Le TP52 Provezza lors de l'épreuve inaugurale de la saison des 52 Super Series au Cap

Chris Hosking : “La voile de Grand Prix semble toujours assez forte”

Pour essayer de mieux comprendre les nouveaux enjeux posés par la crise liée au Covid-19, Tip & Shaft a lancé une série de grands entretiens autour du futur des courses à la voile. La parole est à l’Australien Chris Hosking, qui navigue sur les circuits de Grand Prix que sont les 52 Super Series (il est “build project manager” et équipier au sein de l’équipe turque de Provezza), la J Class ou la 44Cup, explique comment un marin professionnel vit cette crise et voit le futur de ces circuits.

Comment se passe ta vie ces derniers mois ?
A certains égards, c’était bien d’être à la maison, avec ma femme et mes enfants, de ne pas voyager et vivre tout le temps au milieu des valises, mais en même temps, nous ne travaillons plus depuis le mois de mars et nous ne savons pas vraiment quand nous allons reprendre. Je ne pense pas qu’il y ait jamais eu un moment de notre histoire comme celui-là, où tant de gens ont cessé de travailler. Je pense qu’il y a maintenant 40 millions de personnes au chômage aux États-Unis. Je fais évidemment partie de cette statistique et cette crise a complètement anéanti notre activité. Nous avons couru l’Antigua Superyacht Challenge en Class J et ensuite, je suis rentré chez moi. À ce moment-là, vers le 17 mars, le virus décollait vraiment, il y avait encore beaucoup d’indécision sur le fait que les prochaines régates allaient avoir lieu ou non. Mais à la minute où le Bucket Challenge à St Barth a été annulé, notre team manager a dit : « Les gars, rentrez chez vous comme vous pouvez. » Tout de suite après, les Mondiaux de TP52 ont été annulés en Afrique du Sud, et rien depuis.

Même si ce genre de cas n’est pas vraiment couvert par des contrats ou des accords avec les marins, il semble que la plupart des propriétaires ont soutenu financièrement leurs équipes, qu’en est-il de votre côté ?
Il y a eu une sorte d’accord non-écrit comme quoi si une régate est annulée pour une raison quelconque, dans un délai de trois semaines, vous recevez une compensation. Dans notre situation avec Svea (bateau évoluant en J Class), nous avons été payés à 100% pour le Bucket Challenge.

Y a-t-il beaucoup de contrats liant les propriétaires et les équipiers dans ce milieu ?
Certaines des équipes avec lesquelles j’ai travaillé proposent des contrats, d’autres non. Personnellement, dans l’équipe des 52 Super Series avec laquelle je travaille, il n’y a pas de contrat, ce qui te laisse dépendant du bon vouloir du propriétaire. La situation est un peu confuse au sein de la flotte des TP52. Je connais des équipages qui ont été payés au moins 50% pour chaque régate annulée à ce jour, d’autres n’ont pas été payés du tout.

Est-ce nécessaire d’en tirer les leçons et de faire en sorte qu’il y ait plus de contrats ?
Je pense que ce sport doit être un peu plus structuré. Pour ce faire, il faudrait certainement établir des contrats entre les prestataires de services (c’est-à-dire nous, les marins) et les propriétaires des bateaux. Après tout, c’est une entreprise comme les autres, je pense que c’est la voie à suivre.

D’après ce que tu sais, certains sont-ils en difficulté ou la plupart des gars se sont-ils constitué une sorte de fonds de prévoyance pour les mauvais jours ?
Je pense que ce serait stupide et financièrement irresponsable de ne pas l’avoir pas fait. Nous savons que la voile est une activité assez inconstante, c’est le hobby du propriétaire. C’est un sport de luxe et ces gens (les propriétaires) ont évidemment beaucoup de chance de pouvoir dépenser leur argent pour pratiquer ce sport à haut niveau, mais ils peuvent tout aussi bien arrêter quand ils en ont envie. Ils peuvent très bien se lever un matin et décider qu’ils ne veulent plus faire ça. Il ne faut pas forcément une pandémie pour que les revenus cessent. Donc je pense qu’il faut être responsable et économiser de l’argent dans la perspective de ces périodes où il n’y a pas beaucoup de travail, comme celle que l’on vit actuellement. Même si personne ne s’attendait à ce que cela dure aussi longtemps et nous affecte tous financièrement. Personnellement, j’ai la chance de m’être occupé de mes finances et s’il le faut, nous pouvons probablement tenir jusqu’en mars de l’année prochaine.

Les bons marins professionnels qui évoluent en 52 Super Series, en RC44, J Class, Maxi, Superyachts, gagnent-ils bien leur vie ?
Cela dépend de votre rôle sur le bateau, les tacticiens sont évidemment bien payés. Un bon professionnel, avec un rôle clé à bord, comme le piano, gagne entre 600 et 1000 euros par jour, je pense. Et certains font au moins 150 jours par an. Mais ce n’est pas un univers où vous allez prendre votre retraite à 60 ans avec des millions de dollars à la banque, même s’il y en a évidemment quelques-uns qui ont extrêmement bien réussi. Je pense aux nombreux marins qui ont participé à la version 5 de la Coupe de l’America [la 32e à Valence en 2007, NDLR], à une époque où les salaires étaient très élevés et où ils avaient de longs contrats. Un gars comme mon ami Robbie Naismith a beaucoup investi dans l’immobilier avec le salaire qu’il gagnait à cette époque et il s’en est très bien sorti. Mais ces salaires ont disparu maintenant, il n’y a plus de doute, plus personne ne reçoit de telles sommes.

Penses-tu que la pandémie va entraîner une réduction du nombre de propriétaires ou vont-ils continuer ?
Je pense qu’ils vont surtout continuer. Un type comme notre propriétaire [celui de Provezza, le Turc Ergin Imre, NDLR] navigue depuis un sacré bout de temps. Il parle peut-être de prendre sa retraite de temps en temps, mais je suis sûr qu’il ne veut pas finir sa carrière de navigateur de cette façon, par une pause forcée par la pandémie. Je suis sûr qu’il veut finir sur une bonne note et je suis sûr que beaucoup de propriétaires pensent la même chose, donc ils rebondiront l’année prochaine.

Ils sont quand même susceptibles d’économiser là où ils le peuvent, non ?
Dans ma carrière, j’ai souvent été boat-captain, on m’a toujours appris à dépenser l’argent comme si c’était le mien. Je pense que, quelle que soit la richesse d’un propriétaire, vous avez la responsabilité de dépenser son argent aussi efficacement que possible pour l’aider à atteindre ses objectifs. Chaque année, quand on te dit que le propriétaire veut gagner la saison, tu sais ce qu’il va t’en coûter tant en voiles, en équipage, en logistique… Je ne pense pas que l’un d’entre nous dépense de l’argent comme s’il coulait à flots. Nous essayons toujours d’être aussi rentables que possible pour aider le propriétaire à atteindre ses objectifs. J’espère vraiment que tout cela va continuer. Les propriétaires des 52 Super Series sont très divers, ils ne gagnent pas leur argent de la même façon, certains vont sans doute être plus touchés que d’autres, mais je pense ces personnes ont suffisamment d’argent pour pouvoir continuer. Je pense que ce sont plus ceux qui s’alignent en 40 pieds ou sur des courses plus locales qui ont été assez durement touchés. Ce sont peut-être ceux-là qui devront réduire ou arrêter leur campagne. La crise financière mondiale a balayé une partie de la voile, mais la voile de grand prix semble toujours assez forte.

Tu navigues également en J Class et en super yachts, ces circuits sont-ils plus solides ?
C’est certain que les super yachts ont explosé au cours des cinq à dix dernières années. Il y a dix ans, en parcourant le chantier STP à Palma, tu tombais sur un Perini Navi, c’était vraiment le super yacht d’exception. Aujourd’hui, ils ont proliféré, il y en a tellement, avec des propriétaires qui semblent vraiment intéressés par la course. Par contre, ils ne feraient jamais un circuit comme les 52 Super Series avec 6 régates par an, ils en font plutôt deux ou quelque chose comme ça. Mais ils « consomment » beaucoup de marins expérimentés pour naviguer sur ces bateaux, je vois donc le super yachting continuer à se développer, indépendamment de la pandémie ou de toute catastrophe économique qui va en découler.

Et quel avenir vois-tu au circuit de RC44, la 44Cup ?
Je suis un grand fan du RC44
, c’est un bateau tellement amusant et passionnant, je pense vraiment qu’il est très intéressant pour ses propriétaires, avec un bon rapport qualité-prix. Les bateaux sont actuellement à Portoroz, en Slovénie, s’il y a une possibilité de faire une régate cette année, nous la saisirons.

Compte tenu de la situation actuelle et de l’avenir de la voile de Grand Prix, quel conseil donnerais-tu à des jeunes marins professionnels ?
Je leur dirais qu’il faut avoir une compétence en plus que celle d’équipier et de régleur, une deuxième corde à son arc. Je connais beaucoup de gars, qui, en plus de la voile professionnelle, ont des activités de constructeur de bateaux ou de gréement, c’est important d’apporter à l’équipe bien plus que de simples talents de marin. Donc mon conseil, c’est : faites des études et acquérez une compétence qui devienne indispensable à une équipe, vous verrez, vous aurez de la demande.

Photo : Martinez Studio / 52 Super Series

Tip & Shaft est le média
expert de la voile de compétition

Course au large

Tip & Shaft décrypte la voile de compétition chaque vendredi, par email :

  • Des articles de fond et des enquêtes exclusives
  • Des interviews en profondeur
  • La rubrique Mercato : l’actu business de la semaine
  • Les résultats complets des courses
  • Des liens vers les meilleurs articles de la presse française et étrangère
* champs obligatoires


🇬🇧 Want to join the international version? Click here 🇬🇧