, il faut naviguer, essayer d’être performant, ce n’est pas en restant chez toi que tu maximises les chances d’y arriver. Je me dis qu’au pire des cas si je ne trouve pas de partenaires, ce sera un investissement pour la suite, même s’il est risqué à titre personnel.
C’est combien ?
Juste pour la Solitaire, en essayant de faire les choses au minimum, c’est entre 50 000 et 70 000 euros, j’en suis même à réfléchir à dormir dans le bateau, à l’ancienne quoi ! Mais d’un autre côté, je le vis comme une expérience potentielle si ça doit se passer dans ce cadre. Et le fait d’avoir moins navigué ces dernières années m’a redonné la fougue : je ne prendrais pas ce risque si je n’avais pas cette grosse envie.
Sur quel bateau vas-tu courir ?
J’ai loué le bateau de Jules Delpech, un ami d’enfance de La Réunion qui était mon préparateur historique sur la Solitaire du Figaro et m’avait suivi sur l’Imoca, il n’a pas réussi à monter son projet et va encore m’accompagner, c’est un super soutien, une arme redoutable pour la préparation du bateau.
Que penses-tu de ce Figaro 3 ?
Franchement, je me régale à chaque navigation. Il y a effectivement ces histoires de fragilité de barreau de barres de flèches qu’on connaît actuellement, mais ça fait partie du développement du bateau et tous les acteurs jouent le jeu pour résoudre ces problèmes le plus rapidement possible. Les choses ont peut-être été un peu trop précipitées d’un point de vue programme sportif pour une première saison, mais on fait avec. D’un point de vue technique, ce bateau donne du plaisir : il est sensitif, très fin à la barre et demande beaucoup d’investissement, franchement ça m’éclate, c’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de faire la Solitaire. On s’éloigne un peu de la caravane qu’était le Figaro 2, on est plus sur un hybride entre dériveur et bateau plus lourd.
Tu vas aussi naviguer en Imoca cette saison, puisque tu seras le co-skipper d’Isabelle Joschke surMACSF pour la prochaine Jacques Vabre, comment les choses se sont-elles faites ?
C’est une super nouvelle. Alain Gautier était venu me voir pendant le Nautic pour en discuter, ensuite, ils ont réfléchi par rapport à leur liste de skippers et j’ai eu l’accord d’Isabelle juste avant les fêtes de fin d’année, quasiment en même temps que la proposition de Gildas en Figaro. Les choses se sont super bien combinées avec deux programmes complémentaires. Le planning va être assez chargé, je me suis ajouté la naissance de mon deuxième enfant, mais j’ai une grosse énergie pour assumer tout ça ! En plus, MACSF est un bateau que je retrouve et que j’apprécie beaucoup, puisque c’est l’ancien Safran sur lequel j’avais navigué avant d’avoir le foiler, j’ai fait deux transats qui s’étaient super bien passées, il a été très bien construit. J’ai de gros espoirs de performance dessus, parce que c’est une carène qui est encore au niveau et est assez confortable en comportement maritime au large.
Le bateau va être doté de foils, que pouvez-vous viser sur la Jacques Vabre ?
L’idée sera forcément d’essayer de faire du mieux possible, mais aussi de s’inscrire dans une démarche de plus long terme qui est de préparer le Vendée Globe d’Isabelle. On va découvrir un bateau avec un nouveau mât, une nouvelle configuration de voiles, des foils, on va avoir beaucoup de choses à apprendre. Il faudra donc essayer de ne pas brûler les étapes et prendre le temps de comprendre toutes ces choses pour que le bateau soit abouti en 2020. Après, même si c’est difficile aujourd’hui de le situer par rapport aux autres Imoca, je pense qu’on aura un très bel outil.
Pour résumer, 2019 est vraiment l’année de la relance pour toi ?
Oui, voilà, l’année de la relance sportive, j’ai envie de ré-exister, de prendre du plaisir sportif pour ensuite capitaliser sur des choses positives.
Le Vendée Globe reste-t-il à terme ta priorité absolue ?
Je suis hyper ouvert. Pour avoir été obnubilé par ça pendant des mois, je change un peu de fusil d’épaule et je prends les choses comme elles viennent. Aujourd’hui, ma visibilité est sur 2019, je vais essayer de performer du mieux possible, si ça se passe bien, ça maximisera les chances que des opportunités s’ouvrent à moi.
Photo : Rivacom