Comme avant le départ de chaque grande course, nous avons demandé à un panel de spécialistes de nous donner leurs pronostics. Pour l’édition 2018 de la Transat AG2R Mondiale, ont accepté de jouer le jeu Charlie Dalin, vainqueur de la transat il y a six ans, Nicolas Lunven, deuxième en 2016, Jérémie Beyou, troisième en 2000, Vincent Riou, quatrième en 2002, Christian Le Pape, patron du Pôle Finistère Course au large, ainsi que les journalistes Anouk Corge (L’Equipe) et Didier Ravon (Voiles et voiliers).
Quels sont les ingrédients nécessaires pour briller sur la Transat AG2R La Mondiale ? S’ils ne l’ont pas tous gagnée, les marins que nous avons interrogés sont tous d’accord pour dire que la complémentarité est l’atout-maître d’une bonne performance en double. “Soit elle se fait naturellement avec deux marins apportant chacun des compétences propres, soit elle doit se travailler, et dans ce cas, il faut passer beaucoup de temps à réfléchir au fonctionnement à bord, à régler les process de décision, il ne faut pas que les deux compétences s’annulent“, explique Charlie Dalin qui se souvient qu’en 2012, son association avec Gildas Morvan avait bien fonctionné, parce que les compétences s’additionnaient : “Au niveau navigation, j’apportais une structure dans le raisonnement, Gildas faisait le tri de mes informations avec son expérience passée et prenait les décisions. Il n’y avait pas de batailles d’egos à bord, moi j’étais là pour apprendre, ce n’était pas à qui aurait le dernier mot”.
Même analyse chez Jérémie Beyou qui puise lui aussi dans ses souvenirs : “On dit souvent que le double, c’est un solitaire + un solitaire, mais la complémentarité est primordiale. L’année où je fais troisième avec Pascal (Bidégorry), on avait bien séparé les rôles : comme j’étais plus novice que lui, il avait la responsabilité de la stratégie et donnait le tempo, moi je gérais la marche du bateau et les manœuvres. C’est important de ne pas se marcher sur les pieds, il faut que chacun apporte quelque chose d’un peu différent, c’est la clé de la réussite”. De la complémentarité donc, mais aussi un minimum d’entente selon Nicolas Lunven : “Il faut que ça se passe bien entre les deux. Si tu prends deux mercenaires qui ne peuvent pas s’entendre, ils auront beau être très bons, ça ne peut pas marcher, parce que trois semaines dans un petit gourbi comme le Figaro 2, c’est long. S’il y en a qui mange toute la tablette de chocolat et n’en laisse pas un carré à l’autre, à un moment donné, ça commence à agacer…”
La proximité est justement l’un des atouts du duo formé par Alexis Loison et Anthony Marchand(Groupe Royer Secours Populaire) qui se détache nettement en tête des pronostics de nos spécialistes qui le citent tous sur le podium. “Ils ont gagné les deux premières courses de la saison [Solo Maître CoQ pour Loison, Solo Concarneau pour Marchand, NDLR], ce sont de bons copains à terre, ils connaissent bien leur machine, se sont beaucoup entraînés cet hiver, je les sens dans un esprit hyper positif. J’ai remplacé Anthony sur un entraînement il y a quelques semaines, j’ai bien vu qu’il y avait vraiment une bonne dynamique à bord“, commente ainsi Nicolas Lunven. Tandis que Vincent Riou met en avant “la bonne émulation entre les deux skippers” et que Charlie Dalin ajoute : “Ils ont un capital-confiance élevé, cet aspect mental est important car sur la Transat AG2R, dont le terrain de jeu est très grand, il faut avoir confiance dans ses choix, les assumer”. Pour Jérémie Beyou, Alexis Loison est arrivé à maturité : “Il a déjà gagné des étapes de la Solitaire, cela fait un bout de temps qu’il tourne autour d’une première grande victoire”. Anouk Corge pense la même chose d’Anthony Marchand : “Avant, il était un peu chien fou, je trouve que depuis qu’il a fait la Volvo [avec Mapfre en 2014-2015, NDLR], il a acquis plus de maturité. Avec Alexis, ils commencent à être de vieux briscards, je pense que leur duo peut bien fonctionner”.
Derrière, un autre duo est également cité dans la quasi-totalité des cas, celui de Bretagne CMB-Performance (Sébastien Simon-Morgan Lagravière). “Le départ dans des conditions médium favorise les glisseurs. Morgan et Seb maîtrisent bien le Figaro et le large, ils devraient être dans le coup”, explique Christian Le Pape. Si Nicolas Luven met en avant la complémentarité du duo – “Morgan est très très fort dans tout ce qui est feeling pour trouver les bons réglages, Sébastien a plus le profil ingénieur, cartésien, analytique” -, Jérémie Beyou évoque de son côté la grosse envie de Morgan Lagravière : “Je pense qu’il est vraiment motivé, il a envie de naviguer, de montrer à tout le monde ce dont il est capable pour essayer de repartir sur un projet de Vendée Globe derrière et en choisissant de revenir avec Sébastien Simon, qui est une des références en Figaro, il ne s’est pas trompé”.
Pour compléter notre podium, les tenants du titre Erwan Tabarly-Thierry Chabagny (Armor Lux-Gédimat) devancent d’une courte tête Adrien Hardy-Thomas Ruyant (Agir Recouvrement) et Gildas Mahé-Nicolas Troussel (Breizh Cola). “Tabarly et Chabagny cumulent 17 AG2R, ils ont tout pour faire le doublé, connaissant parfaitement et le Figaro 2 et la route !”, estime Didier Ravon. Charlie Dalin souligne, à propos du duo Hardy-Ruyant : “Sur la Transat AG2R, tu ne peux pas avoir un style de nav comparable à celui que tu as sur la Solitaire. Pour gagner, il faut arriver à se détacher de la concurrence et faire sa course. Les équipages dont les mecs sont à l’aise pour naviguer en se préoccupant moins des autres ont un avantage, ce qui est le cas d’Adrien qui aime faire les choses différemment, mais également de Yoann Richomme. Après, sur la Solo Concarneau, Adrien et Thomas se sont pris les pieds dans le tapis en partant sur une option assez osée qui leur a coûté la course, ça va peut-être les refroidir“. Christian Le Pape s’interroge quant à lui sur les résultats d’avant-saison des duos Hardy-Ruyant et Mahé-Troussel. “En vitesse, ils ne sont pas apparus comme les plus à l’aise. Comme ça va se jouer un peu là-dessus sur la première partie de la course, si tu as un petit déficit de vitesse, ça ne va pas le faire“.
Parmi les autres duos cités sur le podium, figurent Martin Le Pape-Yoann Richomme (Macif), Pierre Leboucher-Christopher Pratt (Guyot Environnement) et Justine Mettraux-Isabelle Joschke (Teamwork.net), tandis que Benjamin Dutreux-Frédéric Denis (Sateco-Team Vendée Formation), Corentin Douguet-Christian Ponthieu (NF Habitat) et Eric Péron-Miguel Danet (Le Macaron French Pastries) figurent au rang d’outsiders.
Le podium de nos spécialistes :
- Anthony Marchand-Alexis Loison (Groupe Royer-Secours Populaire)
- Sébastien Simon-Morgan Lagravière (Bretagne CMB-Performance)
- Erwan Tabarly-Thierry Chabagny (Armor Lux-Gédimat).