Au terme d’une saison marquée par son retour en Figaro et une troisième place en Imoca sur la Transat Jacques Vabre avec Morgan Lagravière, Eric Péron dresse le bilan de cette année 2017 et évoque ses projets futurs.
La semaine dernière dans ces colonnes, Dominic Vittet se demandait, au regard de la trajectoire que vous aviez suivie en début de Jacques Vabre si Morgan avait la“volonté de vaincre à tout prix”, une remarque qui ne t’a pas plu, pourquoi ?
Je trouve son analyse un peu légère, dans la mesure où on ne peut pas prendre une trace toute seule et en tirer ainsi des conclusions. Ce n’est absolument pas une question d’envie et il faut resituer cette transat dans son contexte : au moment de partir, l’équipe de Morgan avait un lourd fardeau à gommer, à savoir un abandon sur le Vendée Globe, des courses pas vraiment finies, donc l’objectif premier était d’arriver pour montrer que ce bateau avait du potentiel et rassurer d’éventuels sponsors en contact avec Morgan. Il y avait une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de nous : si on cassait, on mettait en péril tout le projet. En outre, nous avions eu très peu d’entraînement, puisque le projet avait été lancé en septembre.
Ce qui explique une navigation plus « sage » parfois ?
Dès la première nuit par exemple, on arrive aux avant-postes a Barfleur, mais on refuse de passer dans le Raz Blanchard car il y a 107 de coefficient de marée, 20 nœuds de vent de nord et presque 6 nœuds de courant de sud, il fait nuit, la mer est chaotique, on se dit que ce serait con d’arrêter là et on décide de faire le tour, contrairement aux autres favoris, on prend 9 milles dans la vue. Après, avant d’affronter le front (dans le Golfe de Gascogne, NDLR), on se retrouve avec une mer foireuse, on décide de lever un peu le pied en attendant qu’elle se range derrière le front. A ce moment, seul Saint-Michel-Virbac n’a pas levé le pied : ils étaient J2/un ris, nous J3/deux ris, c’est normal : ils avaient 100% confiance dans le bateau et avaient déjà vécu ces situations en entraînement, pas nous. Résultat : ils ont carburé et on prend 30 milles. Là où on a le plus perdu, c’est dans le contournement de l’anticyclone des Açores : à un moment, on voit une onde d’est arriver, les fichiers montraient qu’il y avait moins de vent dans l’ouest, on décide de garder notre décalage dans l’est. Il s’avère que 30 heures plus tard, les autres dans l’ouest ne sont pas freinés, tous les gribs donnaient 5 nœuds de vent et c’est passé comme une fleur à 20 nœuds. On a pris un petit risque stratégique qui n’a pas payé et on a pris 100 milles. Maintenant, pour reprendre les mots de Dominic, je suis d’accord pour mettre 20/20 à Saint-Michel-Virbac, ils ont fait une trajectoire parfaite, nous, on a raté le passage de l’onde d’est, mais jamais, on n’a manqué d’envie. On aurait bien aimé faire mieux, mais à l’arrivée, s’est dit : “Troisièmes de la Jacques Vabre, on prend !”
A titre personnel quels enseignements as-tu tirés de cette transat ?
Déjà, on s’est bien découvert avec Morgan, je pense qu’on fait une bonne paire et si on s’entraîne bien, on peut cartonner grave sur une Barcelona World Race, par exemple. Ensuite, j’ai découvert l’Imoca nouvelle génération, je savais que c’était un bateau très exigeant et de ce côté-là, il n’y a pas eu de surprise. C’est un bateau très raide, très rond, qui rebondit pas mal, ça tambourine, tu te cramponnes, tu rampes, tu fais attention à tous tes mouvements à bord… En même temps, quand tu vois les accélérations, c’est assez jouissif… Tout le jeu est de trouver un réglage pour que ce soit le moins en dents de scie possible, c’est un semi-vol pas facile à régler, assez particulier par rapport à un bateau archimédien classique. J’en ai donc tiré pas mal d’enseignements, j’ai noté beaucoup de choses, parce que je ne voulais pas que cette expérience s’efface au bout de trois nuits à terre. J’ai toujours en ligne de mire de participer au Vendée 2020, donc c’était une chance pour moi de faire cette transat pour poursuivre ma préparation.
Justement, où en es-tu de ton projet de Vendée Globe ?
Aujourd’hui, j’ai un petit groupe de partenaires sous le nom de Be One Team, on est vraiment au début du projet, assez loin de quelque chose de concret. En tout état de cause, je n’ai pas envie de mettre la charrue avant les bœufs et je veux surtout être prêt au cas où ça se fait. Du coup, mon énergie va plus sur la préparation sportive que sur l’achat d’un bateau ou la constitution d’une équipe. Aujourd’hui, je sais que je vais faire une grande partie du circuit Figaro en 2018, c’est un objectif de passage pour ma préparation au Vendée. Je ne sais pas si j’y arriverai, mais je me prépare comme si.
Des bruits de ponton ont parlé d’un plan Verdier pour toi…
Ces rumeurs circulent parce que j’ai effectivement pris des contacts pour me renseigner, mais aujourd’hui, je n’ai pas du tout signé la construction d’un bateau. Je voulais surtout avoir des infos sur le coût réel d’un Imoca neuf, parce qu’aujourd’hui, on ne sait pas vraiment ce qui est inclus dans les chiffres annoncés, j’ai l’impression qu’on est plus dans la tranche 5,5-6 millions d’euros que les 4,8 annoncés. Or, tu ne peux pas arriver devant un sponsor en lui annonçant une somme pour finalement te rendre compte plus tard qu’il y a des choses que tu ne peux pas faire, parce que ça coûte plus.
As-t l’intention de rester avec l’écurie Kaïros qui travaille avec Morgan pour son projet de Vendée Globe 2020 ?
J’aimerais bien profiter encore d’une collaboration en 2018, je suis sûr que j’ai beaucoup à apprendre avec eux et je serais bien tenté pour une Barcelona World Race. Maintenant, il faut qu’ils trouvent des partenaires solides pour engager une vraie campagne 2020. Ce qui est certain, c’est qu’en 2018, je n’ai pas de bateau, donc si des opportunités s’ouvrent pour faire la Barcelona, au même titre qu’elles se sont ouvertes pour la Jacques Vabre cette année, je prendrai.
Tu as retrouvé la Solitaire URGO Le Figaro en juin dernier, quel bilan en as-tu fait ?
J’ai signé le contrat (avec Finistère Mer Vent, NDLR) très tard, je me suis donc peu entraîné, si bien que je suis arrivé confiant dans mes restes, mais très incertain sur mon potentiel de vitesse ; en plus, je ne connaissais pas la flotte, puisque ma dernière Solitaire datait de 2011. Très vite, je me suis aperçu que j’avais des manques de vitesse dans les transitions, j’ai mis un temps fou à reprendre mes marques et j’ai fait quelques petites conneries de débutant. Au final, le classement général n’est pas top (19e), mais c’est une de mes meilleures Solitaire au point de vue plaisir sur l’eau, plaisir d’avoir fait des bons coups et d’avoir régaté avec une flotte de 45 bateaux. A l’arrivée, j’étais presque content, parce que comme je savais déjà que j’allais faire la Solitaire 2018, j’avais bien identifié les points sur lesquels travailler. Ça ne peut être que mieux en 2018.
Quel est ton programme ?
Je vais d’abord courir la Transat AG2R La Mondiale, avec Miguel Danet, dix ans après notre première AG2R ensemble sur Concarneau Saint-Barth, nous avions fini troisièmes. Il est revenu vers moi en début d’année en me proposant de remettre ça en 2018 parce qu’il avait des sponsors (Le Macaron-French Pastries, une franchise de boutiques-restaurants aux Etats-Unis, ainsi qu’une agence immobilière de Saint-Barth, NDLR). Il a lâché un peu la course au large, mais je lui ai laissé le bateau pour qu’il se remette dans le bain sur le dernier Tour de Bretagne, c’est l’occasion de réécrire une belle histoire, on va se préparer comme il faut cet hiver. Ensuite, je continue sous le nom de Finistère Mer Vent avec le Crédit Agricole du Finistère qui me met un bateau et des voiles à disposition. Il faut que je trouve un complément de budget de l’ordre de 50-80 000 euros pour le fonctionnement et participer à tout le championnat, mais je suis sûr de faire la Solitaire, avec les moyens de bien me préparer.
Pour finir, tu avais couru la Volvo 2014-2015 sur Dongfeng Race Team, as-tu eu des contacts pour remettre ça sur l’édition en cours ?
Oui, j’ai reçu des propositions de trois teams, mais aussi de l’équipe qui voulait prendre le huitième bateau. Après, j’avais signé pour l’AG2R en avril dernier et quand j’ai su que, avec Be One Team, on pouvait faire quelque chose pour participer à la Transat Jacques Vabre (il a apporté du budget à Kaïros, NDLR), cette perspective s’est éloignée. C’est une course extraordinaire, hyper enrichissante, j’y retournerais volontiers, mais neuf mois d’absence en France, ça n’aide pas à trouver des partenaires. Et ma priorité est vraiment le Vendée Globe 2020. Je sens que c’est la bonne période, je voudrais battre le fer tant qu’il est chaud après la troisième place sur la Jacques Vabre qui est une bonne ligne sur le CV à mettre en avant.
———————————————————————————————————————————
Yoann Richomme, objectif Rhum. 10e de la Transat Jacques Vabre avec Pierre Lacaze, le vainqueur de La Solitaire du Figaro 2016 est d’ores et déjà tourné vers la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, puisqu’il fait construire chez Gepeto à Lorient une évolution du Class40 Carac, le plan Lombard de Louis Duc. Il cherche des partenaires pour l’accompagner sur la transat en solitaire.