Avant de parler des 52 Super Series, pouvez-vous nous décrire votre parcours professionnel et comment vous êtes arrivé à la voile de compétition ?
Je suis médecin ophtalmologiste : après mes études à Nice, j’ai vécu à Nancy, un peu aux Etats-Unis, où j’ai appris la mentalité américaine, à savoir qu’il ne faut pas avoir peur de foncer. Puis j’ai monté une clinique à Nice, avant d’en ouvrir une à Lyon et une en Suisse. Aujourd’hui, j’ai 66 ans, je travaille un peu moins, puisque j’ai vendu ma clinique en Suisse, je reste à la tête des deux autres. Quant à la voile, j’en ai toujours fait, du dériveur quand j’étais jeune, et la première chose que je me suis achetée quand je me suis installé professionnellement à Nice, c’est un bateau à voile, pas un appartement. Au début, c’était de la voile pour me balader, ensuite, je me suis mis à faire un peu de régate. Et à partir de 1999, je n’ai plus fait que de la régate. En HN et en IRC, d’abord en modifiant mon bateau de croisière pour en faire un bateau de régate. J’ai ensuite acheté un Class40 parce que j’ai eu des velléités de large, mais je me suis rendu compte que c’était au-delà de mes moyens physiques, ça m’a quand même amené à devenir de plus en plus élitiste au niveau de mes bateaux – tant qu’à faire des courses, autant que ce soit sur des bateaux pointus, faits pour ça.
Vers quels supports vous êtes-vous alors tourné ?
Il y a environ huit ans, j’ai racheté le GP42 Near Miss qui pourrissait sur un parking et que nous avons remis à neuf. Nous avons navigué quatre ans en IRC, on a à peu près tout gagné en Méditerranée. Une fois qu’on a goûté au GP42 au portant dans la brise, on n’a plus envie de revenir en arrière. Nous avons donc décidé de passer en TP52, toujours en IRC, en rachetant également l’ancien Near Miss, un bateau de 2008 (plan Reichel-Pugh) qui appartenait à Franck Noël, un Français habitant à Genève comme moi, et avec lequel on a gagné avec encore plus de facilité, parce que c’était un très bon bateau. Et on s’apercevait, lors de courses comme Palma Vela, que quand on se retrouvait face à des équipes comme Alegre ou Azzurra, on arrivait à les battre une fois ou deuxsur quelques manches. Je me suis alors dit que si on arrivait à les accrocher avec un vieux bateau, peut-être qu’on pouvait faire encore mieux sur un bateau plus récent. J’ai alors eu l’opportunité de racheter l’ancien Sled, ce qui m’a décidé à accéder aux 52 Super Series.
Comment avez-vous constitué votre équipage ?
Je me suis appuyé sur un garçon exceptionnel, Mikaël Mergui, grâce à qui on arrive à s’élever. Il m’a été présenté par un copain, qui m’a parlé de lui comme d’un gars qui avait navigué sur la Coupe de l’America et était un super régleur de grand-voile. Je l’ai fait venir, je l’ai observé, il ne parlait pas beaucoup, mais j’ai vu rapidement qu’il était nettement meilleur que les gens que j’avais sur le bateau, même les tout bons, il avait une bonne vision du plan d’eau. Je lui ai parlé du GP42 Near Miss qui était à vendre, il a été emballé par le projet et depuis, on ne s’est plus quittés. Le GP a permis de construire l’équipage, de créer une cohésion de groupe, sachant que l’objectif, c’est avant tout de s’amuser. On veut certes gagner, en faisant les choses bien, en étant rigoureux, mais surtout en prenant du plaisir ensemble. Nous avons un équipage serein, sympathique, chez nous, ça ne gueule pas.
Quelles sont vos ambitions sur le circuit ?
Financièrement, nous ne sommes pas à notre place dans les Super Series, les gens sont tous milliardaires ou presque, on dénote clairement par rapport aux autres concurrents. Nous, à part Mikaël, nous sommes 100% amateurs, j’ai juste rajouté un professionnel cette année, Fabien Henry, parce que le niveau est très élevé, nous l’avons vu lors de Palma Vela. On arrive à être dans le paquet mais on finit quand même derniers. On s’attaque à des équipes très étoffées, composées uniquement de professionnels, et à des bateaux absolument magnifiques. A Palma, nous avons fait une place de 5 et une de 6, ce n’est pas génial, mais pour nous, c’est déjà extraordinaire. Notre but, ce n’est pas d’être premiers, mais d’être au milieu de la meute, si on arrive sur chaque course à finir parmi les quatre-cinq, ce serait extraordinaire, voire indécent au regard de notre budget par rapport à celui des autres.
Quel est le budget annuel de Team Vision Future ?
Nous avons un budget d’à peu près 200 000 euros (HT). Ce qui nous coûte cher, ce sont les inscriptions, puisque chaque régate coûte 10 000 euros ; d’ailleurs cette saison, nous ne faisons que trois régates, Mahon, Puerto Portals (championnat du monde fin août à Majorque) et la dernière en Sardaigne (Porto Cervo fin septembre). En plus, ce sont des bateaux sur lesquels il y a beaucoup de consommable. On a par exemple changé les bastaques, parce qu’on a maintenant des bastaques à 8 tonnes, en une journée de régate, on sent déjà l’usure, c’est énorme. Je ne sais pas si on va s’en sortir avec ce budget !
Stéphane Névé, qui menait l’année dernière le projet Paprec Recyclage, nous parlait effectivement plus de 500 000 euros annuels, qui était alors le plus petit budget…
Oui, c’est ce que je vous dis, on est encore plus le plus petit budget, parce que je ne fais pas un milliard de chiffre d’affaires avec ma société comme monsieur Petithuguenin [le patron de Paprec, NDLR] et je n’ai pas 350 millions de fortune personnelle, je suis loin de tout ça. Et encore plus loin des grosses équipes comme Sled dont le budget de fonctionnement doit avoisiner les 2 millions d’euros par an. Mais on fait avec, et si on voit qu’on n’y arrive pas au bout d’un ou deux ans, on arrêtera.
Combien avez-vous acheté l’ancien Sled ?
Quand Sled a fait un nouveau bateau en 2018, il a mis en vente son précédent bateau, de 2015, qui était conservé sous bâche dans un superbe état, il faisait plus neuf qu’un bateau neuf ! Au départ, le propriétaire (Takashi Okura) en voulait trop cher, on a discuté pendant un mois, et finalement, il m’a dit : “J’ai regardé votre équipe, elle me plaît, vous êtes des battants, vous vous débrouillez bien, j’accepte votre prix”. Je l’ai acheté 740 000 euros (HT) avec les sous de la maison. C’est un bon prix, parce que les différences entre celui-là et les plus récents, notamment en vitesse pure, ne sont pas très importantes. C’est un bateau extraordinaire, clairement le plus beau que j’aie jamais eu.
Comment avez-vous été accueillis dans cet univers de riches propriétaires ?
Très bien, l’accueil a été chaleureux, ce ne sont pas des mecs qui font ça pour le pognon – de toute façon, je pense que ça ne leur ramène rien – ce sont de vrais passionnés de la voile et de la régate de haut niveau.
Suivez-vous la course au large ?
Oui, bien sûr, quand vous aimez la voile, vous suivez tout. Et d’autant plus en ce moment que ces huit dernières années, nous avions Clément Giraud dans notre équipage, il vient d’acheter un Imoca pour faire le Vendée Globe [il termine ce vendredi sa première course en Imoca, la Bermudes 1000 Race, NDLR] , on essaie de le soutenir.
Financièrement ?
Non, je ne suis pas partenaire de son projet, parce que j’ai déjà du mal à être partenaire du mien !