Après avoir dominé le circuit Mini en proto en 2016 et 2017, Ian Lipinski change de braquet : il disposera à partir de l’année prochaine et pour quatre ans d’un Class40 flambant neuf, conçu par David Raison, grâce au soutien d’un nouvel entrant dans la course au large, le Crédit Mutuel. Le marin installé à Lorient évoque ce nouveau projet pour Tip & Shaft.
Comment es-tu rentré en contact avec le Crédit Mutuel ?
C’est un concours de circonstances, grâce à une personne que j’avais rencontrée il y a six ans, lorsque je cherchais à monter mon projet Mini et que j’ai relancée l’hiver dernier pour lui parler de mes nouveaux projets. Il se trouve que cette personne avait parmi ses clients le Crédit Mutuel et, quelque temps après, elle m’a appelé pour me dire que Pascal Durand, le directeur de la Confédération nationale du Crédit Mutuel, souhaitait me rencontrer. Il m’a demandé ce que j’avais envie de faire et c’est en discutant ensemble que nous avons décidé de partir sur ce projet de Class40. Il m’a demandé de faire un dossier complet que j’ai rendu un mois et demi après et que j’ai présenté à d’autres personnes au Crédit Mutuel, notamment à Daniel Baal, le directeur général. Ils en ont ensuite discuté avec le président de la Confédération nationale, Nicolas Théry, avant de présenter le projet au conseil d’administration qui l’a avalisé en juillet.
Il y a un an, tu évoquais plutôt le Figaro, pourquoi avoir choisi le Class40 ?
Je parlais de Figaro, parce que c’est financièrement plus accessible, mais je savais que le Class40 correspondait mieux à mon profil : je ne suis pas un régatier à la base et le programme me paraissait plus accessible, avec des courses plus longues, un enjeu de préparation du bateau plus important, je pense que ça peut être plus facile pour moi de performer en Class40 qu’en Figaro. Après, j’avais été assez déçu et vexé l’hiver dernier de ne pas avoir été retenu par le pôle de Port-la-Forêt pour faire la Transat AG2R-La Mondiale avec Erwan Le Draoulec, alors que nous avions monté le projet ensemble, c’était une histoire sympa d’avoir les deux vainqueurs de la Mini sur le même bateau [Loïs Berrehar avait été choisi à sa place, NDLR].
As-tu réfléchi à d’autres options ?
J’ai forcément aussi réfléchi à l’option Imoca, mais elle a été vite écartée, parce que le Crédit Mutuel n’a jusqu’ici jamais vraiment été dans la voile et le sponsoring sportif professionnel, ce n’était pas envisageable pour eux d’aller sur un tel terrain pour débuter, donc on a surtout étudié le Figaro et le Class40. Ce qui leur a plu tout de suite, moi aussi d’ailleurs, c’est le fait de construire notre propre bateau, de pouvoir faire des choix identifiables, différents.
Tu as pour cela choisi David Raison, as-tu d’entrée décidé de travailler avec lui ou as-tu sollicité d’autres architectes ?
J’ai tout de suite voulu que ce soit lui, parce que je pense qu’il est très bon, ce dont j’ai pu me rendre compte en naviguant sur son bateau pendant deux ans [le proto 865, NDLR]. Il a eu le talent et l’audace de faire quelque chose de très nouveau dans la conception des bateaux de course avec les scows, et ça a donné des résultats. Cela me paraissait donc logique de continuer avec lui, nous partageons la même conviction de ce qui peut marcher.
C’est-à-dire ?
L’idée, c’est d’essayer de reproduire les caractéristiques d’un scow en Class40, à savoir faire un bateau qui va toujours tout droit, qui n’enfourne quasiment pas et du coup va avoir une moyenne élevée et très stable, en décélérant très peu. Un bateau facile à vivre également, parce qu’il ne mouille pas, plus facile à barrer pour le pilote ou le barreur. Le gros travail va donc se situer au niveau de la carène.
Mais la jauge de la Class40 ne permet pas une étrave arrondie comme sur les Mini…
Au niveau de la forme de carène, il y a une contrainte de jauge sur le volume d’étrave, qui dit qu’à un centimètre de l’avant du bateau, le livet doit présenter seulement 45 centimètres de largeur sans faire d’inflexion, le frégatage est aussi interdit. Du coup, ça limite, mais nulle part, il est écrit que les scows sont interdits, il faut juste faire rentrer le bateau dans ces dimensions. Donc on peut conserver la carène d’un scow, c’est juste l’esthétique de l’avant qui sera différente.
A quel stade de la conception et de la construction en êtes-vous ?
Nous avons fait trois simulations numériques de la carène, elle est quasiment finie et nous sommes contents du résultat. Il nous reste à faire le plan de pont, l’objectif étant de terminer tout ça début novembre de manière à pouvoir lancer la construction des moules dans la foulée pour une mise à l’eau prévue en juillet.
Où allez-vous construire ?
Nous allons décider d’ici la semaine prochaine, nous hésitons entre Multiplast et JPS.
As-tu déjà constitué une équipe ?
Oui, le noyau dur va être constitué de David, de Sébastien Picault, qui va me seconder sur le projet, [vainqueurs tous les deux en 2016 et 2017 du Mini-Fastnet avec Ian Lipinski, NDLR] et de Tanguy Leglatin, qui nous aide aussi à prendre des décisions sur la conception du bateau et avec lequel je vais continuer à m’entraîner à Lorient.
Sais-tu déjà qui t’accompagnera sur la prochaine Transat Jacques-Vabre ?
J’y ai déjà réfléchi, mais je n’ai pas encore décidé. Ce qui est sûr, c’est qu’on va courir après le temps pour cette Jacques-Vabre, j’aurai très peu d’expérience en 40 pieds et en gestion de la navigation avec les logiciels, du coup, je vais chercher quelqu’un qui m’apportera de cette expertise-là.
Les dirigeants du Crédit Mutuel ont évoqué d’un budget sur quatre ans de 2,25 millions d’euros, très conséquent pour la Class40, cela met-il la pression ?
Ce sont clairement des conditions rêvées pour lancer un tel projet, ça me change du Mini où j’étais vraiment ric-rac. Après, je me rends compte que ça coûte cher au regard des premiers devis que je reçois par rapport au prévisionnel que j’avais fait, car les prix au niveau de la construction ont pas mal augmenté. Mais effectivement, ça met un peu de pression.
Yoann Richomme évoquait récemment un coût de 600 000 euros pour un bateau neuf, es-tu à peu près à ce niveau-là ?
La différence avec Yoann, c’est que nous payons entièrement les études et les moules, donc on se rapprochera plus de 700 000 euros.
Quel regard portes-tu sur la Class40 ?
Pour moi, c’est vraiment un bon prolongement de ce que j’ai vécu en Mini. Même si la jauge est très différente, les bateaux ressemblent quand même vachement à des Mini de série, ce sont des bateaux super intéressants et très agréables à naviguer. Je pense aussi que l’état d’esprit au sein de la classe est proche de celui de la classe Mini, d’ailleurs, il y a pas mal d’anciens ministes, avec un bon mélange entre ceux qui veulent faire une carrière pro et d’autres pour qui c’est le rêve d’une vie. Ça m’a beaucoup plu au sein de la classe Mini et je pense que ce sera aussi le cas en Class40. La classe est enfin très dynamique, avec un niveau sportif et technique qui augmente, c’est une classe qui se porte très bien.